Quelle place la science occupe-t-elle au Luxembourg ? Ici, un grand nombre d’acteurs contribuent à la promotion et à la diffusion de la science et de la recherche. Quel est leur objectif ? Comment peuvent-ils l’atteindre ?

Quand on pense aux scientifiques, on imagine généralement des hommes avec une barbe grise et des cheveux hirsutes, portant une blouse blanche et occupés au laboratoire à manipuler toutes sortes de tubes contenant des liquides en ébullition. Dans l’imaginaire collectif, ces scientifiques sont perchés dans leur tour d’ivoire et passent leur temps à cogiter sur des sujets que personne ne comprend mais qui peuvent représenter une menace pour la terre entière.

Cette représentation du scientifique ou du chercheur est fortement ancrée dans les esprits, même si nous savons qu’elle est très éloignée de la réalité et que les chercheurs sont des gens tout à fait normaux, comme vous et moi.

Le cliché du scientifique qui agit en marge de la société est-il justifié ?

Les scientifiques ont un très long parcours universitaire derrière eux et sont souvent très spécialisés. Les phénomènes scientifiques étudiés sont souvent complexes et les connaissances sont difficiles à transmettre aux novices. On peut avoir du mal à comprendre de quel droit les scientifiques reçoivent des fonds pour se consacrer à l’étude de certaines questions. C’est de là que naît la représentation de la tour d’ivoire et du scientifique qui opère en marge de la société.

À cela s’ajoute la conscience qu’a la société des dangers de certaines découvertes scientifiques. La technologie génétique ou la nanotechnologie peuvent être utilisées au service de la société, mais leurs dangers ne sont pas nuls. Les scientifiques qui maîtrisent ces domaines sont difficilement contrôlables car presque personne ne peut comprendre leurs activités dans le détail. Cela peut parfois susciter des craintes. De cette ambivalence est née l’image du scientifique excentrique : d’un côté une représentation presque attendrissante, de l’autre une diabolisation du personnage, à l’image du méchant dans un film d’horreur.

Pourtant, il existe maints exemples qui prouvent que la science peut être axée sur les besoins de la société et sur les intérêts économiques d’un pays. La science ne serait peut-être pas aussi marginale que le laisserait supposer l’image d’Epinal du professeur fou !

La recherche a un impact social et économique

Au Luxembourg, il existe de nombreux chercheurs qui travaillent dans des domaines qui ont un impact direct sur la société. Par exemple, des scientifiques de l’université du Luxembourg examinent le développement du cerveau des enfants polyglottes, assistent le ministère de l’Education dans le cadre de la réforme scolaire ou aident à l’élaboration des études PISA. Les chercheurs du CRP Gabriel Lippmann coopèrent avec l’administration luxembourgeoise de la gestion de l’eau et travaillent dans le domaine de l’utilisation durable des ressources. Le LCSB et le CRP Santé font des recherches sur certaines maladies telles que le cancer, la maladie de Parkinson ou la maladie d’Alzheimer. Quant aux chercheurs du CEPS/Instead, ils travaillent entre autres sur le marché de l’emploi dans la Grande Région.

Les partenariats entre recherche et acteurs privés s’intensifient également au niveau scientifique. Le SnT de l’université du Luxembourg se démarque dans ce domaine, avec de nombreuses coopérations avec des entreprises basées au Luxembourg, comme par exemple SES, Enovos, la Poste ou les banques. Ce n’est pas un hasard si la finance et le droit font partie des priorités de la recherche au Luxembourg. De même, les CRP Henri Tudor et Gabriel Lippmann, fortement implantés dans les domaines de la science des matériaux, collaborent depuis des décennies avec les entreprises du secteur des matériaux établies au Grand Duché, par exemple Arcelor Mittal ou Goodyear.

Ces exemples nous enseignent que dans de nombreux cas, la science et la recherche sont bien moins en marge de la société qu’on ne le pense. La proximité entre acteurs aussi bien sociaux que privés d’une part et la science d’autre part est indispensable pour que celle-ci ne devienne pas une activité stérile. Si cette tendance à la coopération se confirme, ne serait-il pas temps de regarder le scientifique d’un autre œil et de valoriser le rôle de la science et de la recherche dans la société ? Le cas échéant, par quel moyen ?

