SKIN & FNR
« Ziel mir keng! », est diffusé sur RTL Tëlee après le "Wëssensmagazin Pisa". Vous pouvez également regarder les épisodes sur RTL Play et sur la chaîne YouTube science.lu.
Dans cet épisode de « Ziel mir keng! », nous avons examiné de près le changement climatique avec l’aide d'Andrew Ferrone de l'ASTA (Service de la météorologie, Administration des services techniques de l'agriculture), qui est également le représentant luxembourgeois auprès du Groupe d'experts intergouvernemental sur l'évolution du climat (GIEC). Nous nous sommes principalement intéressés aux effets de ce phénomène climatique ici au Luxembourg. Les données pour le Luxembourg proviennent principalement de l'ASTA, mais aussi de Meteolux. Andrew Ferrone (ASTA) et Luca Mathias (Meteolux) ont vérifié les faits.
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Andrew Ferrone est climatologue physique de formation et travaille principalement à l’interface entre la science et la politique climatique. Il est actuellement le chef du service météorologique de l’Administration des services techniques de l’agriculture (ASTA) au Luxembourg. Il est président de l'Observatoire de la politique climatique (OPC) au Luxembourg et président du conseil consultatif scientifique de Spuerkeess, la principale institution financière nationale au Luxembourg.
Il est également le représentant permanent auprès de l’Organisation météorologique mondiale (OMM) et le chef de la délégation luxembourgeoise auprès du Groupe d’experts intergouvernemental sur l’évolution du climat (GIEC). Il coordonne l’équipe de négociateurs de l’Union européenne pour les questions scientifiques dans le cadre de la Convention-cadre des Nations unies sur les changements climatiques (CCNUCC). Andrew Ferrone a obtenu son doctorat à l’Université catholique de Louvain. Son sujet de thèse était « L’aviation et le changement climatique en Europe : de la modélisation climatique régionale aux options politiques ».
Saviez-vous que de juin 2023 à mai 2024 – à l'échelle mondiale – chaque mois a été le plus chaud depuis le début des relevés ?
Figure 1 : Anomalies mensuelles de la température mondiale de l'air en surface (°C) par rapport à 1850-1900 de janvier 1940 à mai 2024, présentées sous forme de séries temporelles pour toutes les périodes de 12 mois allant de juin à mai de l'année suivante. Les 12 derniers mois (juin 2023 - mai 2024) sont représentés par une ligne rouge épaisse, tandis que toutes les autres années sont ombrées par des lignes fines correspondant à la décennie, du bleu (années 1940) au rouge brique (années 2020). Source des données : ERA5. Crédit : C3S/ECMWF.
Et ce n’est pas tout, cette période d'un an serait, selon le GIEC, la plus chaude que la Terre ait connue depuis au moins 125 000 ans !
Figure 2 : La température moyenne de la Terre est supérieure de plus d'un degré Celsius à la température de base préindustrielle. Ce nouvel état climatique durera très probablement pendant des siècles comme la période la plus chaude depuis plus de 100.000 ans. Le graphique montre différentes reconstructions de la température au fil du temps, avec des températures mesurées depuis 1850 et une projection jusqu'en 2300 sur la base d'un scénario d'émissions moyen. D.S. Kaufman et N.P. McKay, 2022, et jeux de données publiés, mis à disposition par l'auteur. Source : https://theconversation.com/is-it-really-hotter-now-than-any-time-in-100-000-years-210126
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Contribution du Groupe de travail I au sixième Rapport d’évaluation – Résumé à l’intention des décideurs, point A2.2, GIEC : « Il faut remonter à il y a environ 125 000 ans pour trouver une période chaude avec une variation de température pluriséculaire [+0,5 °C à 1,5 °C par rapport à 1850–1900] qui englobe celle observée pour la décennie la plus récente (degré de confiance moyen) ». (Source: GIEC)
Comment est-ce possible ? Les derniers mois au Luxembourg ne nous ont pourtant pas semblé si chauds.
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Commentaire d'Andrew Ferrone : « Le printemps 2024 (mars, avril et mai) a été le cinquième plus chaud depuis 1838 ici au Luxembourg. Donc, objectivement, il n’a pas été trop froid, même si ce n'est pas l’impression que nous avons eue ». (Source: Bulletin météorologique ASTA, Printemps 2024)
Durant ces trois mois, les nuits se sont très peu rafraîchies et il n’y a pratiquement pas eu de jours de gel.
Mais il est question ici de moyennes à l'échelon mondial. En matière de changement climatique, il faut faire attention à deux choses :
- Il ne faut pas confondre climat mondial et climat local !
