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Ce ne sont pas seulement les abeilles sauvages qui sont en danger.

Les insectes sont en déclin dans de nombreuses régions, avec une augmentation rapide du nombre d’espèces en danger ou disparues et une réduction parfois massive du nombre d’individus, comme dans le cas notoire des abeilles. Ce déclin, s’il se confirme et se poursuit, aura des conséquences considérables sur l’environnement et la production de nourriture. Nous faisons le point sur les connaissances scientifiques actuelles en tenant compte surtoute de grandes études longitudinales et méta-analyses. Voici le résumé de notre recherche, et en-dessous les détails sur les différentes questions abordées.

  • À quel point les insectes sont-ils en danger ?
  • Comment mesurer l'abondance et la biodiversité des insectes ?
  • À quel vitesse les insectes déclinent-ils ?
  • Quelles seraient les conséquences du déclin massif des insectes ?
  • Quelles espèces sont les plus touchées ?
  • Quels sont les endroits les plus touchés ?
  • Quelles sont les causes du déclin des insectes ?
  • Que peut-on faire pour freiner le déclin des insectes ?

Résumé 

Les médias ont largement fait écho de la « disparition » ou de l' « extinction » des insectes, en plus du cas bien connu des abeilles. Si ces termes sont certainement peu différenciés, un nombre croissant de suivis à long terme montrent qu'une proportion importante des espèces d'insectes a disparu localement ou est fortement en recul, avec une baisse du nombre d'individus recensés. Selon les estimations disponibles au niveau mondial, entre 10 et 30% des espèces d'insectes sont aujourd'hui en déclin ou menacées d’extinction. L'abondance des insectes diminue également. Selon les estimations, elle recule d'environ 1% par an et pourrait ainsi diminuer d'un quart ou plus d'ici 2045 déjà.

Il est néanmoins difficile de fournir des chiffres précis et globaux, car la situation varie fortement selon les espèces, les régions du globe et le type de biotope (champs cultivés, forêts, étangs, etc.). On ne peut donc pas s’attendre à ce que « les » insectes disparaissent, mais il est probable qu’un nombre important d’espèces disparaisse dans un nombre croissant de territoires. 

Il faut souligner que les procédures de recensement des populations d’insectes se heurtent à des limitations non négligeables. Elles ne peuvent considérer qu’une infime proportion du million d’espèces décrites à ce jour,qui  ne constituent elles-mêmes qu’une petite partie de toutes celles qui existent probablement sur Terre (Le nombre total d’espèces d’insectes sur Terre est estimé à 5,5 millions, mais à l’heure actuelle, seulement environ 1 million d’espèces sont connues). Elles utilisent des méthodologies différentes et leurs résultats dépendent de facteurs externes (météo, etc.). La plupart des sites d’observation se trouvent en Europe, ce qui biaise les résultats. Et les variations saisonnières et annuelles rendent nécessaire un suivi sur plusieurs décennies. Toutefois, ces limitations laissent peu de doute sur le déclin très net de nombreuses espèces, notamment les abeilles, les papillons, les libellules et les coléoptères.

Les scientifiques sont très préoccupés par les conséquences de ce déclin extrêmement rapide des insectes. Ces derniers jouent en effet un rôle central dans de très nombreuses relations entre les espèces ainsi que dans la chaîne alimentaire. Ils fournissent des services écosystémiques essentiels à la vie sur Terre, notamment pour la production de nourriture, car ils pollinisent neuf plantes à fleurs sur dix et contribuent à la dissémination des semences. Ils sont cruciaux pour la fertilité des sols et contribuent à décomposer la matière organique (végétaux, excréments et cadavres d’animaux) dont les plantes, les champignons et les bactéries ont besoin pour vivre. Ils constituent la biomasse la plus importante située entre les plantes et les animaux carnivores (poissons, amphibiens, oiseaux, rongeurs, etc.). Si on peut imaginer pratiquer une pollinisation manuelle – et coûteuse – dans le but de compenser le déficit de pollinisation naturelle, il paraît impossible d’envisager de remplacer les contributions cruciales des insectes à la vie sur Terre.

Les insectes sont soumis à une multitude de menaces : le changement climatique, la perte rapide des habitats naturels, la déconnexion de ces habitats, la pollution lumineuse, l’agriculture intensive avec des monocultures et un emploi massif de pesticides et d’insecticides, les espèces invasives ou encore la prolifération de pathogènes.

Un nombre croissant de régions et de pays lancent des initiatives pour contrer cette situation. Le Luxembourg, par exemple, a lancé un plan d’action 2021-2026 avec 21 mesures concrètes visant à mettre en place des habitats favorables aux pollinisateurs dans les domaines agricoles et forestiers, à réduire l’usage de pesticides, à informer les parties concernées et à soutenir la réalisation d’études scientifiques et de suivis.  

À quel point les insectes sont-ils en danger?

