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La dépression peut surgir sous de multiples formes et touche entre 10 et 20% de la population luxembourgeoise (études de 2019 et 2017). Pour autant, le mal-être profond qui atteint l’individu reste souvent incompris et peut être source de jugements par l’entourage. Strictement différente des moments de déprime que chaque individu traverse au cours de sa vie, la dépression est une maladie aux manifestations physiologiques bien identifiées.
Dépression et santé mentale
L’interdépendance du mental et du physique
Les définitions de la santé mentale ont mis l’accent sur le bien-être psychologique, avec par exemple la santé émotionnelle, cognitive et comportementale. « Cependant, il est de plus en plus admis que cette dissociation faite entre le corps et l’esprit – héritage de la philosophie du 17ème siècle – a besoin d’être dépassée pour accepter que l’un va toujours affecter l’autre. » détaille Prof. Dr. Vögele, professeur en psychologie clinique et de la santé, directeur de l’unité de recherche INSIDE et du master de psychothérapie de l’Université du Luxembourg, ainsi que psychologue et psychothérapeute.
Au-delà du sentiment de tristesse
« La tristesse est une émotion normale que tout un chacun expérimente au cours de sa vie : perte d’un emploi, fin d’une relation, décès d’un être cher…Elle est généralement associée à une situation, personne ou évènement spécifique. » explique Prof. Dr. Vögele.
La dépression (trouble majeur dépressif) est un trouble mental qui affecte négativement la manière dont une personne se sent, pense et se comporte. Elle est caractérisée par des sentiments d’une immense tristesse et/ou d’une perte d’intérêt pour des activités autrefois appréciées. Cela peut conduire à une variété de problèmes émotionnels comme physiques. « Une personne souffrant de dépression se sent triste et sans espoir à propos de tout. Elle peut avoir toutes les raisons du monde d’être heureuse, mais n’a pas la capacité de ressentir de la joie ou du plaisir. » illustre Prof. Dr. Vögele.
Que se passe-t-il dans l’organisme ?
Tout être-humain exprime des pensées tristes ou angoissantes. Cependant, elles sont inhibées relativement vite par un système de contrôle efficace. Le cortex préfrontal est une zone du cerveau impliquée dans l’autorégulation, entre autres, de ces « mauvaises pensées » grâce aux neurones qui s’y trouvent.
Dans le cadre d’une dépression, la personne est dans l’incapacité de pouvoir contrôler ses pensées en raison de la défaillance des neurones responsables du contrôle de l’inhibition. De la même manière, il existe des déficits dans la régulation du système de réponse au stress ou encore des anomalies dans les neurones de l’hippocampe - une autre zone du cerveau impliquée dans la cognition et les émotions.
Les causes de la dépression. Existe-t-il des facteurs de risque ?
Une dépression est souvent le résultat d’une combinaison de plusieurs facteurs. Il en existe de nombreux et sont soit considérés comme des causes soit comme des déclencheurs. Pour exemple, certains troubles physiques affectant le cerveau peuvent accroître le risque de dépression (p.ex. lors d’un accident vasculaire cérébral - AVC), tout comme des troubles hormonaux, psychiatriques et psychologiques peuvent être des causes de la dépression. Parmi la multitude des facteurs de risque, une vulnérabilité génétique a aussi pu être mise en évidence. Toutefois, les recherches actuelles tendent à montrer qu’il s’agit davantage d’une interaction gène-environnement. En d’autres termes, l’origine pourrait être multifactorielle.
Des chercheurs luxembourgeois ont montré la contribution de certains facteurs dits environnementaux à la vulnérabilité de personnes à la dépression. Ils ont étudié, par exemple, les réponses physiologiques à des stress psychosociaux chez des personnes ayant vécu des traumatismes pendant l’enfance. Ces résultats ont été comparés aux même mesures faites chez des personnes contrôles n’ayant pas de tel vécu. Il est apparu que les participants au vécu difficile montrent des anomalies dans les réponses endocriniennes au stress, des anomalies immunologiques et une incidence plus élevée aux troubles mentaux et stress chronique. « Toutes les personnes sujettes à un traumatisme pendant l’enfance, comme l’abandon et le placement en orphelinat, ne vont pas nécessairement montrer de telles anomalies. Ces résultats indiquent seulement que le risque de tels développements augmente en conséquence. » détaille Prof. Dr. Vögele.
