
Une ourse polaire anesthésiée et équipée d'un collier GPS, et ses deux oursons, dans l'est du Spitzberg, dans l'archipel du Svalbard, le 6 avril 2025
Touchée par la fléchette sédative, l'ourse polaire se couche doucement sur le flanc: quelques minutes plus tard, le vétérinaire s'approche, pose un collier GPS, prélève du sang, incise la chair. Tout doit s'enchainer rapidement.
La mission est périlleuse : il fait en moyenne -20°C dans l'Arctique norvégien et l'ours polaire est un prédateur dangereux pour l'homme, il ne faut pas qu'il se réveille.
Depuis quarante ans, les experts de l'Institut polaire norvégien (NPI) observent l'ours du Svalbard, sa santé, ses déplacements et les effets du réchauffement climatique trois à quatre fois plus important dans cette région que la moyenne mondiale.
Lors de leur expédition annuelle, en avril, sur le brise-glace de recherche Kronprins Haakon, du nom de l'actuel prince héritier de Norvège, huit scientifiques, accompagnés par un photographe de l'AFP, ont expérimenté de nouvelles méthodologies de suivi de l'Ursus maritimus.
Sur ce bâtiment de 100 mètres de long, la journée dépend de la météo qui détermine si l'hélicoptère peut voler et traquer les ours sur la banquise, au GPS ou à la trace. Les "jours blancs", quand ciel, neige et glace se confondent, c'est impossible.
Ce jour-là, le vétérinaire Rolf Arne Olberg est à bord avec deux scientifiques quand l'hélicoptère part en quête des mammifères à l'aide d'une application qui localise la dizaine de femelles équipées pour la première fois l'an dernier d'un collier GPS.
- Fréquence cardiaque -
Un pied sur le patin de l'hélicoptère, Olberg épaule sa carabine à air comprimé et déclenche le tir de fléchette anesthésiante sur l'animal qui au bruit de l'appareil a commencé à courir.
Certains ours, déjà anesthésiés les années précédentes, ne paniquent plus à l'approche de l'hélicoptère.
Le dosage de sédatif est adapté à la taille de l'ours et la fléchette doit atteindre un muscle pour être efficace. Observation à la jumelle : si l'anesthésiant a fait effet, l'hélicoptère peut se poser près de l'ours cinq à dix minutes plus tard.
Tout doit alors être précis et rapide, malgré les gants chirurgicaux par une température qui peut descendre à -30°C ou le vent. "Nous essayons de minimiser le temps que nous passons près de l'ours" dit le vétérinaire.
Au chevet de l'animal, Olberg place un collier GPS ou remplace sa pile, si la femelle est déjà équipée. Les mâles, qui peuvent atteindre 2,60 mètres pour 600 kilos, ne peuvent pas en être dotés car leur cou étant plus gros que leur tête ils le perdraient immédiatement.
Le vétérinaire incise ensuite la peau du mammifère pour placer entre la graisse et la chair un capteur cardiaque, petit cylindre de 4 centimètres. Les cinq premiers ont été posés l'an dernier.
"C'est un enregistreur qui nous permet d'avoir, sur toute une année, la température corporelle et la fréquence cardiaque des ours", explique la chercheuse française Marie-Anne Blanchet, spécialiste en écologie spatiale au NPI.
"Ces deux paramètres sont reliés aux dépenses énergétiques des ours. Et la dépense énergétique, c'est un petit peu la monnaie qui nous intéresse pour savoir quelle énergie les ours ont besoin de dépenser dans la mesure où leur environnement change", détaille-t-elle.
- Œufs et rennes -
Pour la première fois cette année donc, les experts vont pouvoir croiser température corporelle, rythme cardiaque et données GPS, et savoir quand ces ourses appareillées marchent pour atteindre leur zone de chasse, nagent ou restent en tanière.
Le vétérinaire prélève aussi de fines lamelles de graisse qu'il insère dans un tube conservé à 37°C, la température corporelle de l'ours. A bord du brise-glace, les tissus graisseux seront exposés à des hormones de stress et polluants puis plongés dans de l'azote liquide pour être analysés plus tard sur terre.
Cette nouvelle technique, appelée "slices", est destinée à mesurer l'impact des "polluants éternels" (PFAS) sur leur santé.
"L'idée, c'est de représenter au mieux ce que les ours vivent dans la nature mais en laboratoire", dit la toxicologue belge Laura Pirard, qui expérimente cette méthode de biopsie sur le mammifère.
Ces échantillons de graisse et de sang révèlent déjà l'évolution du régime alimentaire des ours polaires alors que la glace de mer recule.
"Ils mangent plus de nourriture terrestre que de phoques. Ils chassent toujours les phoques mais ils prennent également des œufs et des rennes, ils mangent même de l'herbe et des choses comme ça, bien que cela ne leur fournisse aucune énergie", a constaté le chef scientifique du programme "ours polaires" au NPI, Jon Aars,
Le phoque reste cependant une nourriture essentielle pour l'animal.
"Même s'ils ne disposent que de trois mois pour chasser, ils peuvent obtenir environ 70% de ce dont ils ont besoin pour toute l'année pendant cette période. C'est probablement pour cette raison que nous constatons qu'ils s'en sortent bien et qu'ils se portent bien", ajoute-t-il.
Mais le chef de mission met en garde : "Si la période (de chasse du phoque) diminue encore, peut-être seront-ils à la peine".