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La déesse Justicia est en général représentée sous l’aspect d’une femme aux yeux bandées – le symbole d’une jurisprudence impartiale pour tous et toutes littéralement sans considération de la personne. Mais cette définition escomptée de la jurisprudence, s’avère-t-elle vraie en fait ? Ou bien y a-t-il d’autres facteurs – les capacités financières p. ex. - qui influencent la justice qui vous est rendue ? À l’Institut Max Planck Luxembourg pour le droit de procédure international, européen et réglementaire, Ezgi Özlü étudie la manière dont les frais de procédure influencent les affaires qui sont portées devant la Cour européenne des droits de l'homme (également connue sous le nom Cour de Strasbourg). Tout le monde peut saisir la Cour de Strasbourg, une fois que toutes les procédures légales dans les systèmes nationaux auront été épuisées. C’est souvent perçu comme la dernière instance pour défendre des droits de l’homme violés. Tout comme d’autres courts, la Cour de Strasbourg implique inexorablement des frais de procédure. Ezgi Özlü cherche donc des réponses à un bon nombre de questions : Comment la pratique de la Cour de Strasbourg en matière de frais de procédure affecte-t-elle l'accès aux locaux de cette Cour ? Est-ce que sa pratique varie en fonction de la nature de l’affaire, des caractéristiques des demandeurs ou des représentants ? Quelle position la Cour adopte-t-elle par rapport à l’aide juridique au profit des demandeurs et au remboursement des frais de procédure ? Son travail va contribuer à la recherche d’un équilibre garantissant l’accès efficace à la justice, l’efficience judiciaire de la Cour de Strasbourg et les politiques de gestion des cas.
Ezgi, est-ce que chacun et chacune peut saisir la Cour européenne des droits de l'homme en dépit du solde de son compte bancaire ?
En principe, oui. La Cour européenne des droits de l’homme ne perçoit pas de frais, et vous n’avez pas besoin de vous faire représenter par un avocat pendant que vous y déposez une demande en justice. On pourrait donc penser que le dépôt d’une demande en justice est essentiellement gratuit. La réalité se présente pourtant différente.
Quelles sont les différences ?
Avant de pouvoir saisir la Cour de Strasbourg, vous devez épuiser les voies de recours nationaux, de sorte que certains coûts sont déjà encourus dans votre pays d'origine lors des procédures devant les tribunaux nationaux. Les coûts de la procédure nationale peuvent être très différents selon les pays. . Et vous devez également vous faire représenter par un avocat devant la Cour de Strasbourg à partir du moment où votre dossier est communiqué à l’État défendeur. Donc vous avez des honoraires d’avocat à payer. Ces honoraires sont assez élevés dans certains pays, par exemple au Royaume-Uni. Vous devez éventuellement payer des frais supplémentaires : par exemple, pour assister à une audience devant la Cour, vous devez supporter les frais de voyage et d’hébergement de votre avocat. Et vous devez payer les frais d’une opinion d’expert le cas échéant.
Est-ce la Cour de Strasbourg pour sa part propose des aides ?
Il y a des mécanismes d’aide judiciaire et si la Cour constate une violation de la Convention européenne des droits de l'homme, elle peut accorder le remboursement des frais et des dépenses. C’est la question que j’étudie dans le cadre de mon doctorat. Je veux savoir : Comment la Cour évalue-t-elle les critères concernant les frais et les dépenses et l’octroi d’aides judiciaires ? Est-ce que la pratique appliquée par la Cour en matière des frais de procédure varie en fonction de la nature de l’affaire, des caractéristiques des demandeurs ou des représentants ?
Comment votre travail se déroule-t-il dans le quotidien pratique ? Participez-vous à des procès ?
Mon travail comprend une approche empirique ensemble avec des approches théoriques et comparatives. J’analyse les jugements de la cour, des archives de la Cour et le Comité des Ministres et le Conseil de l’Europe. J’ai par ailleurs mené des interviews avec 25 personnes. Ce groupe comprend des juges actuels et anciens de la Cour de Strasbourg et des avocats qui travaillent à la Greffe de la Cour et au Service de l’exécution. J’ai également interviewé des représentants de demandeurs travaillant avec des ONG et des défenseurs de petites entreprises. Ce travail m’a permis d’étudier la perspective de la Cour ainsi que celle des représentants des candidats et j’ai pu analyser la relation entre les différentes dynamiques.
Pouvez-vous partager certains de vos résultats ?
Les coûts sont en fait un facteur crucial pour l'accès à la justice. Le mécanisme d'aide judiciaire de la Cour de Strasbourg ne suffit souvent pas pour couvrir tous les frais de procédure. En général, la Cour adopte une approche très stricte lors de l'attribution des aides financières. Les montants alloués sont donc très faibles, sauf pour les affaires que la Cour juge complexes. Même pour les affaires complexes, les montants sont en général inférieures à ce que le représentant du demandeur réclame. Pour les représentants des demandeurs, en particulier pour les "one-shotters", il est souvent difficile de comprendre quelles affaires sont complexes. En outre, une affaire qui semble simple à première vue peut devenir étonnamment complexe lorsque la Cour agit de manière stratégique et rend un "arrêt principal", c'est-à-dire un arrêt de principe qui s'applique aux affaires futures. La Cour ne tient cependant pas compte de la situation particulière de chaque cas, représentant ou demandeur.
C’est donc toujours l’argent qui mène le monde ?
l’argent joue toujours un rôle capital s’il s’agit de trouver un meilleur représentant. Un nombre important de personnes n’a probablement aucune chance de se faire entendre devant la Cour. La politique de la Cour en matière de coûts peut décourager les requérants potentiels d'attendre que leur voix soit entendue par les juges de Strasbourg. L'une des raisons de la pratique de la Cour en matière de coûts est liée aux contraintes budgétaires auxquelles le mécanisme de Strasbourg est confronté depuis longtemps. En 2021, 44 250 demandes ont été attribuées à une formation judiciaire. Il y a pourtant juste 640 personnes qui travaillent à la Greffe de la Cour pour y traiter toutes ces demandes. Ce nombre n'est tout simplement pas suffisant. En outre, un nombre important d'affaires sont toujours en cours parce que certains États refusent de se conformer aux arrêts de la Cour. L'accent devrait donc être mis sur l'exécution des arrêts et l'augmentation du budget du Conseil de l'Europe, au lieu de dresser des obstacles aux victimes de violations des droits de l'homme, tels que des contraintes financières.
CV bref
Ezgi Özlü est une chercheuse associée à l’Institut Max Planck Luxembourg (Département de droit et Règlement de différends internationaux) et une candidate au doctorat à l’Université de Strasbourg. Son travail de recherche se concentre sur la manière dont la pratique que Cour européenne des droits de l'homme applique aux frais de procédure influence la nature des affaires pour lesquelles elle est saisie. Avant de rejoindre l’Institut Max Planck, elle a travaillé comme conseillère au Département pour l’Exécution des jugements à la Cour européenne des droits de l'homme ainsi que comme assistante à l'enseignement et adjointe à la recherche en matière de la loi constitutionnelle. En tant que membre agréé du Parquet d’Istanbul, elle est titulaire d’une licence en droit et de deux LLM dont un en droit public et un autre en droit relatif aux droits de l'homme
Text: Tim Haarmann
Foto: MPI Luxembourg + Tingey Injury Law Firm, West Charleston Boulevard, Las Vegas, NV, USA