En 2005, les premières maisons relais structurées et conventionnées par l’État ont ouvert leurs portes au Luxembourg. De plus en plus de familles ont recours à ce service de prise en charge des enfants. Depuis le 12 septembre 2022, les maisons relais sont gratuites pour les enfants à partir de quatre ans pendant les semaines scolaires. Pour le gouvernement luxembourgeois, il s’agit avant tout d’une mesure importante pour garantir les mêmes possibilités d’éducation à chaque enfant, indépendamment de son milieu familial et de son origine. Ce type de prise en charge n’est toutefois pas exempt de critiques. Un certain nombre d'experts et d'études associent des effets négatifs à la fréquentation de structures d’accueil par les enfants, tels que des troubles du comportement ou des niveaux de stress plus élevés.
Nous nous sommes entretenus avec trois chercheuses, Nicole Hekel et Anette Schumacher de l'Université du Luxembourg, et Audrey Bousselin du LISER. Elles examinent l’impact du quotidien dans les structures d’accueil sur le bien-être et le développement des enfants. Nous souhaitions notamment savoir ce qui se cache derrière la critique que nous avons mentionnée plus haut. Audrey Bousselin et Nicole Hekel ont réalisé des études qui ont servi de base au Rapport national sur la situation des enfants au Luxembourg, publié pour la première fois cette année. Voici le lien vers ce rapport. Nous avons par ailleurs aussi effectué des recherches et avons recueilli les résultats d'études menées au Luxembourg et dans d'autres pays.
Pour nos lecteurs pressés, voici un aperçu des principaux points :
- Trois études luxembourgeoises ont conclu que le bien-être des enfants dans les structures d’accueil au Luxembourg est, de façon générale, élevé. Il y a toutefois aussi des enfants qui ne s'y sentent pas à l'aise.
- Les enfants semblent généralement avoir une perception plus positive de leur bien-être que le personnel d’accueil ou les parents.
- Les structures d’accueil peuvent avoir des effets tant positifs que négatifs sur le développement de l’enfant. Cela dépend dans une large mesure de la qualité de l’accueil et de la situation familiale et de vie des enfants. Les enfants qui en profitent le plus sont ceux dont la situation familiale est difficile, lorsque la maison relais propose un accueil de qualité. Les enfants qui en profitent le moins, à l’inverse, sont ceux dont la situation familiale est bonne, tandis que la qualité de l'accueil dans la maison relais laisse à désirer.
- Un personnel bien formé, la possibilité pour les enfants de participer et de contribuer aux prises de décisions et le sentiment d’appartenance figurent parmi les facteurs qui peuvent avoir une incidence positive sur le bien-être des enfants.
- En revanche, les groupes trop grands, le manque de temps du personnel, les grandes pièces au niveau sonore élevé tout comme le manque d’espaces où se retirer lorsque les enfants sont très jeunes et passent beaucoup de temps à la maison relais peuvent avoir une influence négative.
- Il est impossible de prédire quelle influence la gratuité de l’accueil des enfants aura sur la société luxembourgeoise. Les études menées dans d’autres pays sont rares et contradictoires. En effet, une étude a montré que les mères travaillent davantage lorsque les structures d'accueil sont gratuites, tandis qu’une autre a révélé qu’une proportion encore plus élevée de mères choisit de passer à un temps partiel.
- Dans l'ensemble, les études sur le bien-être des enfants dans les maisons relais sont encore rares au Luxembourg. Des études supplémentaires seraient nécessaires pour obtenir des résultats plus robustes.
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Le Dr Anette Schumacher est diplômée en psychologie et travaille comme postdoctorante au Centre for Childhood and Youth Research (CCY) à l'Université du Luxembourg. Dans le domaine de la recherche sur l’enfance et la jeunesse, elle travaille sur les thèmes du bien-être, de l’éducation non formelle et de la transition et elle est co-auteure du Rapport national sur la situation de la jeunesse au Luxembourg de 2015 et 2020.
