(C) Uwe Hentschel
Seuls les bons hackers peuvent s’offrir le luxe de la sécurité. Alex Biryukov en sait quelque chose. Ce professeur d’informatique de l’Université du Luxembourg est également un expert renommé en cryptographie.
Quel est le point commun entre un scarabée d’or et des hommes dansants ? À première vue, rien à voir. Il y a des choses qui restent invisibles à première vue, voire à deuxième, troisième ou quatrième vue pour 99% des gens. Ces choses constituent précisément l’objet du travail d’Alex Biryukov. Le "Scarabée d’or" est une nouvelle d’Edgar Allan Poe, et "Les Hommes dansants" est le titre de l’une des aventures de Sherlock Holmes, le célèbre détective issu de la plume d’Arthur Conan Doyle. Dans les deux histoires, le héros doit réussir à déchiffrer un code secret. Alex Biryukov a lu les deux histoires quand il était enfant et les a trouvées fascinantes.
Tout système n’attend que d’être craqué
« Pour pouvoir mettre au point un bon système, il faut d’abord savoir comment le craquer », aime à dire Biryukov, cryptographist et professeur d’informatique à l’Université du Luxembourg. Sa spécialité : développer, définir et construire des systèmes informatiques. Des systèmes dont le niveau de sécurité est tel qu’il est impossible de les lire ou de les modifier sans autorisation. C’est pour cette raison qu’un bon cryptographist doit également être un hacker hors pair : sinon, il n’est pas à même de repérer les éventuelles failles dans un système.
Biryukov est le responsable du LACS (Laboratory of Algorithmics, Cryptology and Security), l’une des unités de recherche de l’université. Le travail du LACS consiste à augmenter en permanence le niveau de complexité des algorithmes et donc de la sécurité du cryptage. Biryukov et ses collègues savent pertinemment que les systèmes qu’ils mettent au point n’attendent que d’être craqués par les criminels. Toutefois, Biryukov ne trouve pas cela frustrant. Bien au contraire : c’est précisément cela qui le stimule. « Les hackers et les concepteurs de systèmes sont dans un état de guerre permanent », d’après lui.
Une frontière ténue entre services et sphère privée
Cette lutte sans merci du bien contre le mal n’est pas le seul front sur lequel combat notre informaticien : Un autre problème majeur est la fragilité de la frontière entre les services et la sphère privée, comme dans le domaine des transactions en ligne, par exemple. Les acheteurs en ligne veulent se simplifier la vie le plus possible et donnent leurs informations confidentielles sans réfléchir, mais sans pour autant négliger la question de la sécurité. Pour que les données ne tombent pas dans les mains de personnes mal intentionnées, les différentes institutions, et en premier lieu bien sûr les banques, doivent s’efforcer de coder les échanges et les transactions de manière à les rendre inaccessibles aux hackers.
Toutefois, Alex Biryukov reconnaît ne pas être en mesure de garantir une sécurité à 100 %. « En définitive, la seule manière de garantir la sécurité d’un ordinateur, c’est de ne jamais le connecter à Internet et de ne jamais non plus le relier à des périphériques de stockage infectés! » résume l’informaticien. Lui-même affirme ne jamais acheter quoi que ce soit en ligne, et il n’est pas non plus un grand fan des réseaux sociaux. « Bien sûr, je fréquente des réseaux scientifiques », admet-il, « mais à part ça, je préfère de loin le contact direct de personne à personne. »
Le piège des données confidentielles
Le contact direct présente au moins l’avantage d’être beaucoup moins facile à espionner pour les hackers même les plus haut placés, comme par exemple les services secrets. Lorsqu’il a été révélé que la NSA espionnait les autres pays, y compris les alliés des États-Unis, Biryukov n’a pas été surpris outre mesure. En revanche, il n’arrive pas à concevoir qu’un géant d’Internet comme Google ne code toujours pas les échanges de données entre ses serveurs, et donc facilite énormément la tâche aux voleurs d’informations en tout genre.
Il y a des choses auxquelles même Google et la NSA n’ont pas accès. Les deux vieilles machines de déchiffrage situées dans l’armoire du bureau de Biryukov en font partie. L’une de ces machines était utilisée par les Américains pendant la Seconde Guerre mondiale ; l’autre, plus récente, rappelle vaguement une machine à écrire. Edgar Allan Poe et Arthur Conan Doyle se seraient amusés comme des fous avec ces deux machines. Mais pour ce qui est du déchiffrage, le grand Sherlock Holmes lui-même se serait probablement cassé les dents.
Auteur: Uwe Hentschel
Photo ©Uwe Hentschel