AdobeStock/RomanWhale studio, University of Luxembourg/LISER

Prof. Dr. Birte Nienaber (UL, en haut à gauche), Dr. Christophe Sohn (LISER, en haut à droite), Dr. Christian Lamour (LISER, en bas à gauche), Prof. David Howarth (UL, en bas à droite)

Il y a quarante ans, cinq pays européens signaient un accord dans la petite ville de Schengen au Luxembourg, jetant les bases d'une zone sans frontières qui comprend aujourd'hui plus de deux douzaines de pays. Ce qui a commencé comme une expérience audacieuse de mobilité et de coopération est devenu l'une des expressions les plus tangibles du projet européen, façonnant la manière dont les gens vivent, travaillent et se déplacent sur le continent.

Mais aujourd'hui, l'Europe est confrontée à de nouveaux défis à ses frontières et à des pressions politiques et sociétales croissantes. L'avenir de Schengen est à nouveau sous les feux de la rampe et constitue un point d'ignition dans les débats sur les migrations, la sécurité et la souveraineté. À l'occasion du 40e anniversaire de l'accord, nous avons demandé à des chercheurs locaux spécialisés dans la géographie, les sciences politiques et la recherche sur les frontières de nous faire part de leur point de vue sur le passé, le présent et l'avenir de Schengen.

Biographies courtes des chercheurs

Prof. Dr. Birte Nienaber, professeur de géographie politique à l'Université du Luxembourg (depuis 2013), a obtenu son doctorat en géographie à l'Université de Münster et son habilitation à l'Université de la Sarre. Elle a coordonné de nombreux projets financés par l'UE dans le domaine des frontières et de la migration, notamment les projets H2020 MIMY et MOVE. Elle a également été chef de lot de travail dans le projet FP7 DERREG et dans les projets H2020 CEASEVAL et RELOCAL. Actuellement, elle fait partie du projet HEU INNOVATE et coordonne les points de contact nationaux de l'UE  EMN et FRANET. Elle est responsable de la formation du Masters in Border Studies à l'Université du Luxembourg et membre du comité de pilotage de l’Université de la Grande Région - Center for Border Studies.

Christophe Sohn est géographe et spécialiste des frontières. Il travaille actuellement en tant que chercheur senior au sein du département Développement Urbain et Mobilité du Luxembourg Institute of Socio-Economic Research (LISER). Ses recherches portent sur les processus d’intégration transfrontalière ainsi que sur diverses problématiques liées à la coopération territoriale et à la gouvernance régionale. Il s’intéresse particulièrement aux manières dont les frontières nationales peuvent constituer une ressource économique, politique ou symbolique pour les villes frontalières. Son projet le plus récent, soutenu par le Fonds national de la recherche du Luxembourg, explore le rôle symbolique des frontières dans le cadre des initiatives de coopération transfrontalière en Europe. Depuis 2018, Christophe est co-rédacteur en chef du Journal of Borderlands Studies.

Dr. Christian Lamour est chercheur au Département Urban Development and Mobility (UDM) du Luxembourg Institute of Socio-Economic Research (LISER). Ses recherches portent sur l’organisation politique, médiatique et culturelle des espaces urbains, régionaux et transfrontaliers en Europe. Il analyse tout particulièrement le positionnement et la normalisation des droites radicales quant à la définition des espaces européens.

Professor Howarth a été engagé en tant que professeur titulaire en sciences politiques : Études sur l'Union européenne à l'Université du Luxembourg en 2012, après avoir occupé des postes à l'Université de Londres et à l'Université d'Édimbourg. Il est membre fondateur de l'Initiative Robert Schuman (RSI) de l'Université du Luxembourg, qui est depuis 2016 un centre interdisciplinaire de premier plan pour l'étude des affaires européennes. Il a été directeur de la RSI de 2018 à 2025. Le professeur Howarth a participé à de nombreux projets de recherche financés par des subventions de l'UE, du Royaume-Uni et du Luxembourg, notamment le projet « Realigning the European Financial Architecture for the C21 » financé par le FNR. Il fait actuellement partie du réseau PROSPER Jean Monnet, dirigé par Federico Fabbrini, Dublin City University (2024-27).