Audrey Bousselin est chercheuse au Luxembourg Institute of Socio-Economic Research (LISER). Elle travaille au département Conditions de vie du LISER, où elle s'est spécialisée dans les interventions auprès de la petite enfance, les analyses politiques et la gestion de grands ensembles de données. Elle a contribué à l'élaboration de demandes de subventions de recherche aux niveaux national et européen sur les politiques d’accueil des enfants, le congé parental et les inégalités dans l’éducation. Parallèlement, elle a dirigé plusieurs projets sur la politique familiale et la politique en matière d’éducation et d’accueil de la petite enfance, et elle a conçu et dirigé plusieurs études sur les familles à l'échelon national.
Nicole Hekel est collaboratrice scientifique au Centre for Childhood and Youth Research (CCY) de l'Université du Luxembourg depuis 2017. Ses principaux domaines de recherche sont les études sur l'enfance relevant d'une approche fondée sur les sciences sociales et sociologiques, la pédagogie de la petite enfance ainsi que la participation, l'inclusion et le bien-être.
Qu’est-ce que le Rapport national sur le bien-être des enfants au Luxembourg ? Et comment a-t-il été élaboré ?
Le Rapport national sur le bien-être des enfants a été publié pour la première fois cette année à la demande du ministère de l’Éducation nationale, de l’Enfance et de la Jeunesse et a été réalisé par l’Université du Luxembourg et le LISER. Son objectif était d’obtenir des données sur le bien-être des enfants âgés de 0 à 12 ans vivant au Luxembourg dans différentes situations de vie (famille, école, structures d’accueil, etc.).
Il s'appuie sur les résultats de deux études :
- La première étude isolée Partizipation und Inklusion von Kindern in Strukturen der non-formalen Bildung est une étude de terrain dans le cadre de laquelle deux chercheurs ont vécu le quotidien de diverses structures d'accueil (deux maisons relais et trois crèches) et recueilli des observations pendant deux semaines pour chaque établissement. L’accent a été mis sur les facteurs de l’inclusion et la participation, c’est-à-dire sur la manière dont les enfants ont été intégrés dans le quotidien, sur leur sentiment d’appartenance et sur leur contribution pour façonner le quotidien. Cette étude a été menée par Nicole Hekel de l'Université du Luxembourg et Sascha Neumann de l'Université de Tübingen.
- La deuxième étude Le bien-être des enfants : ce qu’en disent les enfants est une étude quantitative et représentative pour le Luxembourg. Tous les enfants (respectivement, leurs parents) âgés de 8, 10 et 12 ans et résidant au Luxembourg ont été contactés en 2019, puis à nouveau en 2021. Les participants ont rempli un questionnaire standardisé et répondu à des questions sur leur situation de vie et leur bien-être. Ce questionnaire a été développé par un groupe de chercheurs multidisciplinaire et a été testé et validé dans plus de quarante pays depuis 2013 (https://isciweb.org). L’étude a été réalisée par le Luxembourg Institute of Science and Technology.
Comment se portent les enfants dans les maisons relais au Luxembourg ?
Trois études menées à ce jour au Luxembourg sur le bien-être des enfants dans les structures d’accueil concluent que le bien-être de la grande majorité des enfants y est de façon générale élevé, c'est-à-dire que les enfants s'y sentent bien.
Les trois études luxembourgeoises auxquelles nous faisons référence dans cet article sont les suivantes :
- Le bien-être des enfants : ce qu’en disent les enfants – Résultats d’une enquête représentative (Bousselin)
- Partizipation und Inklusion von Kindern in Strukturen der non-formalen Bildung in Luxemburg (Neumann & Hekel)
- Wohlbefinden von Kindern im Alter von 4-12 Jahren in der Maison Relais. (Schumacher)
La première étude mentionnée ci-dessus est une étude quantitative. Dans le cadre de cette étude, près de 8 000 enfants âgés de 8, 10 et 12 ans ont été interrogés au moyen d’un questionnaire. Il s'agit donc ici du bien-être subjectif des enfants. Voici des exemples de questions : Te réjouis-tu d’y aller ? Les activités que vous y faites te plaisent-elles et as-tu ton mot à dire ? Te sens-tu soutenu(e) par les éducateurs et les autres enfants ?
