« Qu’est-ce qu’un érudit ? Un fou qui s’enferme pour faire de la recherche et écrire sur des tas de sujets qui n’intéressent personne. » Cette citation ne provient pas du langage populaire, mais de la plume d‘Anatole France et elle montre avant tout une chose : les clichés ont la dent dure, l’image de l‘ermite dans sa tour d’ivoire n’est pas une invention contemporaine.
Auteurs: Sven Hauser, Anne Schroeder (FNR), Jean-Paul Bertemes (FNR)
Hier comme aujourd’hui, le principe suivant prévaut : c’est aussi et surtout à la science même qu’incombe la tâche d’aller vers les gens et de se présenter à eux. Il convient de créer une interface entre la tour d’ivoire présumée et la prétendue populace : il en va de la culture scientifique.
La science comme valeur sociale
En effet, « connaissance scientifique » n’équivaut pas à « culture scientifique ». La première, c’est-à-dire la connaissance et la compréhension de faits et d’idées scientifiques ainsi que de la politique correspondante, est un facteur rationnel. Par culture scientifique, l’on entend en revanche un système de valeurs, une croyance parfois marquée émotionnellement en la signification de la science et de la recherche pour la société et l’économie.
Une société qui possède une culture scientifique a réussi à faire de la science et de la recherche un pilier essentiel de la vie sociale. A cet effet, il convient de créer l’acceptation du rôle de la science en tant que créateur de connaissances et d’innovation. De plus, il faut que la science et la recherche puissent être intériorisées et vécues par tous selon leurs possibilités.
Premiers fondements sur une ancienne friche
Mais au fait, qu’en est-il de la culture scientifique au Luxembourg ? A titre de comparaison avec l’étranger, la recherche et le secteur universitaire sont encore très jeunes dans notre pays. Ceci dit, les derniers développements en date sont de bon augure.
Les fondements apparus à ce jour sur une friche scientifique semblent être suffisamment solides pour supporter un jour une culture scientifique solide. Les piliers que sont les centres de recherche publics, l’Université de Luxembourg, les musées nationaux d’histoire naturelle, des beaux-arts et d’histoire voire leurs centres de recherche respectifs, la Cité des Sciences à Belval ainsi que les activités existantes en vue de la promotion de la culture scientifique ne peuvent en tout cas pas être soupçonnés d’avoir été construits sur du sable.
Les enquêtes téléphoniques qui ont été menées par le Fonds national de la Recherche au cours des années 2007 et 2011 démontrent que l’appréhension des activités scientifiques est toujours plus forte dans notre pays. Par conséquent, 40% de la population se montre intéressée par les sciences, 65% veut continuer à être informée et surtout bénéficier d’une meilleure information, et une majorité croissante (69%) soutient les investissements dans la recherche (2007 : 57%). Les valeurs croissantes vont de pair avec la notoriété croissante des initiatives des acteurs de la recherche, comme par exemple le Science-Festival, les Researcher’s Days ou Mr Science.
Renforcer le lien communicatif avec les gens
Malgré la reconnaissance croissante de la science et de la recherche, il reste cependant encore beaucoup à faire du côté des scientifiques. En effet, seule une minorité de la population a l’impression d’être bien informée. Une importante partie de celle-ci est d’avis que l’école pourrait prendre plus de responsabilités et que les chercheurs ainsi que les institutions ne s’efforcent pas suffisamment à communiquer vers l’extérieur. A moyen terme, cette lacune en matière de communication peut entraîner aussi bien dans les cercles politiques que dans l’économie, mais surtout dans la société même, le rejet catégorique de la science et de la recherche.
C’est pourquoi le seul et unique mot d’ordre doit s’énoncer comme suit : quittons la tour d’ivoire proverbiale. La science ne peut pas attendre que les gens viennent à elle, mais elle doit davantage aller vers les gens. A terme, la science même aura tout à gagner d’une telle démocratisation, d’une interaction avec le public. En effet, ce n’est que si la science est vivante qu’elle aura le potentiel pour éveiller l’intérêt des jeunes pour la science et la recherche et, pourquoi pas, l’envie d’une carrière scientifique.
Souhait de chercheur : se faire comprendre et se rendre compréhensible
Ce faisant, la popularisation ne peut cependant pas dégénérer librement en banalisation. En effet, il s’agit à cet égard non pas d’une attitude inscrite dans l’air du temps, mais d’un objectif stratégique des acteurs impliqués dans la recherche et la science au Luxembourg. Les étapes de cet itinéraire comptent par exemple la transmission passionnante et ciblée des thématiques, la construction d’un dialogue durable entre les scientifiques et les jeunes et, par dessus tout, le facteur plaisir. Car n’oublions pas que rien n’est plus excitant qu’une découverte. Et c’est cela qui doit être notre message.
Il faudra du temps pour que ce message devienne acceptable socialement. C’est précisément pour cette raison que nous devons œuvrer ensemble à ce que les gens se mettent à l’écoute des chercheurs, voire davantage, que la société attende de la recherche que celle-ci dise quelque chose. Parallèlement à cela, nous devons continuer à renforcer et à soutenir les scientifiques dans leur travail, à les motiver à communiquer. Les deux vont indubitablement de pair, car quiconque se sent compris veut aussi se rendre compréhensible.
Si toutes ces actions sont poursuivies et que tous les acteurs ainsi que les institutions reconnaissent que les actions de communication constituent une partie intégrante du travail des scientifiques, nous pourrons alors parler un jour d’une véritable culture scientifique au Luxembourg. Le chemin qui y mène peut être placé sous l’égide de l’adage d‘Erich Kästner : les actes valent mieux que les paroles.