 

Voici les réponses des chercheurs (en allemand, français et anglais) :

Du point de vue de la recherche, comment évalueriez-vous les impacts sociaux ou économiques les plus significatifs de l'accord de Schengen sur les communautés transfrontalières au sein de l'UE ?

Birte Nienaber: Das Schengener Abkommen ist eine der bedeutendsten Errungenschaften europäischer Integration. Es hat nicht nur physische Grenzen abgebaut, sondern wirkt auch als Katalysator für das Überwinden mentaler, sozialer und wirtschaftlicher Barrieren. Offene Binnengrenzen fördern den sozialen Zusammenhalt – etwa durch erleichterte grenzüberschreitende Projekte oder das Entstehen eines gemeinsamen europäischen Wir-Gefühls, insbesondere in Grenzregionen. Der Wegfall systematischer Grenzkontrollen hat den Warenverkehr erheblich vereinfacht und neue wirtschaftliche Kooperationsräume geschaffen. Ein Beispiel dafür ist die Gründung Europäischer Verbünde für territoriale Zusammenarbeit (EVTZ), die bestehende juristische und verwaltungstechnische Hürden zwischen Mitgliedstaaten überwinden sollen. Gleichzeitig machen diese Strukturen deutlich, dass auch 40 Jahre nach Unterzeichnung des Schengener Abkommens noch zahlreiche Herausforderungen bestehen – etwa im Bereich der steuerlichen Unterschiede oder der sozialen Sicherungssysteme.

Christophe Sohn: Les accords de Schengen ont profondément transformé la vie des communautés transfrontalières, tant sur le plan social qu’économique. La suppression des contrôles aux frontières a facilité la mobilité quotidienne des habitants, qui circulent librement pour le travail, les études, les soins ou les loisirs. Dans les régions transfrontalières fortement intégrées comme le Luxembourg et la Grande Région, cette liberté a favorisé l’émergence d’une identité transfrontalière, où langues, cultures et pratiques se mêlent, et où les réseaux personnels, familiaux et associatifs se sont densifiés de part et d’autre des frontières. Économiquement, Schengen a permis la constitution de véritables bassins d’emploi transfrontaliers, apportant des solutions concrètes à la pénurie de main-d'œuvre et dynamisant les marchés locaux. Cela s’est toutefois accompagné d’un accroissement des inégalités sociales et territoriales entre régions voisines lorsque les différentiels frontaliers sont importants. Enfin, même si tous les obstacles frontaliers n’ont pas été levés, l’accès élargi aux services et infrastructures de part et d’autre des frontières a globalement amélioré la qualité de vie des citoyens.

Christian Lamour: Je dirais que les accords de Schengen en instituant la libre circulation des personnes en Europe ont accompagné une mutation structurelle de certains espaces transfrontaliers marqués par des dynamiques de croissance économique différentiées. C’est le cas des aires métropolitaines comme par exemple celle centrée sur le Luxembourg avec un pôle attracteur principalement situé d’un côté de la frontière et la présence d’une main d’œuvre mobilisable de l’autre côté de la frontière. Le Grand-Duché a une croissance économique qui s’appuie sur un bassin d’emplois transfrontalier avec plus de 50 % de ses actifs résidant dans les pays voisins, soit 230.000 personnes en 2024. Sans les accords de Schengen, ce modèle d’organisation spatiale de l’économie grand-ducale serait très difficile. Est-ce que Schengen a facilité une intégration régionale transfrontalière ? Ces accords ont surtout renforcé les interdépendances régionales transfrontalières dans certains contextes géographiques. Ces interdépendances ont été prises en compte par les acteurs de la gouvernance publique facilitant une mobilité transfrontalière avec notamment une politique de transports publics.

