Eva Sierminska
Interview de l’économiste Eva Sierminska sur les inégalités au sein du marché du travail et l'écart de richesse
Dr Sierminska, vous étudiez les disparités de revenus, les inégalités sur le marché du travail et l’écart de richesse au Luxembourg. Quels sont les principaux résultats ?
J’étudie principalement ces questions dans le cadre de l’accumulation de la richesse. J’ai été frappée de constater que les différentes décisions que les personnes prennent sur le marché du travail provoquent un rapide creusement de l’écart de richesse. Ainsi, les jeunes ne se rendent pas compte que leur décision d’abandonner provisoirement le marché du travail ou de reporter leurs projets d’épargne de seulement quelques années se traduit par une perte de richesse. Ces pertes s’accumulent à un rythme effréné.
Nous ne savons pas encore véritablement comment de telles décisions se traduisent par des inégalités de richesse. Afin de garantir un niveau de vie suffisant à la majeure partie de la société, nous nous efforçons toutefois d’en comprendre la causalité. La meilleure solution ne consiste pas nécessairement à verser des prestations sociales aux personnes en difficulté financière. A terme, nous souhaitons leur proposer des solutions leur permettant d’accumuler de la richesse de leurs propres efforts.
Formulez-vous des recommandations aux décideurs politiques ?
Mon travail s'appuie sur des recherches empiriques. Cependant, l’institution pour laquelle je travaille actuellement, le Luxembourg Institute of Socio-Economic Research (LISER), fournit des travaux de recherche pour l'élaboration des politiques publiques. Dans le cadre de mes recherches, je suis donc souvent amenée à formuler des recommandations en matière de politique.
Par exemple, une étude a révélé que les populations les plus jeunes s'orientent davantage vers les mesures de stimulation de l’épargne, tandis que les populations les plus âgées préfèrent contracter des emprunts en utilisant leur logement comme garantie pour financer leurs dépenses pendant leur retraite. Sur la base de ces conclusions, les ministères du Travail peuvent décider de prendre des mesures en ce sens.
Une question souvent abordée est celle des inégalités de richesse entre les hommes et les femmes …
Effectivement. Il s’agit néanmoins d’un thème particulièrement difficile à étudier en profondeur. S’il est relativement facile de comparer les ménages avec des hommes ou des femmes célibataires, il est néanmoins beaucoup plus compliqué d'analyser la situation au sein des ménages, par exemple les inégalités de richesse entre les couples mariés. Rares sont les pays mettant à disposition des données fournissant le niveau de détail suffisant. Cet état des choses n’est pourtant pas alarmant. Les données recueillies par la Banque centrale européenne (BCE) nous fournissent une image générale nous permettant de comparer la situation entre les différents pays.
Dans notre rapport, « Wealth and Gender », nous avons découvert que les niveaux et la composition de la richesse varient significativement entre de nombreux pays. Ainsi, le niveau de richesse d'un ménage moyen au Luxembourg s'élève à 400 000 euros, alors que celui d'un ménage moyen en Allemagne n'avoisine que 50 000 euros. En revanche, l'inégalité, c’est-à-dire les disparités en termes de distribution de la richesse au sein d'un pays, est la plus élevée en Allemagne et en Autriche. Le Luxembourg se situe dans la moyenne des pays européens. Les inégalités de richesse entre les hommes et les femmes s’expliquent principalement par la participation au marché du travail et les salaires. Dans une autre étude, je me suis également penchée sur la distribution de la richesse au sein des ménages.
Actuellement, vous étudiez l’inégalité entre les économistes …
C’est exact. Je me suis d’ailleurs récemment rendue en Arizona dans le cadre du projet INTER Mobility financé par le Fonds National de la Recherche (FNR). J’y ai étudié les disparités de revenus et le domaine de spécialisation des économistes du milieu universitaire. Par rapport à l’ingénierie, par exemple, l'économie est un domaine qui se prête parfaitement à une étude de ce genre. En effet, l'économie couvre un spectre de compétences très large. Ainsi, certains économistes travaillent sur des modèles mathématiques très abstraits, alors que d’autres ont une vision plus concrète de l'économie, se basant sur des chiffres comme le taux de chômage ou le taux d'inflation.
Dans le cadre de notre projet, nous souhaitons répondre aux questions suivantes. Les choix de leur domaine de spécialisation par les femmes sont-ils dictés par leurs préférences ? Certains groupes convoitent-ils plus des salaires élevés ? Des barrières existent-elles ? Les États-Unis, où les informations sur les salaires relèvent du domaine public, sont le pays idéal pour réaliser une telle étude. Dans notre étude préliminaire, nous avons découvert que les salaires convoités par les personnes influent sur le choix de domaine de spécialisation en économie.
Publications
Auteur: Tim Haarmann
Photo: Eva Sierminska
Infobox
Dr Eva Sierminska est économiste au Luxembourg Institute of Socio-Economic Research (LISER). Elle a obtenu son doctorat d'économie à l'Université Johns-Hopkins à Baltimore (Maryland). Pendant sa carrière, elle a travaillé comme chercheur invité à l'Université d'Arizona, à l’Institute for the Study of Labor (IZA) à Bonn, au Deutsches Institut für Wirtschaftsforschung (DIW) à Berlin, à l’Université de Turin, à l’Institut national d'études démographiques (INED) à Paris et à la Banque fédérale de réserve de San Francisco. Elle a publié ses travaux dans différentes revues (Oxford Economic Papers, Economic Letters, Review of the Economics of the Household). Elle est directrice de la rédaction (Managing Editor) du Journal of Income Distribution. Elle centre principalement ses recherches sur l'économie du travail et des populations, l’inégalité entre les pays et les groupes démographiques dans les portefeuilles de fortune, la distribution de la richesse et les outils de mesure de l’inégalité. Lien vers profil sur le site web du LISER.