Audrey Bousselin, chercheuse au sein du département Conditions de vie du LISER et auteure de l’étude, commente les résultats : « Dans les groupes d’âge étudiés, la grande majorité des enfants ont déclaré être satisfaits de leur quotidien dans la structure d’accueil et aimer s’y rendre. 75 % des enfants ont affirmé y passer de bons moments. »
La deuxième étude mentionnée ci-dessus est une étude d’observation objective qui a été menée sur le terrain. Elle a pour objet différentes maisons relais et crèches, c’est-à-dire des enfants âgés de 0 à 12 ans. Elle est arrivée à un résultat similaire, explique Nicole Hekel, chercheuse à l’Université du Luxembourg, experte en éducation et accueil de la petite enfance et co-auteure de l'étude : « Nous nous sommes rendus dans des structures d’accueil sur une période de plusieurs semaines et y avons observé le déroulement du quotidien. Nous avons bien entendu constaté que tout ne s'y passe pas toujours sans heurts et que des conflits surgissent de temps à autre entre les enfants, le personnel et les parents. Mais les moments où les enfants ont beaucoup ri et se sont amusés étaient bien plus nombreux. »
La troisième étude mentionnée ci-dessus (Schumacher) porte sur une grande maison relais luxembourgeoise (qui accueille quelque 600 enfants). « 85% des enfants interrogés ont déclaré aimer fréquenter la maison relais », explique Anette Schumacher, chercheuse au Centre for Childhood and Youth Research (CCY) de l'Université du Luxembourg. « Dans le même temps, 30 % des enfants ont déclaré ne s'y sentir qu’« un peu bien » et 7,1 % ont affirmé s’y sentir « pas bien du tout ».
La majorité des enfants semble donc bien se porter à la maison relais. Mais s'y rendent-ils volontiers ou préféreraient-ils rester à la maison, voire à l’école ?
L’étude d'Anette Schumacher a constaté que la grande majorité des enfants (95 %) préféraient être à la maison. « C’est un résultat auquel on pouvait s’attendre », affirme Anette Schumacher. « 73 % des enfants ont toutefois déclaré même préférer aller à l'école plutôt qu'à la maison relais. Cela ne signifie pas pour autant qu'ils n’aiment pas aller à la maison relais. Selon l’étude, une explication pour cette préférence pour l’école pourrait être le programme plus réglementé et les règles de comportement clairement définies à l’école. »
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Le bien-être est défini de différentes manières dans la littérature. Selon le Rapport national sur le bien-être des enfants (2022), le bien-être peut être considéré comme un concept multidimensionnel centré sur la perception subjective de la vie des enfants. Le bien-être se compose donc des expériences et sentiments positifs et négatifs et de la satisfaction générale dans différents domaines (par exemple famille, amis, loisirs), mais aussi d’aspects de vie objectifs, tels que les ressources matérielles et la possibilité de participer à la prise de décisions concernant leur quotidien.
Dans quelle mesure les déclarations des enfants sont-elles fiables ? Les enfants savent-ils ce qui est bon pour eux ?
« Entre scientifiques, on s’accorde à dire qu’il faut interroger les enfants eux-mêmes sur la façon dont ils perçoivent leur vie et leurs expériences et sur la manière dont ils se sentent. Bien sûr, les enfants ne savent pas toujours ce qui est bon pour eux et ce qui ne l'est pas. Ou ils donnent les réponses qu'ils pensent que les adultes attendent d'eux. Pour brosser un tableau complet, il est donc important d’interroger aussi le cercle d'adultes autour de l'enfant. Nous avons vu, par exemple, que les parents ont évalué la situation et l’état émotionnel des enfants pendant le confinement différemment que les enfants eux-mêmes », affirme Audrey Bousselin. « La question de savoir à quelles déclarations accorder le plus de poids dépend de la situation. »
Comment le personnel encadrant et les parents évaluent-ils le bien-être des enfants ?
