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Des résultats scolaires faibles à modérément plus élevés ont été constatés dans trois domaines d'apprentissage : la compréhension orale en luxembourgeois, la lecture précoce et les mathématiques.

Les écoliers au Luxembourg proviennent de milieux linguistiques et culturels différents et présentent des résultats d’apprentissage très hétérogènes dès la première année de l'enseignement fondamental. La crèche, l'éducation précoce et l'école maternelle doivent contribuer à favoriser le développement des capacités linguistiques et d'apprentissage avant le début de la scolarité et garantir ainsi une plus grande égalité des chances. Des chercheurs du Luxembourg Centre for Educational Testing (LUCET) de l'Université du Luxembourg ont examiné si cet objectif est effectivement atteint. Le Dr Caroline Hornung et la doctorante Lena Maria Kaufmann, deux des auteures de l'étude, expliquent à qui profite l'éducation de la petite enfance et pourquoi la maîtrise du luxembourgeois n'aide pas forcément dans l'apprentissage de l'allemand, et exposent les enjeux actuels.

Caroline Hornung est chercheuse à l'Université du Luxembourg. Au LUCET (Luxembourg Center for Educational Testing), elle met au point et évalue des épreuves standardisées destinées aux enfants du cycle 2 dans les domaines d’apprentissage des mathématiques et des langues. Ses recherches portent sur le développement de compétences scolaires dans le système éducatif plurilingue au Luxembourg. Caroline Hornung étudie la façon dont l'apprentissage scolaire est influencé par d'autres facteurs tels que le milieu familial (par exemple, les langues parlées à la maison) et les aptitudes préalables. Dans le cadre du rapport « Early childhood education and care in Luxembourg » publié en 2023, elle a étudié ensemble avec d'autres chercheurs du LUCET la fréquentation des structures d'éducation et d’accueil des jeunes enfants (EAJE) au Luxembourg et sa relation avec les résultats scolaires au début de l'alphabétisation (cycle 2). Le LUCET travaille actuellement sur un rapport sur l'alphabétisation au Luxembourg. Dans ce contexte, il accompagne les écoles du projet pilote « Zesumme wuessen », des établissements dans lesquels l'alphabétisation se fait au choix en français ou en allemand.(Photo: Université du Luxembourg).

Lena Maria Kaufmann a obtenu son bachelor et son master en psychologie à l'Université de Trèves et à l'Université de la Colombie-Britannique. Elle est actuellement doctorante au Luxembourg Center for Educational Testing (LUCET) à l'Université du Luxembourg. Ses recherches portent principalement sur l'évaluation des effets de l'éducation et l'accueil plurilingues de la petite enfance sur les performances scolaires ultérieures au Luxembourg. Elle a été élue au conseil d'administration de la Luxembourg Educational Research Association (LuxERA) en tant que représentante des jeunes chercheurs et chercheuses. (Photo: Lena Maria Kaufmann).

 

Les structures d'éducation et d'accueil de la petite enfance telles que la crèche, l'éducation précoce et l'école maternelle classique sont, d’après votre étude, des « leviers importants » pour favoriser les processus d'apprentissage. Quelles en sont les raisons ?

Lena Kaufmann : Les travaux de recherche internationaux ont montré que dans les premières années de l’enfance, il y a de nombreux moyens d'action et qu'il est possible de promouvoir le développement des enfants indépendamment du milieu familial. Une prise en charge de qualité dans les structures d'EAJE peut avoir un effet positif sur le développement linguistique, intellectuel et émotionnel des enfants et peut même, à long terme, réduire la probabilité que les enfants avec des conditions de départ défavorables prennent un mauvais chemin plus tard.

Caroline Hornung : Les résultats dans d'autres pays varient toutefois fortement en fonction du système éducatif, des offres éducatives et de la population. Ils ne sont pas facilement transposables au Luxembourg, d'autant plus que notre population scolaire est particulièrement hétérogène en termes de langues et de milieu familial. Avec notre étude « Early childhood education and care in Luxembourg », nous avons cherché à savoir si et dans quelle mesure la crèche, l’éducation précoce et l'école maternelle ont aussi des effets positifs sur les résultats scolaires au Luxembourg et comment ceux-ci varient en fonction des groupes d'élèves, ainsi que de la durée et de la fréquence de prise en charge. Et nous avons aussi examiné les corrélations sous-jacentes.

