Frieden in Ukraine

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Depuis le 24 février 2022, l’Europe est à nouveau en proie à une guerre de grande envergure. Ce jour-là, la Russie a lancé l’offensive contre l’Ukraine. Depuis, les chars circulent, les bombes pleuvent, des flots de réfugiés fuient vers l’ouest et des personnes meurent chaque jour – des civils et des militaires ukrainiens tout comme des soldats russes. « Quand la paix reviendra-t-elle dans le pays ? » est une question qui préoccupe beaucoup de gens. Les spécialistes estiment que le chemin à parcourir sera long et que plusieurs années seront nécessaires – même si, espérons-le, les armes se tairont bientôt.

Quelle était la situation avant la guerre en Ukraine ?

Depuis de nombreuses années, Dirk Splinter œuvre en faveur de la paix en Ukraine et en Russie – en tant que médiateur, c’est-à-dire un tiers neutre qui aide les parties en conflit à entamer un dialogue et à rechercher elles-mêmes des solutions à leur conflit. « Après l’annexion de la Crimée en 2014, il y a eu beaucoup d’échanges entre les personnes actives dans la société civile ukrainienne et russe », explique le directeur d’« inmedio peace consult » à Berlin. De telles discussions informelles en présence d’un médiateur constituent un instrument important du maintien de la paix, a poursuivi Dirk Splinter : « Plus il y a de liens personnels entre les gens issus des différentes parties en conflit, plus l’échange d’idées est intense, plus la compréhension mutuelle s’améliore – et plus il est aisé de pacifier les conflits. »

Discussions à tous les niveaux

Il est important que de telles discussions en présence d’un médiateur se tiennent à différents niveaux de la société – dans la recherche sur la paix, on parle de paliers d'action (« tracks » en anglais). Le niveau supérieur comprend les quelques chefs de file militaires et politiques d’un pays. Le deuxième palier, qui regroupe des dirigeants issus des domaines de l’économie, de la science ou du milieu de la religion, est déjà plus vaste. Au troisième niveau, on trouve les acteurs du mouvement pour la paix, des initiatives et des organisations qui s’engagent pour le règlement du conflit – ou qui représentent des intérêts dans ce conflit et sont prêts à discuter. « Il est important que les trois paliers soient reliés verticalement entre eux par des contacts personnels », explique Dirk Splinter, « afin que les nouvelles idées et approches parviennent aux véritables décideurs au plus haut niveau. »

Quelle est la situation actuelle en Ukraine ?

Ce type de discussions ont pris fin avec l’éclatement de la guerre en Ukraine. « La société civile ne joue aucun rôle dans les négociations en vue d’un cessez-le-feu ou d’un accord de paix », estime Dirk Splinter : « Pour l’instant, on ne discute plus qu’au niveau du gouvernement pour mettre fin aux hostilités. » Selon le médiateur, une pression psychologique élevée pèse sur les négociateurs : « Pendant les pourparlers, les tirs et les bombardements se poursuivent, et la guerre continue à faire des victimes. Et aussi cynique que cela puisse paraître, tout ce qui se produit sur le terrain passe par un calcul coûts-bénéfices.  Plus l’enjeu et les sacrifices personnels sont élevés, plus il est important de sortir de l’impasse sans perdre la face. Ne serait-ce que pour obtenir l’acceptation du cessez-le-feu ou du traité de paix par son propre camp. »

Phase d’escalade 7 ou 8

En avril 2022, nous n’en sommes pas encore au stade où un cessez-le-feu ou même un accord de paix peut être conclu. Actuellement, le conflit en est au moins à l'étape 7 ou 8 – sur 9 phases possibles – dans ce que l’on appelle le modèle des phases d’escalade. Les parties en conflit procèdent à des frappes de destruction limitées, leur objectif étant de supprimer l’ennemi, voire de le détruire totalement. La phase suivante de l’escalade est le chemin commun vers l’abîme : on anéantit l’ennemi, mais on se détruit aussi par la même occasion, par exemple en larguant des bombes atomiques.

Que doit-il se passer pour obtenir la paix ?

Il est clair que les parties en conflit doivent rapidement sortir d'une situation aussi catastrophique. La réussite dépend de la situation réelle ou perçue des parties en conflit, explique Sara Hellmüller, docteur en sciences politiques et chercheuse à l’Institut de hautes études internationales et du développement à Genève, en Suisse : « Selon la théorie du mûrissement, le conflit doit avoir atteint un certain degré de maturité pour que les parties soient prêtes à entamer des pourparlers. Cette situation se produit lorsqu’aucun des deux adversaires ne peut monter en puissance et gagner le conflit de manière unilatérale et que la situation implique des coûts élevés. Un accord de paix devient alors la meilleure alternative. »

Même s’il est possible de faire taire les armes, les parties en conflit ont encore un long chemin à parcourir pour véritablement instaurer la paix. Car une guerre crée de profonds clivages entre les personnes, les cultures et les sociétés. On peut justement l’observer dans le cas de l’Ukraine, explique Dirk Splinter : « Avant cette guerre, il y avait relativement peu de ressentiment entre les citoyens ukrainiens et russes. Après l’annexion de la Crimée, les Ukrainiens ne se considéraient certes plus comme un peuple frère des Russes, mais la parenté culturelle et souvent familiale entre les gens est si grande qu'on ne pouvait pas parler d'hostilité personnelle. Cela devrait désormais avoir changé. »