David Howarth: As a political economist focused on European market integration, I must first emphasise the positive economic effects of Schengen — that is the elimination of border controls / free movement among participating countries. While economists will quibble on the precise figure, they will almost all agree that border controls represent major transaction costs, the elimination of which improves economic growth. The economic boost over the past forty years will have varied significantly across the EU, depending on the specific border in question and the cross-border flows of people (including labour), goods and services. Given this economic boost, one would assume that Europeans living in border areas are aware of these benefits and would tend to be more positive with regard to the EU and further European integration. Recent research however, indicates that this might not be the case, suggesting that public opinion in these areas — although generally favourable towards the EU — is somewhat detached from the de facto economic benefits of the Schengen area specifically and European economic integration more generally. 

Quelle est la valeur ajoutée de l’accord de Schengen pour le Luxembourg ?

Birte Nienaber: Luxemburg profitiert in besonderem Maße vom Wegfall der Binnengrenzen, da es wirtschaftlich stark mit seinen Nachbarstaaten verflochten ist. Besonders relevant sind dabei die über 200.000 Grenzgängerinnen und Grenzgänger, die täglich aus Frankreich, Deutschland und Belgien einpendeln und einen erheblichen Teil der Arbeitskräfte stellen – insbesondere in Schlüsselbereichen wie Gesundheitswesen, Bau oder Finanzdienstleistungen. Auch der erleichterte Waren- und Kapitalverkehr fördert Luxemburgs wirtschaftliche Dynamik. Ein Nebeneffekt ist der sogenannte „Tanktourismus“, der durch günstige Preise und offene Grenzen über Jahre hinweg begünstigt wurde. Zudem wirkt das Schengener Abkommen dämpfend auf den angespannten Wohnungsmarkt: Viele Beschäftigte wohnen in den angrenzenden Regionen und entlasten so die Wohnraumnachfrage in Luxemburg selbst. Das Schengener Abkommen stärkt damit Luxemburgs wirtschaftliche Resilienz und regionale Integration maßgeblich.

Christophe Sohn:Les accords de Schengen ont à l’évidence favorisé l’essor du travail frontalier vers le Luxembourg et la constitution d’un bassin d’emploi transfrontalier au cœur de la Grande Région. La suppression des contrôles aux frontières a en effet facilité les navettes quotidiennes entre les régions frontalières allemandes, belges et françaises et le Luxembourg. Même si bien d’autres facteurs entrent en ligne de compte, on peut souligner que depuis l’entrée en vigueur des dispositions des accords de Schengen en 1995, le nombre de travailleurs frontaliers est passé de 57 000 personnes à plus de 223 000 de nos jours. Les accords de Schengen ont également contribué indirectement à accroître la mobilité résidentielle entre pays européens et en particulier entre le Luxembourg et les pays voisins. Même si Schengen traite de la circulation et non du droit de séjour, il fonctionne de pair avec la citoyenneté européenne instaurée par le traité de Maastricht (1992), qui garantit le droit de résider dans un autre État membre. En facilitant la mobilité des personnes, Schengen rend ce droit plus fluide et plus accessible dans la pratique.

Christian Lamour: Les accords de Schengen permettent au Luxembourg d’avoir un pouvoir d’attraction auprès de l’ensemble des actifs européens au-delà des seuls salariés présents dans les espaces frontaliers. Il faut regarder la composition des résidents étrangers présents dans le pays. Les trois quarts d’entre eux viennent des autres pays de l’UE, soit 245 000 personnes en 2024. Avant les accords de Schengen, en 1981, ils étaient 87 000. Il s’agit d’une singularité en Europe. La plupart des résidents étrangers dans les autres Etats membres sont extra-Européens. Les accords de Schengen permettent donc au Luxembourg d’attirer les compétences dont il a besoin et tout particulièrement pour ses activités du tertiaire supérieur. Il y a une plus-value économique, mais aussi culturelle avec la coprésence de population aux identités différentes. L’ambition communautaire « d’unité dans la diversité », c’est dans les interactions du quotidien qu’elle peut se pratiquer au Grand-Duché. Dans les autres pays de l’Union, « l’autre » Européen peut apparaitre comme une réalité plus lointaine, une construction plus imaginaire s’appuyant sur les stéréotypes nationaux.

