(C) Uwe Hentschel
Le sujet des sciences humaines est l'Homme. Mais la question de savoir pourquoi elle traite ce thème n'est pas souvent abordée.
Georg Mein évoque sans détour le dilemme dans lequel se trouve sa science. « Nous sommes un peu trop sous pression », déclare-t-il. D'un côté, les sciences humaines et sociales sont censées contribuer à la société, mais d'un autre, la recherche dans ce domaine ne bénéficie que de peu de soutien.
M. Mein est professeur de littérature allemande moderne à l'Université de Luxembourg et par ailleurs doyen de la Faculté des Lettres, des Sciences Humaines, des Arts et des Sciences de l'Education. Dans l'exercice de ses fonctions, il a organisé à l'automne à l'université la conférence professionnelle internationale intitulée « The Ends of the Humanities ». L'ambivalence du mot anglais « Ends » permet sciemment différentes interprétations : Ends au sens de fin, mais aussi Ends dans le sens d'objectif ou de but.
Qui d'autre donne des réponses aux dérives populistes et à Donald Trump ?
Les sciences humaines ont occulté ce dernier point dans le passé. C'est tout du moins ce que prétend Hans Ulrich Gumbrecht, participant et intervenant de la conférence. Le doyen de Littérature comparée à la Stanford University de Californie considère que le principal problème des sciences humaines est de réussir à identifier leurs propres forces et potentiels.
Quand bien même elles y arrivent, elles se heurtent à un nouveau problème: la diffusion. Selon M. Mein, les sciences humaines devraient communiquer beaucoup plus activement, partager leur savoir avec la société afin de souligner son utilité sociale. « On ne peut pas s'emporter contre les dérives populistes et les individus tels que Donald Trump tout en remettant en doute l'importance des sciences humaines: quelque chose ne tourne pas rond », déclare le doyen.
Les débats actuels sont marqués par des thèmes comme le populisme, l'intégration des immigrés, l'équité sociale ou la formation. Si un domaine scientifique est en mesure de fournir des solutions réalistes à ces défis sociétaux, ce sont bien les sciences humaines et sociales, M. Mein en est convaincu. « Notre tâche consiste à donner des orientations dans une réalité de plus en plus complexe », déclare-t-il.
Selon lui, les spécialistes des sciences humaines doivent comprendre le fonctionnement d'un algorithme
D'après le doyen Mein, son domaine de spécialisation pourrait se résumer comme suit : « L'actualisation du passé nous aide à régler des problèmes du présent pour l'avenir ». Fondamentalement, il n'y a pas beaucoup d'évolution, sauf que l'accès au savoir technique est aujourd'hui beaucoup plus simple. « La question du sens des sciences humaines ne s'est même pas posée au XIXème siècle », souligne-t-il. A l'époque, les jeunes diplômés de sciences humaines faisaient partie de l'élite. « Mais ce cercle de personnes cultivées a disparu depuis longtemps », constate M. Mein.
« Auparavant, le simple fait de savoir lire et écrire vous donnait déjà accès à un savoir élitaire », souligne-t-il. « Aujourd'hui, ce savoir élitaire implique de savoir développer des algorithmes. » C'est justement l'un des points où il considère que les sciences humaines doivent de toute urgence combler leur retard. « Je pense qu'il est essentiel de comprendre le fonctionnement d'un algorithme. Par exemple pour pouvoir analyser pourquoi, en surfant sur Internet, on tombe toujours sur une publicité très ciblée. »
Les spécialistes des sciences humaines doivent dépasser les limites actuelles
Le doyen de l'université imagine ainsi parfaitement un module de cours général sur le codage. « Notre domination par les nerds m'interpelle quand même un peu », déclare ce spécialiste de littérature qui veut non seulement apprendre des informaticiens, mais qui souhaiterait également développer un module Humanities pour les étudiants de tous les domaines de spécialité. « Il ne faut pas y voir une introduction à la philosophie ou à une autre matière similaire, mais plutôt une offre aussi intéressante pour des étudiants en droit que pour des mathématiciens. »
Les choses doivent et vont changer. M. Mein ne considère néanmoins pas que les sciences humaines soient dans une crise existentielle. Les perspectives d'avenir des étudiants dans ce domaine ne sont pas non plus bouchées. « Nous avons constaté que nos jeunes diplômés trouvaient en règle générale rapidement un travail », annonce-t-il. M. Mein cite l'exemple d'une jeune doctorante qui a traité la littérature de l'holocauste pendant sa thèse et qui est aujourd'hui une brillante conseillère en entreprise.
Il est essentiel de dépasser les limites actuelles, d'avoir une vision plus globale, notamment dans le domaine des sciences humaines, le doyen en est certain : « Si les spécialistes des sciences humaines et sociales ne cherchent leur salut qu'en s'agrippant aux vestiges du passé, ils vont sombrer. »
Auteur: Uwe Hentschel
Photo: Uwe Hentschel