Dans l’étude d'Anette Schumacher, le personnel et les parents ont également été interrogés : « Deux tiers du personnel encadrant ont estimé que le bien-être des enfants était positif (mais pas élevé), alors qu’environ un tiers l'a qualifié de « plutôt faible », voire « essentiellement faible ». En outre, la moitié d’entre eux ont jugé que les enfants ne recevaient pas suffisamment d’attention émotionnelle. Plus des deux tiers ont également jugé que les enfants n’étaient pas suffisamment stimulés en raison du manque de temps », explique Anette Schumacher.
« Les parents ont estimé que le niveau de bien-être des enfants était généralement élevé, mais qu’il avait tendance à être légèrement inférieur à celui rapporté par les enfants eux-mêmes. »
Quels facteurs dans les structures d’accueil ont une influence sur le bien-être des enfants ?
Dans la littérature spécialisée, le bien-être des enfants est considéré comme un concept multidimensionnel. De nombreux facteurs différents relevant de divers domaines de vie ont une influence sur la façon dont les enfants se sentent.
« La littérature nous indique que les conditions-cadres de la structure, comme la taille des groupes ou la qualification du personnel encadrant, constituent entre autres des facteurs importants », explique Anette Schumacher. « Il est par exemple préférable de diviser l'espace en de nombreuses petites pièces, car un niveau sonore trop élevé et un manque de lieux pour se retirer peuvent générer du stress chez les enfants. »
Selon Nicole Hekel, un élément fondamental consiste à savoir si les enfants ont un sentiment d’appartenance et s’ils ont l’impression d’avoir leur mot à dire en ce qui concerne les activités quotidiennes. Ils appellent cela l'inclusion et la participation.
« Mais le nombre d’heures qu’un enfant passe dans des structures d’accueil semble aussi jouer un rôle. Un nombre trop élevé d’heures de prise en charge dans ces structures semble avoir un effet plutôt négatif sur le bien-être des enfants », conclut Audrey Bousselin. « On le sait d’études menées dans d'autres pays. Mais nous sommes en train de réaliser des études à ce sujet ici au Luxembourg sur les relations entre le bien-être des enfants et la nature de l’accueil. »
Quels facteurs peuvent encore être améliorés dans les structures d’accueil luxembourgeoises ?
« Les données du sondage montrent que la participation à la prise de décisions est le facteur qui a été évalué le moins positivement par rapport aux autres facteurs (sentiment de sécurité, sentiment d’être bien entouré, etc.). Certains enfants ont le sentiment de ne pas avoir leur mot à dire dans le quotidien de la structure. On pourrait donc affirmer qu'il s'agit là d'un point qui pourrait être amélioré. Il ne faut cependant pas oublier que tout n'est pas réalisable dans la pratique. Dans un groupe d’enfants, trouver un compromis dans toutes les situations peut constituer un défi de taille pour le personnel encadrant. En outre, certains aspects peuvent difficilement faire l'objet de discussions, comme les normes de sécurité qui doivent dans tous les cas être respectées », explique Audrey Bousselin.
« Un autre point qui peut être développé est la sensibilisation des parents et des enfants aux droits des enfants et des jeunes. La question du bien-être des enfants est en effet étroitement liée à la mise en œuvre des droits de l'enfant. S’il est vrai qu’ils semblent être au courant de leur existence, ils ne savent pas forcément en quoi ils consistent exactement », estime Nicole Hekel.
L’étude d'Anette Schumacher a également recueilli les propositions d’amélioration des parents et du personnel encadrant de cette maison relais. « Les parents souhaitaient la mise en place de groupes plus petits pour une prise en charge plus individuelle, une communication renforcée avec le personnel encadrant et une prise en charge plus affectueuse. »
Selon Anette Schumacher, la plupart des membres du personnel encadrant ne sont en outre pas très satisfaits des tâches quotidiennes qu'ils doivent accomplir en leur qualité de personnel éducatif : « 76 % des membres du personnel de cette maison relais se sentaient un peu aliénés dans leur travail. L’administration et l’organisation figureraient au premier plan, si bien qu'il ne leur resterait plus beaucoup de temps pour faire ce pour quoi ils ont été formés : le travail pédagogique. De plus, la taille des groupes dans différentes salles serait parfois trop importante, ce qui ne permettrait pas de respecter le nombre maximal d’enfants par éducateur », explique Anette Schumacher.