Communiquer les résultats et les objectifs de la science

Tout d’abord, il devrait être du devoir d’un chercheur et de son institution de communiquer leurs objectifs et leurs résultats. La société accorde à la recherche des fonds et une certaine liberté. Par conséquent, elle est en droit de savoir à quoi est consacré cet argent.

Ceci dit, il n’est pas toujours évident de communiquer sur la recherche. Par définition, la recherche est une entreprise incertaine. Le chercheur avance à tâtons sans trop savoir où sa démarche l’entraîne. D’autre part, le novice ne comprend pas toujours la signification de certains résultats, qui ne devient évidente qu’au bout de plusieurs années. En général, il arrive que des choses soient plus difficiles à communiquer que d’autres. Et pour finir, les chercheurs n’ont souvent pas le temps de se consacrer pleinement à la communication. Leur efficacité ne se mesure que très rarement à la diffusion de leurs résultats auprès du grand public, mais bien plutôt au nombre de publications dans des magazines renommés et aux fonds accordés dans le cadre de projets de recherche compétitifs.

Pour rapprocher la science de la société, il est donc important d’inciter les chercheurs à communiquer auprès du grand public et à démontrer l’impact de leurs recherches. Par exemple, le FNR Award du Fonds National de la Recherche récompense les chercheurs qui se distinguent dans les activités dites « Public outreach activities ». Il reste encore beaucoup à faire au sein des institutions et de la communauté scientifique pour que les chercheurs aient un vrai intérêt à communiquer sur leurs travaux.

La science et la technique dans les médias et dans les débats publics

Les efforts de communication auprès de la population semblent porter leurs fruits. Lors d’une enquête téléphonique réalisée par le FNR en 2007, 30 % de la population se disait bien voire très bien informée. En 2011 et 2013, ce taux était de 34 % et 36 % respectivement. De plus, la recherche jouit d’un statut privilégié auprès de la population. En 2013, 66 % des personnes interrogées étaient d’avis qu’il fallait investir davantage dans la recherche. Un résultat surprenant au vue de la crise et des difficultés budgétaires.

Les médias participent certainement de cette évolution. On remarque que la science jouit d’une couverture médiatique de plus en plus importante. Par exemple, Mister Science a été régulièrement invité sur des plateaux de télévision lors de l’émission scientifique PISA. De plus, les acteurs de la recherche ont, en collaboration avec www.science.lu, créé une plateforme Internet afin de communiquer au grand public les travaux et les résultats de la science et de la recherche au Luxembourg. Les sujets scientifiques trouvent également un plus grand écho dans d’autres médias.

La raison en est simple : la recherche se développe, aussi bien au niveau de la qualité que de la quantité. On obtient de plus en plus de résultats qu’il est également possible de communiquer. Les résultats sont surtout intéressants lorsque la recherche s’oriente vers les besoins sociaux et économiques du pays. La notoriété de la science s’en trouve renforcée lorsque les chercheurs permettent de dépassionner certains débats de société ou assistent les responsables politiques en leur fournissant des données objectives comme base décisionnelle. Pour cela, les chercheurs ont besoin de soutien, entre autres de spécialistes de la communication et de rédacteurs et journalistes scientifiques.

Il existe pour cela quelques acteurs, par exemple le FNR ou le musée d’histoire naturelle dont la mission consiste entre autres à promouvoir la culture scientifique. Qu’est-ce que cela signifie concrètement ? Souvent, on associe la culture à la peinture ou à la musique et non pas à la science. Le terme de « culture scientifique » présente l’avantage de concilier deux dimensions qu’on a généralement tendance à séparer. Cependant, si on envisage la culture comme l’ensemble des activités humaines, que celles-ci soient d’ordre pratique ou intellectuel, ou comme l’expression d’un développement, la science en fait indéniablement partie. Pourquoi faut-il insister sur ce point ? D’une manière ou d’une autre, la promotion de la culture scientifique doit faire en sorte que la science soit perçue comme faisant partie intégrante de notre culture. N’est-ce pas déjà le cas ?