- Même s’il ne fait pas particulièrement chaud chez nous, il peut s’agir du mois le plus chaud à l’échelle mondiale.
- Il convient de ne pas confondre météo et climat !
- Tandis que la météo décrit les conditions météorologiques qui se produisent à l’extérieur, pour pouvoir évaluer le changement climatique, il faut comparer des moyennes météorologiques sur de longues périodes. Au niveau régional, il convient de comparer des périodes de 30 ans. Au niveau mondial, on peut aussi comparer des périodes plus courtes de 20 ou au moins dix ans !
Donc, si une année est particulièrement chaude ou particulièrement froide, on ne peut pas directement parler de changement climatique. Mais si par exemple, la période 1961-1990 par rapport à la période 1991-2020 était significativement plus froide ou plus chaude et que l’on constate une tendance sur de nombreuses années, c'est qu'il y a changement climatique !
Dans cet épisode de « Ziel mir keng! », nous abordons brièvement les tendances mondiales pour analyser plus en détail certains effets physiques mesurables du changement climatique au Luxembourg !
Que pensez-vous ? Est-ce qu’il fait aujourd’hui plus chaud au Luxembourg qu’à l'époque préindustrielle ? Est-ce qu’il y pleut davantage ? Est-ce qu’il y a plus de sécheresses ?
Comment les températures ont-elles évolué dans le monde ?
Examinons d’abord les températures mondiales au cours des 2000 dernières années. On constate que depuis l'industrialisation, les températures n’ont cessé d’augmenter rapidement et de façon continue. C’est un phénomène inédit !
Figure 4 : Changements de la température globale à la surface du globe, reconstruits à partir d'archives paléoclimatiques (ligne grise continue, années 1-2000) et d'observations directes (ligne noire continue, 1850-2020), respectivement relatifs à 1850-1900 et moyennés par décennie. La barre verticale à gauche montre la température estimée (fourchette très probable) pendant la période la plus chaude sur plusieurs siècles au cours des 100.000 dernières années, qui a eu lieu il y a environ 6500 ans pendant l'actuelle période interglaciaire (holocène). La dernière période interglaciaire, il y a environ 125 000 ans, est le candidat le plus récent suivant pour une période de températures plus élevées. Ces périodes de chaleur passées ont été causées par des variations orbitales lentes (plusieurs milliers d'années). L'ombrage gris avec des lignes diagonales blanches montre les zones très probables pour les reconstructions de température. Source: https://www.ipcc.ch/copyright/
En effet, la communauté scientifique s'accorde largement à dire que l'homme est responsable du changement climatique que nous connaissons aujourd'hui. Même si les médias affirment parfois le contraire.
Une étude a montré que dans plus de 99 % des publications sur le changement climatique parues dans des revues à comité de lecture depuis 2012, les scientifiques s’accordent à dire que le changement climatique est lié aux activités humaines !
Les procédés physiques qui expliquent comment le dioxyde de carbone et les gaz à effet de serre réchauffent le climat sont connus depuis longtemps et peuvent entre-temps être modélisés de façon relativement précise. Et depuis l'industrialisation, l’être humain a rejeté de grandes quantités de dioxyde de carbone dans l'atmosphère. Les niveaux actuels de dioxyde de carbone n’ont pas été atteints depuis au moins 2 millions d'années !
Figure 5 : Émissions annuelles de CO2. Émissions de dioxyde de carbone (CO₂) provenant des combustibles fossiles et de l'industrie. Les changements d'affectation des sols ne sont pas inclus. Source: Our World in Data
Voici d’ailleurs une modélisation du GIEC qui montre comment les températures mondiales auraient évolué sans l’intervention de l’homme :
Figure 6. Changements de la température globale de surface au cours des 170 dernières années (ligne noire) par rapport à 1850-1900 et en moyenne annuelle, comparés aux
simulations de modèles climatiques du Coupled Model Intercomparison Project Phase 6 (CMIP6) de la réaction de la température aux facteurs humains et naturels (marron) et aux facteurs naturels uniquement (activité solaire et volcanique, vert). Les lignes colorées pleines indiquent la moyenne multi-modèle, et les ombres colorées indiquent les
domaine très probable des simulations. Source: IPCC.
Quelle a été l'évolution des températures au Luxembourg ?
Même si les températures augmentent de façon continue à l'échelon mondial, il existe des différences régionales. Dans certaines régions, les températures sont supérieures à la moyenne, alors que dans d’autres, elles y sont inférieures.