Les structures d’accueil ont-elles une influence positive sur le développement des enfants ?
Au Luxembourg, les structures d'accueil pour enfants sont considérées comme des institutions d'éducation non formelle. Selon le Rapport national sur l’éducation de 2021, outre le développement social, l'accent doit aussi être mis sur le développement cognitif. En effet, selon Audrey Bousselin, les structures d’accueil peuvent avoir un effet positif sur les capacités cognitives des enfants, telles que les compétences en mathématiques et en langues ou encore la mémoire. « Les études européennes ont toutefois abouti à des résultats très différents. Certaines mettent en évidence des effets positifs, d’autres n’en ont observé aucun, alors que d’autres encore ont constaté des effets négatifs. Il a souvent été conclu que les effets positifs sont d'autant plus importants que la situation familiale est mauvaise. Il faut toujours se demander quelle serait l’alternative à la structure d’accueil. Si les enfants ne s’y rendaient pas, seraient-ils à la maison, bien entourés et soutenus, ou resteraient-ils plutôt seuls, dépourvus d’affection et sans soutien pédagogique ? »
Certaines études ont identifié un lien entre la fréquentation de structures d'accueil et les troubles du comportement et l'augmentation du stress chez les enfants. Qu’en est-il réellement ?
Une méta-étude qui a analysé les résultats de différentes études a constaté que les enfants sécrétaient plus d’hormones de stress lorsqu’ils fréquentaient une structure d’accueil que lorsqu'ils étaient gardés à la maison. Selon les auteurs, ce phénomène est toutefois étroitement lié à la qualité de la structure d’accueil et à l’âge des enfants : plus les interactions avec le personnel encadrant étaient mauvaises et plus les enfants étaient jeunes, plus le niveau de stress était élevé. Une étude américaine de grande envergure a également mis en évidence des troubles du comportement, tels qu’une diminution des aptitudes sociales ou une augmentation de la fréquence des conflits avec le personnel enseignant lorsque les enfants passaient plus de temps dans une structure d'accueil. Là encore, les effets étaient plus marqués lorsque les enfants étaient accueillis dans une crèche pendant les quatre ou cinq premières années de leur vie. Dans l’étude d'Anette Schumacher, les enseignants ont affirmé avoir constaté des difficultés de concentration chez les enfants. Selon eux, les enfants auraient des difficultés à fixer longtemps leur attention sur une même chose.
Que pensent les expertes de cette critique ?
« Une prise en charge pendant de nombreuses heures peut en effet constituer une source de stress pour de nombreux enfants », affirme Nicole Hekel à ce sujet. « Je n’y verrais toutefois pas directement un lien de causalité. Les troubles n'ont pas nécessairement de lien direct avec le temps que les enfants passent dans la structure d’accueil. De plus, il est souvent très difficile de comparer directement la situation au Luxembourg avec celles examinées par des études menées dans d'autres pays, car chaque pays a des structures et des règles qui lui sont propres. Il convient toutefois d’identifier les situations qui génèrent du stress pour les enfants et de les prévenir », conclut Nicole Hekel.
« Il faut ajouter que ces effets négatifs ont été observés plutôt pendant une courte période. À plus long terme, et au plus tard lorsque les enfants quittent l’école primaire, ces effets ont tendance à s'estomper », explique Audrey Bousselin.
Comment la qualité des structures d’accueil est-elle garantie au Luxembourg ?
Au Luxembourg, les critères de qualité sont déterminés par la loi (selon le règlement grand-ducal du 20 juillet 2005 concernant l'agrément à accorder aux gestionnaires de maisons relais pour enfants) et contrôlés par des experts externes. On a par exemple défini des normes en ce qui concerne les locaux, déterminé un nombre maximal d’enfants accueillis par éducateur ou par assistant parental et mis en place une obligation de justifier d’une qualification professionnelle. En outre, le cadre de référence national sur l'éducation non formelle définit les objectifs d’apprentissage pédagogiques auxquels les institutions doivent se conformer.