Cette étude est la première à couvrir l'ensemble du territoire luxembourgeois. Pour la première fois, nous avons pu faire des observations quantitatives représentatives à l'échelle du pays. Pour ce faire, nous avons examiné les données de plus de 45 000 élèves du cycle 2.1 (c'est-à-dire des élèves âgés de six ans en première année de l’enseignement fondamental) tirées du programme national de monitoring scolaire de 2015 à 2021, ainsi que les données découlant de questionnaires adressés aux élèves et aux parents.

Quelle est votre principale conclusion ?

Caroline Hornung : Nous avons constaté que l'intégration de structures d’EAJE est globalement élevée et que la fréquentation des crèches et de l'éducation précoce au Luxembourg est associée à des performances scolaires légèrement à modérément supérieures dans les trois domaines d'apprentissage : la compréhension orale du luxembourgeois, l’apprentissage précoce de la lecture et les mathématiques. Chez les enfants fréquentant des structures d’accueil où l'on parle luxembourgeois, l'effet sur la compréhension orale du luxembourgeois est, comme on peut s'y attendre, particulièrement positif. Grâce à ces offres, les enfants sont exposés dès leur jeune âge au luxembourgeois et développent ainsi une meilleure compréhension orale de la langue du pays, qui est aussi la première langue d'enseignement à l'école maternelle. La compréhension de la langue d'enseignement est à son tour une condition importante pour l'apprentissage scolaire en général et l'acquisition de la langue écrite en particulier.

Quels enfants profitent le plus de ces offres ?

Lena Kaufmann : Les enfants défavorisés issus de milieux socio-économiques moins aisés et qui parlent une autre langue à la maison que la langue d’enseignement – notamment sur le plan linguistique. On retrouve des résultats similaires partout dans le monde. Au Luxembourg, on a observé de meilleures performances dans tous les domaines d'apprentissage quand les enfants ont fréquenté la crèche et l'éducation précoce.

La fréquence de prise en charge a des effets différents sur les enfants lusophones et luxembourgeois. En effet, seuls les enfants de langue maternelle portugaise semblent bénéficier, sur le plan linguistique, d’un plus grand nombre d'heures passées à la crèche. Les enfants qui parlent le luxembourgeois passent moins de temps dans les structures d’EAJE et bénéficient déjà à la maison d'un environnement qui favorise le développement de leurs compétences en luxembourgeois.

Qu'est-ce qui vous a à la fois impressionnée et surprise dans votre étude ?

Caroline Hornung : Rien que les chiffres étaient impressionnants. Plus de la moitié des enfants du cycle 2.1 avaient fréquenté une crèche et l'éducation précoce, près d'un tiers d’entre eux avaient uniquement intégré une crèche et 17 % avaient seulement fréquenté l'éducation précoce. 76 % des enfants passaient entre 10 et 40 heures par semaine dans des crèches ou des établissements d'éducation précoce. D’après les parents, la langue principale y était le luxembourgeois.

Il était intéressant de constater que la transmission des compétences linguistiques du luxembourgeois à l'allemand ne s’opère pas automatiquement. Nous nous doutions déjà que ce transfert supposé ne reflétait pas la réalité d’un grand nombre d’enfants, mais c'est la première fois que nous avons pu le démontrer, données à l’appui. Jusqu'à présent, on a toujours pensé que la maîtrise du luxembourgeois permettait aux enfants de se préparer à l'alphabétisation en allemand au cycle 2.1, c'est-à-dire à l'école fondamentale.

Un enfant étranger qui apprend le luxembourgeois à la crèche n'a donc pas automatiquement plus de facilité en cours d'allemand. Comment l'avez-vous constaté ?

