Marc Abrahams lors de la 15e édition des prix Ig Nobel, à l'université Harvard de Cambridge, dans le Massachusetts, le 6 octobre 2005

Marc Abrahams lors de la 15e édition des prix Ig Nobel, à l'université Harvard de Cambridge, dans le Massachusetts, le 6 octobre 2005

"D'abord faire rire, puis réfléchir": face aux attaques que subit la science, l'humour est plus que jamais une porte d'entrée, estime auprès de l'AFP Marc Abrahams, le créateur américain des Ig-Nobel, qui récompensent les recherches les plus farfelues.

Deux salles, deux ambiances. Cette semaine, pendant que les Nobel recevaient leurs récompenses à Stockholm, des lauréats des Ig-Nobel - jeu de mots sur "ignoble" en anglais - étaient en tournée à Paris.

Devant des salles combles à l'université Paris Sciences et Lettres (PSL) et à l'école Normale supérieure, le physicien Marc-Antoine Fardin a disserté sur la nature à la fois solide et liquide des chats, tandis que son collègue Daniel Maria Busiello dévoilait la science derrière une célèbre recette de pâtes. Le tout sous une pluie d'avions en papier, une tradition des Ig-Nobel remis chaque année depuis 1991 à Boston (Etats-Unis).

"Dans l'espace public — surtout aux États-Unis — les gens pensent que la science est importante, mais ils n'ont pas vraiment l'impression qu'elle fait directement partie de leur vie", explique Marc Abrahams, également éditeur des "Annales de la recherche improbable".

L'objectif des Ig-Nobel est de trouver des sujets qui vont "capter leur attention pendant trois secondes en les faisant rire", mais aussi "rester dans leur tête pour qu'ils aient envie d'en parler à leurs amis" et au final "réaliser que c'est intéressant", détaille-t-il.

A l'heure où des pans entiers de la science sont "menacés, voire activement détruits" - en particulier via les coupes budgétaires drastiques décidées par l'administration Trump aux Etats-Unis - "beaucoup de gens nous disent que ce que nous faisons est devenu beaucoup plus important", souligne-t-il.

Signe de la nervosité du milieu scientifique, plusieurs lauréats ont renoncé à venir à la cérémonie en septembre dernier, par peur d'être inquiétés par les autorités américaines, regrette cet ancien diplômé de Harvard en mathématiques.

- Nobel et Ig-Nobel -

Accueillis au départ avec une certaine "suspicion", les Ig-Nobel sont rapidement devenus une institution dans la communauté scientifique et rares sont ceux qui refusent cet honneur.

Les liens sont d'ailleurs forts avec les Nobel, dont plusieurs récipiendaires participent à la cérémonie en remettant les récompenses. L'un d'entre eux, le physicien britannique Andre Geim, cumule même les deux prix.

Les lauréats - 10 chaque année - sont choisis parmi les milliers de suggestions que Marc Abrahams reçoit par "courriers, mails, télégrammes, ou bouche-à-oreille".

"10 à 20% de ce qui nous arrive" provient de scientifiques qui envoient leurs propres études. "Mais ils ne gagnent quasiment jamais", note-t-il.

La plupart des lauréats "ne voient pas le côté humoristique de leurs recherches" et "me disent +tous les autres sont très drôles, mais pourquoi moi ?+", s'amuse-t-il.

"Ils font simplement leur travail, sont curieux et font ce pour quoi on les a formés en tant que scientifiques: découvrir et publier", abonde Kees Moeliker, directeur du Museum d'histoire naturelle de Rotterdam et responsable du bureau européen des "Annales de la recherche improbable".

Lui-même a reçu le prix en 2003 pour une étude sur la "nécrophilie homosexuelle chez les colverts", lors d'une cérémonie qu'il décrit comme un "mélange de Muppet Show et de Monty Python".

Le biologiste, qui transporte dans sa sacoche le canard naturalisé devenu point de départ de ses recherches en s'écrasant contre la vitre de son bureau, s'intéresse désormais aux morpions.

Le déclin de ces insectes pourrait être un exemple inattendu de la façon dont les activités humaines affectent la biodiversité, en étant lié "à la mode de se raser le pubis, son habitat naturel", explique M. Moeliker.

Le scientifique est d'ailleurs à la recherche de spécimens. Les échantillons sont à envoyer au Museum de Rotterdam "de préférence avec la date, la localisation géographique, l'emplacement sur le corps, l'âge et le sexe de l'hôte". "Anonymat garanti!", précise-t-il.