Les expertes Audrey Bousselin et Nicole Hekel s’accordent toutefois à dire qu’une méthode d’évaluation uniforme et des paramètres clairement définis pour garantir le bien-être des enfants doivent encore être mis en place : « Ce qui manque encore au Luxembourg et dans d’autres pays aussi, ce sont des indicateurs de qualité pour la garde d'enfants. Ces indicateurs sont importants pour suivre et évaluer l'impact de l'accueil sur le bien-être et le développement des enfants. Il s'agit, par exemple, de déterminer comment mesurer précisément la qualité des interactions entre les enfants et le personnel, ainsi qu’au sein des groupes d’enfants », explique Audrey Bousselin.
Quels sont les avantages de la gratuité des maisons relais au Luxembourg ? Et quel en est l’impact sur la société ?
Il existe actuellement peu d'études qui se sont penchées sur l'impact d'une prise en charge gratuite des enfants sur la société. Et les résultats sont parfois très divergents.
Une étude anglaise a montré que les mères travaillaient plus d’heures lorsqu'elles disposaient d'un service d'accueil gratuit toute la journée. Une étude allemande, quant à elle, a mis en évidence que les mères réduisaient leur activité professionnelle et que les parents profitaient de l'argent économisé pour passer plus de temps avec leurs enfants à la maison. Cette dernière étude a également constaté que seuls les enfants en âge préscolaire (0 à 3 ans) fréquentaient plus souvent une garderie lorsque l’offre est gratuite, le taux de fréquentation restant identique pour les autres enfants. L’étude a aussi constaté que les ménages plus défavorisés recouraient bien davantage à une offre de garde d’enfants gratuite que les familles à revenu moyen.
« Des études à long terme menées aux États-Unis ont examiné l’impact de la garde d’enfants sur le développement des enfants en situation familiale précaire. Elles mettent en lumière des effets positifs à long terme, et cela, jusqu’à l’âge adulte : meilleurs résultats scolaires, moins de comportements à risque, moins d'abus de drogues, taux de chômage plus faible, etc. Ces résultats ne s'appliquent toutefois qu'à ce groupe particulier d'enfants vulnérables. Pour connaître les avantages de l’accueil gratuit des enfants pour la société luxembourgeoise, nous devrions aussi mener des études à long terme ici au Luxembourg », explique Audrey Bousselin.
Que pensent les expertes de la gratuité des maisons relais ?
« À vrai dire, je ne considère pas cette mesure comme positive ou négative en soi. Bien sûr, je peux comprendre que l’on se pose un certain nombre de questions. Les maisons relais sont-elles des structures où les parents se contentent de déposer leurs enfants ? Le côté pédagogique passera-t-il à la trappe lorsque ces structures sont surpeuplées ? Nous devons aussi nous poser ces questions et observer ce processus. J’attribue de nombreux avantages aux maisons relais et aux autres structures d’accueil. Avec la gratuité, les offres d’éducation non formelle pré- et extrascolaire s’adressent désormais à toutes les familles et non seulement à celles qui ont les moyens financiers », déclare Nicole Hekel.
« J’y vois surtout une opportunité pour les enfants issus de milieux défavorisés. On a observé que les services d’accueil d’enfants réduisent les différences entre les enfants au moment de leur scolarisation, et même encore après. Il existe en effet de très grandes inégalités entre les enfants lorsqu’ils commencent l’école, qui peuvent d’emblée en désavantager certains d'entre eux. Les structures d'accueil pourraient contribuer à les réduire, d’autant plus que davantage de familles à faibles revenus en bénéficient désormais », déclare Audrey Bousselin.
Auteure : Lucie Zeches (FNR)
Éditeurs : Jean-Paul Bertemes (FNR), Michèle Weber (FNR)
Traduction : Nadia Taouil (t9n)