David Howarth: The added value for Luxembourg is immense. Clearly, the Grand Duchy benefits significantly from the free movement of people which facilitates the free movement of labour. Just less than half of Luxembourg’s workforce commutes in from the surrounding three countries, a proportion that is — by a significant margin — the highest of all EU member states. With residential property prices amongst the highest in the EU, Luxembourg is fortunate to be able to ‘import’ such a large percentage of its workforce much of which could not afford to live in the Grand Duchy. The bulk of goods that cross the country daily with minimal hindrance are clearly not for domestic consumption. However, as a country that imports the very large majority of the manufactured and agricultural goods that its consumes, Luxembourg benefits disproportionately from the economic boost of control-free borders.

À la lumière des crises récentes — des vagues migratoires aux pandémies en passant par les tensions géopolitiques — quelle est la résilience du cadre de Schengen, et, d’un point de vue scientifique, quelles réformes pourraient être nécessaires pour l’adapter aux quarante prochaines années ?

Birte Nienaber: Angesichts zunehmender globaler Krisen – von der Covid-19-Pandemie über den internationalen Terrorismus bis hin zu geopolitischen Spannungen – ist eine Reform des Schengener Abkommens dringend erforderlich. Auch der Aufstieg von Populismus und Nationalismus in vielen Teilen Europas gefährdet die Idee eines offenen, geeinten Kontinents. Schengen muss krisenfester und zugleich demokratischer gestaltet werden. Der Außengrenzschutz spielt dabei eine zentrale Rolle, sollte jedoch konsequent im Einklang mit den Menschenrechten erfolgen – nicht als Symbol völliger Abschottung. Nach innen braucht es mehr Aufklärung: Viele Menschen sind sich der konkreten Vorteile freier Binnengrenzen kaum bewusst. Zudem ist es wichtig, faktenbasiert über Migration zu informieren – gerade angesichts rückläufiger Zahlen. Temporäre Grenzkontrollen dürfen nur in Ausnahmefällen und für kurze Zeiträume zulässig sein. Der Bau dauerhafter Grenzstationen, wie derzeit an deutschen Grenzen, widerspricht dem Geist von Schengen und gefährdet den sozialen Frieden in Europa.

Christophe Sohn: Si les accords de Schengen ont résisté aux crises successives qui ont récemment secoué l’UE, de nombreux défauts ont été mis en évidence, tant au niveau du contrôle des frontières extérieures que de l’application de la liberté de circulation au sein de l’UE. En ce qui concerne les frontières intérieures, de nombreux États ont périodiquement rétabli des contrôles temporaires à leurs frontières, invoquant des menaces graves à l’ordre public ou à la sécurité (terrorisme, migrations, crime organisé, pandémie de Covid-19). Durant la pandémie, des restrictions vis-à-vis de la mobilité des personnes ont ainsi conduit à une fermeture partielle des frontières censées être ouvertes. Dans les régions transfrontalières, ces limitations ont fortement affecté la vie quotidienne des habitants et le fonctionnement des territoires ; au Luxembourg, on a soudainement pris conscience de la dépendance du pays vis-à-vis du travail frontalier, en particulier en ce qui concerne le fonctionnement de services essentiels comme les hôpitaux. Paradoxalement, ces restrictions ont permis de révéler l’existence de véritables bassins de vie transfrontaliers qui jusqu’ici restaient largement ignorés des décideurs nationaux. Un premier pas vers la reconnaissance des régions frontalières comme des espaces de vie intégrés a été franchi avec la révision du code Schengen en 2024. Tout n’est pas réglé pour autant car les réflexes nationaux ont la vie dure. Un des défis pour la recherche scientifique des années à venir consiste à convaincre les décideurs, mais aussi une partie croissante de la population, que la fermeture des frontières n’est généralement pas une mesure efficace pour faire face à des menaces extérieures et qu’elle s’accompagne d’effets néfastes pour les régions frontalières et leurs habitants, soit plus de 200 millions de citoyens européens.