De plus, la température à la surface des continents par exemple augmente plus que celle à la surface des océans.
Quelle est l’ampleur du réchauffement des continents et des océans à l’échelle planétaire ?
Voici un extrait du rapport du GIEC : « La température à la surface du globe est plus élevée de 1,09 °C [0,95-1,20 °C] sur la période 2011-2020 qu’en 1850-1900, avec un réchauffement plus prononcé au-dessus des terres émergées (1,59 °C [1,34 à 1,83 °C]) qu’à la surface de l’océan (0,88 °C [0,68 à 1,01 °C]) ».
Analysons à présent les températures au Luxembourg. Est-ce qu’elles ont augmenté ?
Effectivement ! Ce graphique montre qu’au cours des différents cycles de 30 ans, les températures ont augmenté de façon continue. Au Luxembourg, le cycle 1990-2020 a été plus chaud de 1,6 °C que la période 1860-1890 !
Figure 7 : Températures moyennes annuelles au Luxembourg (1838 - 2022). Source: Service de la métérologie, Administration des services techniques de l'agriculture (ASTA).
À titre de comparaison : au niveau mondial, les températures ont augmenté de 1,1 °C à la même période. Si l'on ne tient compte que du réchauffement à la surface des continents, ce dernier s'élève aussi à 1,6 °C. Le réchauffement au Luxembourg est donc pratiquement identique au réchauffement global à la surface des continents.
En outre, au Luxembourg, les dix années les plus chaudes depuis le début des relevés ont toutes été enregistrées au cours de la période 2003-2023 !
Comment le nombre de journées et de nuits de chaleur a-t-il évolué au Luxembourg ?
Comparons à présent le nombre de journées ou de nuits où il a fait extrêmement chaud.
Au cours de la période 1991-2020, par rapport aux 30 années précédentes, le nombre de jours de chaleur, c'est-à-dire de jours où la température maximale dépasse les 30 °C, est passé de 2,8 à 9,7 par an. Il a donc triplé.
Le nombre de jours qualifiés de « jours d'été » et de nuits qualifiées de « chaudes » a pratiquement doublé.
On appelle « jours d’été » les jours où la température maximale dépasse les 25 °C. On désigne comme « journée de chaleur » les jours où la température maximale est supérieure à 30 °C. Les nuits tropicales sont des nuits où la température ne descend pas en dessous de 20 °C.
Figure 8 : Nombre de jours d'été et de jours de canicule, ainsi que de nuits chaudes et de nuits tropicales au Luxembourg 1991-2020 vs 1961-1990. Source: Service de la métérologie, Administration des services techniques de l'agriculture (ASTA).
Ce n’est peut-être pas une si mauvaise chose si les températures augmentent ici au Luxembourg ?
Malheureusement, ce phénomène a aussi des conséquences négatives.
« Le changement climatique s’accompagne de toute une panoplie de conséquences négatives, telles que le stress thermique et les canicules, mais il a aussi des effets négatifs sur notre agriculture, notre viticulture, nos forêts, notre mode de vie, etc ».
Andrew Ferrone, ASTA.
Les pluies intenses se sont-elles multipliées au Luxembourg ?
Quel est par exemple l’impact du réchauffement au Luxembourg sur les pluies intenses ?
Si nous comparons les mêmes périodes, le nombre de jours marqués par des pluies intenses a nettement augmenté en hiver comme en été : +5 jours pour les deux saisons !
Figure 9. Nombre de jours avec différentes quantités de précipitations au Luxembourg en été (en haut) et en hiver (en bas), respectivement pour les périodes 1991-2020 et 1961-1990. Source: Service de la métérologie, Administration des services techniques de l'agriculture (ASTA).
La relation entre des températures globales plus élevées et une augmentation des pluies intenses s’explique par la physique. Quand la température de l'air augmente de un degré, sa capacité à stocker de l'eau sous la forme de vapeur augmente de 7 %. Les physiciens Emile Clapeyron et Rudolf Clausius l'ont déjà démontré au XIXe siècle.
Par ailleurs, plus les températures augmentent, plus l'évaporation à la surface des océans est grande.
Le changement climatique augmente donc la probabilité d'épisodes de pluies intenses et, malheureusement, aussi le risque d’inondations.
Mais ici aussi : les inondations ne sont pas un phénomène nouveau. Il est vrai qu'elles sont en partie dues à l’imperméabilisation des surfaces, mais elles sont aussi causées par des épisodes de pluies intenses. Toutes les inondations ne peuvent pas être attribuées au changement climatique. Mais la probabilité augmente et les épisodes de pluies intenses se multiplient.