Caroline Hornung : Depuis dix ans, les programmes de monitoring scolaire évaluent la compréhension orale du luxembourgeois au cours de la première année de l’enseignement fondamental. L'hypothèse était la suivante : plus un enfant a de compétences en luxembourgeois, mieux il maîtrise aussi l'allemand. Mais le monitoring a montré que même en troisième année scolaire, nombre d’enfants n'atteignent pas encore le niveau requis en compréhension écrite de l’allemand. Parmi les enfants lusophones, par exemple, 70 % accusent un retard en compréhension écrite de l'allemand malgré leurs connaissances du luxembourgeois.

Le ministère de l'Éducation s'est engagé avec nous à fournir des explications à ce sujet. Nous avons mis au point un test pour évaluer, outre le luxembourgeois, la compréhension orale de l'allemand en première année de l’enseignement fondamental. L'allemand ne figurant pas au programme de l'école maternelle, nous avons délibérément simplifié ce test. Les enfants lusophones ou francophones ont tout de même obtenu de meilleurs résultats au test de luxembourgeois qu'au test d’allemand. L'avance des enfants luxembourgeois sur les autres enfants était plus importante en allemand qu'en luxembourgeois. Il n'y a donc pas de transmission automatique des compétences linguistiques du luxembourgeois à l'allemand. Les enfants luxembourgeois, quant à eux, sont probablement bien plus exposés à l’allemand grâce à la télévision et aux livres et maîtrisent donc mieux cette langue – et ce point devrait faire l'objet d'une étude plus approfondie. 

Comment mieux préparer les enfants non luxembourgeois à l'alphabétisation en allemand – et quelles en sont les conséquences pour la politique linguistique ?

Caroline Hornung : Ce qui fait défaut, c'est un contact permanent avec la langue d'alphabétisation, en l'occurrence avec l'allemand. Au cycle 1, donc à l'école maternelle, l'enseignement ne se fait pas en allemand. On favorise donc très tôt le luxembourgeois et le français, alors que l'apprentissage de la lecture et de l'écriture se fera plus tard en allemand. La politique linguistique devrait éviter de telles fractures linguistiques. La langue utilisée ultérieurement pour l'alphabétisation devrait être favorisée dès l'âge de quatre ou cinq ans.

Les responsables politiques ont conscience de ce problème. Un projet pilote d'alphabétisation en français est actuellement mené dans quatre écoles. Lors de la deuxième année de maternelle, les parents peuvent choisir si leur enfant apprendra à lire et à écrire en français ou en allemand dans l’enseignement fondamental. L’apprentissage linguistique de leur enfant sera favorisé dès la deuxième année de maternelle.

Ce projet pilote constitue une occasion unique. Que ce soit par l’intermédiaire de chansons ou d'histoires, il serait judicieux de favoriser explicitement la compréhension de la langue dans laquelle les enfants seront alphabétisés tout au long du cycle préscolaire. Cet été, nous présenterons les premiers résultats du projet pilote. Si les résultats sont prometteurs, il s’agirait là d’une méthode pour améliorer l’égalité des chances dans notre système éducatif. Le ministère de l'Éducation est ouvert à cette idée et disposé à changer les choses, ce que nous saluons vivement en tant que scientifiques. 

Tant que les parents aux quatre coins du pays ne pourront pas choisir la langue d'alphabétisation dans l’enseignement fondamental traditionnel, l'allemand restera-t-il un obstacle majeur pour nombre d’enfants ?

Caroline Hornung : Oui, car les exigences linguistiques sont encore plus élevées au Luxembourg en raison de cette fracture linguistique et que 67 % des enfants qui fréquentent l’enseignement fondamental ne parlent ni luxembourgeois ni allemand à la maison. Et alors que beaucoup d’enfants ne maîtrisent pas encore bien l'allemand après la première et la deuxième année scolaire, le français vient s'ajouter dès la troisième année sous la forme de langue écrite. Il s’agit là d’un défi considérable pour les élèves. Dans ce contexte, une bonne maîtrise de la langue d'enseignement dans toutes les matières est indispensable.

Quel rôle joue le milieu familial dans l'acquisition des langues ? 