Christian Lamour: Avant toute chose, les accords de Schengen n’ont pas conduit à une disparition des contrôles frontaliers et notamment ceux des frontières internes de l’UE. Ils ont conduit à une recomposition des contrôles. On n’est passé d’un contrôle territorial du liseré étatique à celui plus malléable et épisodique des réseaux transfrontaliers accompagné d’un retour autorisé de la surveillance des linaires frontaliers hérités. Vous parlez des crises. L’histoire de la construction européenne s’est toujours faite à partir de crises. Les accords et traités européens ont montré, non pas leur résilience propre pendant ces temps troublés, mais la résilience de la coopération instaurée par des Etats membres ayant conscience que le passage des crises nécessite un affermissement de la souveraineté étatique partagée plutôt qu’un repli sur une hypothétique souveraineté étatique retrouvée. La tentation de l’isolation et la casse des traités a pour l’instant attiré peu de candidats et les accords de Schengen absorberont donc probablement les crises avec, encore une fois, une recomposition possible des systèmes de surveillance des frontières et des mobilités et non pas leur disparition.

David Howarth: The Schengen area has shown impressive resilience despite the tensions created by certain member state governments which have, for example, reimposed border controls for specific periods of time or refused to cooperate fully with decisions taken in the context of the EU’s asylum policy. With the obvious exception of the period of the pandemic, these examples of ‘awkward member states’, driven by domestic politics, have created only a minor hindrance for the free movement of EU passport holders and those residents and others who are in the Schengen area legally. Two major groups of reforms are vital to ensure that we maintain — and ideally build — public confidence in the Schengen area. Both are, admittedly, controversial because they potentially undermine the rights of immigrants, asylum-seekers and even EU citizens. The first is the reinforcement of the Schengen area’s internal control mechanisms, including police cooperation and the operation of the Schengen Information System (SIS). The second group of reforms concerns the reinforcement of the Schengen area’s external border through a reinforced Frontex and a more effective management of illegal immigration and asylum.

D’un point de vue scientifique, comment le concept de « frontière » a-t-il évolué dans le discours politique européen depuis Schengen, et quel rôle jouent aujourd’hui les frontières non physiques (par exemple numériques, bureaucratiques) ?

Birte Nienaber: Mit dem Schengener Abkommen wurde in der wissenschaftlichen Debatte zunächst die Vision eines „grenzenlosen Europas“ betont. Dabei standen vor allem die Vorteile grenzüberschreitender Mobilität und Zusammenarbeit im Fokus; Nachteile wurden eher am Rande thematisiert. Spätestens seit den Anschlägen vom 11. September 2001 hat sich der wissenschaftliche Fokus jedoch verschoben: Sicherheitsaspekte, digitale Grenzregime und neue Formen sozialer Ausgrenzung traten verstärkt in den Vordergrund. In Studiengängen wie dem trinationalen „Master in Border Studies“ wird Grenzen heute ein interdisziplinärer Zugang gewidmet. Dabei zeigt sich: Grenzen sind nicht nur territoriale Linien, sondern auch kulturelle, soziale und digitale Konstrukte, deren Bedeutung je nach Perspektive variiert. Auch vor dem Hintergrund temporärer Grenzkontrollen hat sich die Wissenschaft zunehmend von der Idee des grenzenlosen Europas entfernt – zugunsten eines differenzierten Verständnisses von Grenzen in ihrer Vielschichtigkeit.

Christophe Sohn: Le concept de frontière a connu une profonde évolution dans le discours politique européen depuis la mise en place des accords de Schengen. À partir des années 1980, la frontière a cessé d’être vue uniquement comme une ligne de séparation souveraine entre États pour devenir progressivement une zone de contact et d’échanges. Le discours politique a accompagné cette transformation en valorisant les frontières comme espaces de coopération transnationale, notamment via les eurodistricts, eurorégions et les politiques de cohésion territoriale (Interreg). L’idée d’ouverture des frontières et de libre circulation étant consubstantielle au projet européen, Schengen a pour un temps symbolisé l’effacement des frontières intérieures de l’UE. Mais les crises récentes ont montré que la frontière reste un instrument de souveraineté nationale, réactivable à tout moment. Cela a conduit à une re-politisation de la frontière dans les discours, où elle redevient une barrière protectrice face aux « menaces » (réelles ou perçues). Alors que les frontières internes étaient « ouvertes », l’UE a renforcé ses frontières extérieures, en confiant à des agences comme Frontex le rôle de gardien. Le discours politique européen a ainsi déplacé la fonction de la frontière : de barrière entre États membres à outil de gestion des flux migratoires et de sécurité, à l’intérieur de l’espace Schengen comme à l’extérieur. Cette vision d’une frontière comme un dispositif de contrôle modulable selon le contexte (et selon les individus concernés) est critiquée par les chercheurs car elle reproduit les inégalités entre individus ou entre territoires et demeure fondamentalement un instrument d’exclusion des migrants et des réfugiés.