Rendre la science vivante

La culture de la science se déploie sur plusieurs niveaux : en plus de la communication et des coopérations entre la science et la société, un contact direct entre la population et les sciences doit se produire, par exemple au musée d’histoire naturelle ou lors d’événements tels que le Science Festival ou les journées Researchers Days. Ces événements sont l’occasion pour les visiteurs de faire l’expérience de la science par la vue et le toucher, et la fascination pour les phénomènes scientifiques s’en trouve renforcée. En d’autres termes, la science devient une réalité tangible pour tout le monde !

Dans cette même optique, il existe de nombreuses organisations qui proposent des activités scientifiques ou des ateliers, par exemple la a.s.b.l., Déi kléng Fuerscher, la Fondation Jonk Fuerscher, les Naturwëssenschaftsolympiade, le Concours Génial et bien d’autres encore. L’objectif reste toujours le même : susciter la curiosité et dépasser les préjugés.

De nombreuses initiatives pour les enfants et les jeunes. Pourquoi ?

D’une part pour une raison pratique : le ministre de la recherche Claude Meisch rappelle que les disciplines scientifiques et les cursus d’ingénierie sont de plus en plus désertés par les étudiants. Pourtant, il existe une pénurie de main d’œuvre dans ces domaines. Les investissements dans l’innovation et la recherche vont augmenter au cours des prochaines années, non seulement au Luxembourg, mais dans toute l’Europe. Tel est du moins l’objectif du programme Europe 2020. Il s’agit de susciter l’intérêt des jeunes pour l’ingénierie, la technique et les sciences naturelles.

De plus, les enfants traversent un âge où ils s’interrogent naturellement sur le fonctionnement du monde. Il est alors judicieux de les accompagner dans cette étape de leur vie pour renforcer leur curiosité et pour les aider à trouver les bonnes réponses à leurs interrogations. À défaut de réussir dans cette entreprise, il sera plus tard d’autant plus difficile de combattre leurs préjugés. Force est également de constater que l’intérêt des enfants pour ces sujets diminue avec le temps. À l’âge adulte, les personnes découvrent à nouveau les sciences, souvent par le biais de leurs enfants.

L’école joue bien évidemment un rôle très important dans la transmission des sciences et représente le cadre idéal pour approfondir les sujets scientifiques. Cependant il est permis de se demander si, malgré les nombreux investissements réalisés ces dernières années au Luxembourg dans la recherche et la plus grande notoriété de la science et de la recherche, l’école reflète la place occupée par les sciences dans nos sociétés. Les sciences naturelles et l’ingénierie devraient peut-être s’armer d’un lobby !

Pourquoi la promotion de la culture scientifique est-elle si importante ?

Quoi qu’il en soit, pour faire avancer la transmission et la promotion de la science, la responsabilité incombe en grande partie aux acteurs scientifiques. Si vous fournissez des résultats intéressants et savez les communiquer, vous trouverez assez de personnes intéressées. Cependant, toutes les autres initiatives qui se fixent pour objectif la diffusion de la science dans la société sont toutes aussi importantes

pour dépasser les préjuger, susciter la curiosité, informer les personnes sur l’état de la recherche au Luxembourg et sur les bénéficiaires des deniers publics et pour impliquer les personnes dans les conquêtes de la science et de la recherche. Un autre objectif consiste à renforcer l’intérêt des jeunes pour les sciences et la technique. Ceux-ci doivent développer la conviction de pouvoir participer au monde qui les entoure, un monde de plus en plus marqué par la science et la technique, et leur donner la possibilité de comprendre l’état de la recherche au Luxembourg et d’influencer l’avenir de la recherche. Qui sait ? L’image du savant fou à la chevelure hérissée et qui travaille en marge de la société à des expériences inutiles dans sa tour d’ivoire, appartiendra peut-être bientôt au passé.

Jean-Paul Bertemes (FNR)

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