Qu'en est-il des sécheresses ?
Le nombre de sécheresses au Luxembourg a-t-il augmenté ?
Il est intéressant de constater que si l'on compare les mêmes périodes, le Luxembourg a aussi connu plus de sécheresses !
Les sécheresses sont plus difficiles à mesurer que les pluies intenses, car il faut tenir compte de divers facteurs, tels que les précipitations sur une longue période, l’humidité du sol, la durée d'ensoleillement, etc. Les chercheurs utilisent un indice de sécheresse.
Figure 10. Indice de sécheresse au Luxembourg pour les périodes 1991-2020 et 1961-1991. Source: Service de la métérologie, Administration des services techniques de l'agriculture (ASTA).
Plus cet indice augmente, plus il y a d’épisodes de sécheresses. Pendant la période 1961-1990, les sécheresses ne concernaient pratiquement que les mois de juin et de juillet, mais au cours des 30 dernières années, elles ont eu lieu tous les mois, sauf en décembre et en janvier, où le risque reste très faible.
Nos agriculteurs, horticulteurs et jardiniers amateurs connaissent bien le problème.
L’indice de sécheresse est d’ailleurs un indice de probabilité. Il indique la probabilité – ou dans d’autres termes la fréquence – d’occurrence de sécheresses. Cette probabilité n'a jamais été nulle. Mais elle augmente nettement pour l’instant.
Et qu’en est-il dans l'ensemble du volume des précipitations ici au Luxembourg ?
Quel est l'impact du changement climatique sur les précipitations en général au Luxembourg ?
Eh bien, la moyenne des volumes de précipitations est restée à peu près constante au fil des ans !
Figure 11. Quantités moyennes annuelles de précipitations (l/m2) au Luxembourg 1920-2022. Source: Service de la métérologie, Administration des services techniques de l'agriculture (ASTA).
Mais on constate tout de même que les saisons changent.
Nos hivers sont considérablement plus pluvieux. De 1990 à 2020, les précipitations ont augmenté de 19 litres par mètre carré par rapport à la période 1960-1990. Et nos printemps sont considérablement plus secs, avec une baisse de 26 litres par mètre carré.
Mais ce mois de mai a été particulièrement pluvieux !
Oui, nous voilà de retour à la discussion sur la différence entre météo et climat. Même s’il a beaucoup plu cette année en mai, la moyenne des dernières décennies montre que les printemps au Luxembourg sont moins humides.
Pour l’été et l’automne, aucune différence significative n’a été observée.
Pour terminer, penchons-nous sur le nombre de jours d’enneigement.
Impact du changement climatique sur la neige ici au Luxembourg
Pendant la période 1961-1990, on comptait en moyenne 41,4 jours d’enneigement par an avec au moins 1 cm de neige, contre seulement 25 jours pendant les 30 années qui ont suivi (source : Meteolux). Il neige donc nettement moins.
Conclusion
- Oui, les températures grimpent au Luxembourg, avec une hausse actuelle de 1,6 °C par rapport à l'ère préindustrielle.
- Oui, le nombre de journées et de nuits qualifiées de chaudes, d’estivales ou de tropiques augmente également.
- Non, le volume de précipitations n’a guère évolué en moyenne, mais ce qui a changé, c’est que les phénomènes extrêmes se sont multipliés : d'une part il y a plus d'épisodes de pluies intenses et d’autre part, les sécheresses sont plus fréquentes.
- Et oui, il neige moins.
Nous n’avons abordé ici que quelques effets physiques mesurables du changement climatique au Luxembourg. Mais le changement climatique a bien entendu aussi un impact sur l'agriculture, la biodiversité, notre bien-être et notre vivre ensemble... Nous en parlerons dans un prochain épisode !
Auteur: Jean-Paul Bertemes (FNR)
Éditeur: Michèle Weber (FNR)
Présentation: Jean-Paul Bertemes, Michèle Weber (FNR)
Peer-Review et conseil: Andrew Ferrone (Service de la météorologie, ASTA)
Données et graphiques: ASTA/Andrew Ferrone; Meteolux/Luca Mathias
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https://climate.copernicus.eu/hottest-may-record-spurs-call-climate-action
https://theconversation.com/is-it-really-hotter-now-than-any-time-in-100-000-years-210126
https://cp.copernicus.org/articles/18/911/2022/
https://www.ipcc.ch/report/ar6/wg1/chapter/summary-for-policymakers/
https://ourworldindata.org/co2-emissions
https://iopscience.iop.org/article/10.1088/1748-9326/ac2966