Lena Kaufmann : Les familles ont une très grande influence sur l'apprentissage des langues. Les enfants doivent acquérir des compétences solides dans leur langue maternelle et disposer d’un vocabulaire étendu. Ensuite, il convient de promouvoir le plus tôt possible la langue dans laquelle ils seront alphabétisés, que ce soit dans des structures d'accueil ou à la maison. Et bien entendu, il faut aussi du temps pour ancrer ces connaissances, surtout dans les familles multilingues.

Figure : Facteurs déterminants pour la compréhension orale du luxembourgeois (en vert : associations positives, en rouge : associations négatives, en gris : paramètres indépendants de la politique scolaire) Source : Hornung, C., Kaufmann, L. M., Ottenbacher, M., Weth, C., Wollschläger, R., Ugen, S. et Fischbach, A. (2023). Early childhood education and care in Luxembourg. Attendance and associations with early learning performance. Luxembourg Centre for Educational Testing (LUCET). DOI : 10.48746/epstanalpha2023pr)

Caroline Hornung : La littérature scientifique s'accorde à dire qu'une langue maternelle bien développée est déterminante pour l'apprentissage d'autres langues. Mais, selon des études internationales, les enfants issus d’un milieu socio-économique défavorisé possèdent souvent un vocabulaire plus pauvre et, de façon générale, on communique moins avec eux. Cette situation n'est pas nécessairement liée au revenu des parents, mais plutôt au manque de temps, au stress et à la manière d’interagir avec l’enfant. Discuter avec les enfants de leur journée, ne pas se contenter de leur donner des instructions et leur lire une histoire chaque jour sont des activités qui ont des effets non négligeables. Nombre de parents n'en ont pas conscience.

Selon votre étude, le redoublement à l'école maternelle n'a pas non plus d'effet positif sur les enfants présentant des faiblesses en langues et en calcul – pourquoi ?

Lena Kaufmann : D'après nos données, les redoublants ont généralement obtenu les années suivantes des résultats scolaires inférieurs à ceux des autres enfants. Il ne s'agit pas nécessairement d'une relation de cause à effet, car les difficultés d'apprentissage peuvent avoir existé avant. Cette observation confirme toutefois les conclusions des études internationales selon lesquelles il existe de meilleures façons d’aider les élèves faibles que le redoublement, comme des mesures de soutien ciblées dans les domaines où les élèves ont besoin d’appui.

En fin de compte, l'impact positif de l'EAJE sur les résultats scolaires ultérieurs est, selon votre rapport, seulement faible à modéré. Outre la prise en charge, le système d'EAJE offre-t-il une plus-value pédagogique ? Ou les jeunes enfants devraient-ils passer plus de temps à la maison ?

Lena Kaufmann : Nous n'avons pas étudié les aspects liés à l'attachement ni les raisons pour lesquelles les parents font garder leurs enfants dans des structures externes. La littérature suggère toutefois que des effets positifs à long terme peuvent être observés avec un accueil extrafamilial de qualité, même dans la petite enfance. Le contact et les échanges avec des enfants du même âge, la présence d’un personnel bien formé et sensible, le jeu en groupe et la disponibilité de matériel de jeu constituent indéniablement une valeur ajoutée.

La durée et la qualité de la prise en charge ainsi que la relation avec les éducateurs sont des facteurs importants. Une durée de prise en charge modérée de 20 à 30 heures par semaine pourrait avoir le plus d'effets positifs. L'accueil est de qualité quand le personnel est bien formé, qu'il dispose de suffisamment de temps pour chaque enfant, qu'il maintient un contact visuel et adopte une attitude chaleureuse avec l’enfant, qu'il répond à ses besoins et qu’il s’adresse à lui – si possible – dans sa langue maternelle au début, si celui-ci ne comprend pas encore le luxembourgeois.

C’est bien sûr aussi une question de conditions de travail et de nombre d'enfants à charge par éducateur. Par rapport aux autres pays, le Luxembourg investit beaucoup dans le développement de la petite enfance. Mais il y a de grandes différences entre les établissements et nous ne savons pas exactement comment et dans quelle mesure les langues y sont favorisées. Il serait intéressant de mener un projet de suivi pour étudier de façon systématique la qualité des crèches au Luxembourg.

Auteur : Britta Schlüter
Éditeurs : Michèle Weber, Jean-Paul Bertemes (FNR)

 

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