Le long chemin vers la réconciliation

Un cessez-le-feu ou un accord de paix ne serait donc qu'une première étape. Il en faudrait beaucoup d’autres pour qu’une véritable réconciliation puisse avoir lieu. Sara Hellmüller : « Il faut analyser le conflit en tenant compte des composantes psychologiques. »Pour cela, il faut – comme c’était déjà le cas avant la guerre actuelle – que de nombreux acteurs dialoguent entre eux, comme le souligne Sara Hellmüller : « La réconciliation ne peut réussir que si la société civile est impliquée. Et j’entends par là en particulier les femmes, les jeunes ou les minorités ethniques, c’est-à-dire des groupes qui sont souvent négligés. »

L’exemple du Népal montre qu’un retour à la paix et une nouvelle coexistence sociétale sont possibles après un conflit brûlant qui a fait de nombreuses victimes et laissé de profondes blessures. L'État himalayen a été ravagé par une guerre civile atroce de 1996 à 2006. Un mouvement rebelle maoïste luttait contre une famille royale au pouvoir dictatorial. Les rebelles réclamaient une réforme agraire, un meilleur développement des régions appauvries et une démocratisation du Népal. En 2005, le conflit avait atteint un niveau d’escalade élevé : de nombreux morts et des mesures draconiennes contre les rebelles ont marqué les événements.

Günther Baechler, un chercheur sur la paix et diplomate de la Suisse neutre, avait reconnu à ce moment-là que le conflit était suffisamment mûr pour des pourparlers de paix prometteurs. Mandaté par la Suisse, il a patiemment – et d’abord secrètement – mis en contact les parties en conflit. Il s’agissait d’un côté des rebelles maoïstes et de l'autre des représentants des partis au pouvoir. Ces derniers avaient compris que le Népal ne pouvait pas avoir d’avenir sous le règne du roi et étaient donc prêts à entamer des discussions. En tant que médiateur, le rôle de Baechler était de réunir les adversaires autour d'une table et de les mettre en situation de rechercher eux-mêmes des solutions à leurs problèmes. Car seules les solutions élaborées soi-même obtiennent l’acceptation nécessaire pour que la paix s’installe véritablement.

Quels intérêts se cachent derrière les positions ?

Dans ce contexte, il est important de mettre en évidence les intérêts qui se cachent derrière les positions. Une position peut par exemple être qu’un groupe de population souhaite être davantage impliqué dans les processus politiques et y participer : « Nous souhaitons avoir notre mot à dire », serait une position. « Il faut toutefois se demander d’où vient cette position », explique Sara Hellmüller. Il est ainsi concevable que, comme dans la guerre civile népalaise, une partie en conflit se sente désavantagée et ait intérêt à éliminer ce désavantage. Peut-être souhaite-t-elle que sa zone d’habitation soit développée : eau potable, soins médicaux et écoles pour les enfants. Ou se sent-elle discriminée et souhaite-t-elle faire disparaître cette discrimination ? Son intérêt consiste-t-il donc, par exemple, à préserver ses spécificités culturelles ou à ne pas être traitée de manière condescendante par un autre groupe ethnique ?

Les intérêts peuvent être identifiés dans les conflits internes, par exemple au Népal, comme dans les conflits interétatiques, tels que dans le cas de la Russie et de l’Ukraine. Les rendre reconnaissables offre une base de négociation dans différentes situations. Car s’il est possible de faire des compromis sur les intérêts, il n’en va pas de même pour les positions durcies. En 2006, ceci a conduit au succès au Népal : après que le roi avait rendu son pouvoir au parlement, les parties en conflit ont pu mettre de côté les armes et s'entendre sur leurs intérêts respectifs. Le chemin vers l’équilibre était semé d’embûches et de revers, mais il a tout de même pu être parcouru.

De nouveaux instruments de paix pour le monde multipolaire

Faire la paix est donc possible. Sara Hellmüller estime toutefois que nous sommes aujourd’hui globalement dans une situation où les instruments usuels de la politique de paix doivent être repensés : « Les approches dominantes en matière de médiation sont basées sur les expériences que nous avons faites dans les années 90. À cette époque, l'image de la démocratie libérale comme base indispensable de la paix et donc d'un ordre social à atteindre rapidement prévalait, du moins en Occident. Mais dans de nombreux endroits, les résultats escomptés n'ont pas été atteints. Le travail pour la paix doit en tenir compte. »

Dans le cas de guerres civiles comme au Népal, cela peut signifier, selon Sara Hellmüller, que l’introduction immédiate d’une démocratie libérale après un conflit n’est pas toujours la meilleure solution : « Bien sûr, la démocratie devrait être l'objectif. Et nous ne devons pas non plus jeter par-dessus bord la vision humaniste du monde », déclare la chercheuse sur la paix. Mais en même temps, il faut savoir que des élections organisées au mauvais moment peuvent aussi engendrer de nouveaux conflits.

L’ordre international basé sur des règles – c’est-à-dire les règles de jeu selon lesquelles les États résolvent leurs conflits – est en outre confronté à de nouveaux défis. Sara Hellmüller considère actuellement que deux points en particulier posent problème. D’une part, il n’existe plus de consensus clair entre les États sur le fait que les différends doivent être résolus de manière pacifique et non pas par la guerre et que – si un conflit violent devait tout de même éclater – le droit international humanitaire doit être respecté. D’autre part, elle critique les jeux de pouvoir entre les États faisant partie du Conseil de sécurité de l’ONU, qui entraînent un blocage de l’organe et limitent la capacité d'action de l'ONU. « Nous devons trouver des moyens pour que les règles de base du système international soient à nouveau respectées par tous les États », déclare Sara Hellmüller : « Et pour cela, une réforme du Conseil de sécurité de l'ONU, principal garant de la paix internationale, est également nécessaire, pour qu’il retrouve sa capacité d’action et qu'il puisse s’engager efficacement pour la paix. »

Auteur : Hannes Schlender (scienceRELATIONS)
Rédaction : Michèle Weber (FNR)

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