Christian Lamour: Les accords de Schengen sont le produit d’un temps où s’affirme une nouvelle conceptualisation des frontières dans un monde toujours plus globalisé. Dans les années 1980, la frontière est de moins en moins conçue comme la ligne de séparation territoriale des containers étatiques et de plus en plus comme ligne autour de laquelle des interactions, des flux et des migrations ciblées sont permises dans l’intérêt partagé des états situés de part et d’autre de cette frontière. A partir des années 2000, on assiste à une accentuation du processus de différentiation de la frontière avec une facilitation accrue du passage pour certains flux et un affermissement du contrôle pour d’autres flux. Les discours politiques sont porteurs de ces changements de conceptualisation de la frontière avec des variations en fonction du contexte de ces discours (campagnes électorales, débats parlementaires…) et bien sûr en fonction des partis politiques. En général, « l’Europe de Schengen » est connotée négativement dans l’espace public par des partis eurosceptiques et souverainistes la présentant comme à une Europe sans frontière alors que les accords de Schengen n’ont pas démantelé les frontières.

David Howarth: As a political economist who has never focused upon the Schengen area in my own EU-related research, I am not well-placed to answer this question. However, it is obvious that the concept of ‘frontière’ will be wielded differently by political actors depending upon their own domestic political agenda and ideology. The rise of populist parties throughout much of the EU over the past three decades has resulted in the reassertion of the importance of ‘defending’ national borders in both national and EU-level political discourse. For better or worse, a ‘securitisation’ discourse has become increasing important in the management of the Schengen area. Unfortunately, fewer politicians and political parties are willing to defend publicly and actively the acquis of free movement. Few votes are likely to be won with such a pro-free movement discourse. At the same time, all EU member states rely — some more and some less — on hassle-free cross-border travel for work, family visits and tourism. All rely significantly upon the smooth flow of manufactured and agricultural products across borders — which is facilitated by Schengen and the removal of border controls.

Pensez-vous que l’accord de Schengen a involontairement contribué à des divisions internes au sein de l’UE, notamment en matière de gestion des migrations ? Si oui, comment pourraient-elles être surmontées ?

Birte Nienaber: Aus wissenschaftlicher Perspektive gibt es mehrere Gründe, warum das Schengener Abkommen auch zu Spannungen innerhalb der EU beigetragen haben könnte. Ein zentrales Problem ist die wahrgenommene Ungleichbehandlung: Nicht alle Mitgliedstaaten wurden von Beginn an gleich in den Schengen-Raum integriert, was bei einigen das Gefühl verstärkt hat, Staaten „zweiter Klasse“ zu sein. Parallel dazu haben Politik, traditionelle Medien und insbesondere soziale Netzwerke in den letzten Jahren verstärkt rechtspopulistische Narrative aufgegriffen. Dabei werden die offenen Binnengrenzen häufig als Ursache von Problemen in der Migrationspolitik dargestellt – während strukturelle Ursachen wie ungleiche Lebensverhältnisse, gewaltsame Konflikte, Diskriminierung oder mangelnde psychosoziale Unterstützung für Geflüchtete kaum thematisiert werden. Eine nachhaltige Lösung erfordert deshalb eine gemeinsame europäische Strategie: Sie muss auf Gleichbehandlung aller Mitgliedstaaten beruhen und sich auf die tatsächlichen Ursachen von Flucht und Migration konzentrieren – nicht auf symbolische Grenzpolitik.