Quels sont les symptômes témoins de la maladie ?
Le diagnostic de la dépression est posé uniquement par un professionnel et si une personne a eu 5 ou plus de ces symptômes au cours d’une période continue d’au moins 2 semaines. Au moins un des symptômes devrait être l’état dépressif ou la perte d’intérêt/plaisir.
1/ Un état dépressif la plupart des jours, voire tous les jours
2/ Une nette diminution de l’intérêt ou du plaisir à presque ou toutes les activités la plupart des jours, voire tous les jours
3/ Une perte de poids significative lorsque la personne ne s’alimente pas ou un gain de poids, ou une augmentation ou diminution de l’appétit presque tous les jours.
4/ Un ralentissement de la pensée et une diminution des mouvements physiques (observable par un tiers)
5/ Fatigue ou perte d’énergie presque tous les jours
6/ Sentiment d’inutilité ou de culpabilité excessive ou inappropriée presque tous les jours
7/ Diminution de la capacité à penser ou se concentrer, ou indécision presque tous les jours.
8/ Pensées récurrentes de mort, idées suicidaires récurrentes sans plan spécifique ou tentative de suicide ou un plan spécifique pour se suicider.
L’importance de la prise en charge et des traitements
Les thérapies psychologiques incluent un panel d’approches, parmi lesquelles la thérapie cognitive comportementale (CBT) s’est montrée la plus efficace pour traiter la dépression. « La CBT est une forme de thérapie qui se concentre sur le présent et la résolution de problèmes. Elle aide une personne à reconnaître ses idées faussées, et ensuite à changer les comportements et le raisonnement. » explique Prof. Dr. Vögele.
La thérapie interpersonnelle (IPT) s’est aussi montrée efficace et se focalise sur les relations qu’un individu entretient avec les autres. « Même si la dépression n’est pas toujours causée par un événement ou une relation, cela affecte les relations et peut créer des problèmes avec des liens interpersonnels. L’objectif de l’IPT est d’améliorer les capacités de communication et d’aborder les problèmes qui contribuent à la dépression. » développe Prof. Dr. Vögele.
Des traitements biologiques et physiologiques sont également disponibles. Les premiers impliquent une médicamentation qui va venir moduler le niveau de certains neurotransmetteurs (des messagers) dans le cerveau. La thérapie électro-convulsive (brève stimulation électrique sous anesthésie) est une technique plus généralement utilisée pour les personnes avec une dépression majeure sévère, ou des troubles bipolaires, qui ne répondent pas aux autres traitements.
Douleurs chroniques et dépression
« La santé, en général, est de plus en plus définie comme étant la capacité d’une personne ou d’une communauté à s’adapter et se gérer. Ainsi, il est possible que santé et maladie coexistent : un individu peut être malade et en bonne santé au même moment. » explique Prof. Dr. Vögele.
Face à des douleurs chroniques, une personne peut développer une dépression. Si pour certaines pathologies les douleurs ne peuvent malheureusement pas être traitées ou totalement stoppées, l’individu peut toutefois apprendre progressivement à gérer cette douleur et trouver un équilibre dans sa vie quotidienne.
Dans le cadre d’une étude luxembourgeoise, l’équipe du Prof. Dr. Vögele s’est intéressée aux processus psychologiques impliqués lors d’une douleur chronique. Pour ce faire, plus de 70 personnes atteintes de douleurs chroniques ont été suivies au cours du temps. Dans une première phase, les patients devaient compléter un journal de bord quotidien sur la sévérité et durée de la douleur, le handicap, la dépression et l’anxiété. Par la suite, les individus ont rempli un journal de bord électronique pour évaluer de manière journalière la sévérité de leur douleur, handicap, troubles cognitifs, émotions négatives et positives.
En se basant sur plusieurs méthodologies, comme le Multidimensional Pain Inventory (MPI) qui permet de mesurer de manière fiable l’impact de la douleur sur la vie d’un individu, mais aussi des outils statistiques, les chercheurs ont pu montrer que la façon dont une personne régule ses émotions va impacter significativement le niveau de fonctionnalité du quotidien.« Plus précisément, les personnes qui montrent de grandes variations entre des émotions positives et négatives au cours de la journée – instabilité affective – ont un niveau de fonctionnalité et une qualité de vie moindre que celles montrant de plus petites oscillations, et ce, même si le niveau de douleur est similaire. » commente Prof. Dr. Vögele.
Auteur : Constance Lausecker
Éditeur: Michèle Weber (FNR)
Infobox
Une étude du Luxembourg Institute of Health (LIH) a tenté d'évaluer la survenue de symptômes dépressifs au Luxembourg, ainsi que les facteurs de risque associés et les différences géographiques. Selon cette étude, publiée en 2017, environ 20% de la population est touchée. L'étude a interrogé 1.499 résidents luxembourgeois âgés de 25 à 64 ans. Le risque de symptômes dépressifs était significativement plus élevé chez les immigrants de deuxième génération que chez les non-immigrants, quelles que soient les autres caractéristiques socio-économiques et comportementales. L'une des plus fortes chances de signaler des symptômes dépressifs a été observée à Dudelange, dans le sud-ouest du pays.
Une autre étude menée par l'Institut Robert Koch en Allemagne avec plus de 250 000 participants d'Allemagne et de 24 autres pays de l'UE a révélé que 10% de la population luxembourgeoise est affectée par des symptômes dépressifs. Cela place le Luxembourg au premier rang par rapport aux autres pays de l'UE étudiés. Selon cette étude, les adolescents et les jeunes adultes (15-29 ans) sont les plus touchés au Luxembourg.
Maria-Ruiz, qui a mené l’étude du LIH, donne des explications : « Les différences observées entre les études sont dues à l'utilisation de différentes définitions des symptômes dépressifs. Par exemple, les chercheurs de l’Institut Robert Koch l'ont défini en utilisant> = 10 symptômes dépressifs alors que nous avons appliqué> = 5 symptômes dépressifs (en fait, si nous avions utilisé la même définition que l'étude de l’Institut Rober Koch, nous aurions montré un taux de 6%; cela est mentionné dans le tableau 1 de notre article 2017). D'autres facteurs importants à prendre en compte lors de l'interprétation de ces résultats d’études comprennent l'âge de la population. L’étude EHIS (résultats publiés par l’Institut Robert Koch) a inclus de participants > = 15 ans alors que pour notre étude (EHES-LUX) nous avons inclus des participants de 25 à 64 ans; ceci est important car les réponses de deux groupes de population à risque n'ont pas été mesurées dans l’étude EHES-LUX: celles de moins de 25 ans et celles de plus de 64 ans. Cela pourrait expliquer pourquoi nous avons observé une prévalence plus faible dans EHES-LUX par rapport à EHIS. Les types de questionnaires utilisés et le type d'enquête sont également importants ici: par exemple, nous avons utilisé des entretiens en face-à-face alors que le EHIS a utilisé l'auto-évaluation. Le défi des enquêtes de santé et des comparaisons entre pays réside toujours dans les définitions utilisées, ce qui les rend très souvent difficiles à comparer. »
Le professeur Claus Vögele, également impliqué dans l'étude du LIH, ajoute: « Les enquêtes épidémiologiques sont toujours une estimation. Les résultats dépendent de la population participant à l'enquête, des méthodes utilisées (par exemple, entretiens cliniques vs questionnaire d'auto-test) et des instructions (par exemple, une période d'observation de 2 semaines ou 6 mois). En outre, de nombreuses personnes confondent un diagnostic clinique de dépression (qui ne peut être établi que par un médecin qualifié), des outils d'auto-évaluation de symptômes dépressifs et des sentiments (normaux) de tristesse. »