Christophe Sohn: La gestion des flux migratoires, qui est en partie régie par le Code frontières Schengen, constitue une des principales sources de division et de tension entre les pays de l’UE. Le règlement de Dublin, qui fait peser sur les pays d’entrée le traitement des demandes d’asile, a engendré un déséquilibre au détriment d’États comme l’Italie ou la Grèce. En l’absence de solidarité contraignante, certains pays ont refusé d’accueillir des demandeurs d’asile, creusant les clivages entre États membres. Les mécanismes de solidarité volontaires mis en place ont échoué faute d’obligations claires. La réforme du régime d’asile et le Pacte sur la migration visent une répartition plus équitable, mais restent contestés. Plutôt qu’une juxtaposition de contrôles nationaux, une véritable politique européenne de gestion des frontières extérieures, associant Frontex et les États riverains, serait donc nécessaire. Enfin, une approche plus inclusive de la migration et du rôle des frontières, en impliquant les collectivités locales, les ONG et les habitants des zones concernées, aiderait certainement à atténuer les tensions.

Christian Lamour: Ce ne sont pas vraiment les accords de Schengen qui ont contribué aux divisions européennes concernant les migrations. Ces divisions sont dues à la mutation des espaces publics avec une centralité toujours plus grande des partis radicaux de droite capables d’orienter l’agenda européen sur les questions migratoires. C’est la force performatrice du discours de ces partis qui peut conduire ensuite à des réactions en chaine en Europe, des contrôles unilatéraux le long des frontières internes de l’UE et l’affermissement d’une Europe forteresse aux frontières extérieures de l’UE. Il est difficile de dire comment surmonter ces divisions européennes car il s’agit moins de divisions entre Etats membres que des divisions traversant les Etats membres autour d’une vision pour l’Europe et ses frontières. L’intérêt d’ailleurs n’est pas tant de savoir comment surmonter ces divisions, mais de savoir quelle vision européenne va devenir dominante, celle qui apparaitra comme l’expression d’un sens commun quant au contrôle des espaces et des migrations. En fonction de ce sens commun, les accords de Schengen ne vont pas nécessairement disparaitre, mais ils peuvent être recomposés.

David Howarth: With or without the Schengen agreement, there would have been major intergovernmental conflicts with regard to the management of migration flows — as was witnessed during the migration crisis of 2015. Intergovernmental cooperation on illegal immigration and asylum, initiated by the Schengen agreement and then communitarised in the 1990s as part of the ‘Area of freedom, security and justice’, has helped to build trust among participating member states and contributed to vital information sharing. Although measurement is very difficult and claims in favour or to the contrary rely on dubious counter-factuals, cooperation on free movement has — as in almost all areas of the acquis communautaire — lessened intergovernmental tensions. As we have seen with the current Italian government, populist parties — although they actively wield an anti-migration and anti-European integration discourse to win power — tend to play by (most of) the rules when they are in charge, including those on free movement.

Auteurs: Birte Nienaber, Christophe Sohn, Christian Lamour, David Howarth
Édition: Michèle Weber, Jean-Paul Bertemes, Didier Goossens (FNR) 

 

Aussi dans cette rubrique

Environnement Quelles pistes pour l’agriculture au Luxembourg ?

Un nouveau rapport évalue les principaux défis de l’agriculture durable et détaille quelques pistes : encourager les bonnes pratiques, la consommation locale et la production d’énergie.

Éducation Peut-on réduire les inégalités scolaires ?

Les parcours scolaires au Luxembourg dépendent fortement du statut économique des parents et de la langue parlée chez soi. Des cursus différenciés peuvent-ils aider à offrir des chances plus égales ?

Pauvreté au Luxembourg Pourquoi les gens ne recourent pas à l’aide sociale qui leur revient

Les gens qui ont droit à un soutien de l’État sont nombreuses à ne pas en profiter. Les raisons ? Manque d’information, gêne, ou encore complexité des procédures. Des solutions simples existent.

SCIENCE CHECK Comment évolue la pauvreté au Luxembourg ?

Près d’une personne sur cinq est pauvre au Luxembourg, pourtant l’un des pays les plus riches au monde par habitant. Comment la pauvreté évolue-t-elle ici et en Europe, et quel est son impact ?