Les indicateurs sur la vitalité des insectes sont au rouge et font état d’un déclin très rapide des populations dans une très grande proportion d’espèces, ainsi que d’une accélération du nombre d’espèces éteintes localement et globalement. Il ne fait aucun doute que nous avons affaire à un déclin massif, rapide et généralisé des insectes. 

Parler de « la disparition des insectes » revient néanmoins à opérer un raccourci alarmiste, car personne ne s’attend à ce que la classe entière des insectes disparaisse. Les tendances varient fortement selon les espèces, les régions et les biotopes. De nombreuses espèces d’insectes sont stables ou même en croissance, comme les phalènes au Royaume-Uni. Une étude menée aux États-Unis souligne que certaines espèces sont en croissance et d’autres en déclin, avec une évolution nette stable – une conclusion qui est cependant remise en question par d’autres scientifiques.  

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Comment mesurer l’abondance et la biodiversité des insectes ?

Différentes méthodes permettent de mesurer l’évolution de la biodiversité et du nombre d’insectes. Elles doivent être utilisées de manière complémentaire pour offrir une vue d’ensemble fiable. 

  • On compte le nombre d’insectes (l’abondance) de différentes espèces dans des échantillons pris à des intervalles réguliers et on en suit l’évolution. On peut ensuite tirer des conclusions sur le nombre d’insectes pour une espèce ou un groupe d’espèces dans une région ou un biotope particulier ainsi qu’au niveau mondial.  
  • On mesure le poids accumulé (la biomasse) des insectes capturés. La réduction de la biomasse est très souvent corrélée au recul de l’abondance, ce qui indique qu’elle n’est généralement pas due à une diminution du poids et de la taille des individus. En général, cette méthode ne distingue pas les différentes espèces de manière détaillée et une biomasse stable pourrait occulter la croissance ou la raréfaction de certaines espèces. 
  • On dénombre beaucoup d’espèces en déclin ou ayant disparu, soit de manière globale, soit dans une région ou un biotope particulier. Les critères utilisés varient légèrement. Selon ceux de l’UICN (Union internationale pour la conservation de la nature), une espèce est en déclin (ou vulnérable) si le nombre d’individus recensés a chuté de plus de 30 % en dix ans, elle est en danger si la réduction dépasse 50 % et elle est en danger critique lorsqu’elle atteint plus de 80 %. Une espèce a disparu – globalement ou localement – si on n’a plus observé le moindre individu depuis une certaine période (par exemple, plus de cinquante ans). Ainsi, on peut estimer le déclin des hyménoptères (le groupe rassemblant entre autres les abeilles et les fourmis) en évaluant la proportion des espèces se trouvant en déclin ou ayant disparu et le rythme avec lequel les espèces disparaissent. 
  • De nombreuses personnes disent observer bien moins d’insectes écrasés sur le pare-brise de leur véhicule qu’auparavant. Ce type d’anecdotes ne peut servir de preuve scientifique, mais une poignée d’études scientifiques ont confirmé ce phénomène, dont une qui a révélé un recul de 80 % entre 1997 et 2017

Si l’alarmisme de certains médias et de certaines études parlant d’un « déclin » ou d’une « apocalypse » des insectes peut sembler exagéré et s’avérer contreproductif, les scientifiques sont unanimes sur la nécessité absolue d’agir pour éviter une perte irréversible des services écosystémiques fournis par les insectes (voir ci-dessous « Quelles seraient les conséquences du déclin massif des insectes ? »). 

À quelle vitesse les insectes déclinent-ils ? 

Il n’existe pas de réponse unique et globale, la situation variant fortement selon les espèces prises en compte, les pays, les biotopes ou encore la durée du suivi. De vastes études ont néanmoins fourni des estimations de ce déclin.

Jusqu'à 40% des insectes en déclin au niveau mondial

Une estimation disponible au niveau mondial suggère que près de 40 % des espèces d’insectes se trouvent en déclin, avec une perte moyenne d’environ 1 % par an (soit 10 % en une décennie et 50 % en 70 ans), et un tiers des espèces sont menacées d’extinction. Ce sont les conclusions d'un examen de 73 études menées depuis plusieurs décennies dans 25 pays, dont 14 en Europe, portant sur des milliers d’espèces différentes. Il indique qu’une espèce sur dix est considérée comme disparue localement, n’ayant pas été observée depuis plus de 50 ans. Cette étude suggère que le déclin des insectes est plus marqué que celui des mammifères, dont le taux d’espèces disparues localement serait cinq fois moindre (1,8 %).  

Cependant, la méthodologie de cette étude a été contestée par beaucoup de scientifiques. Il existe d'autres estimations de la proportion d'espèces en déclin, allant de 10 à 30% selon l'étude et la région analysée.

L’abondance des insectes terrestres, déduite du nombre d’individus présents dans des échantillons, diminue de 1,1% par an, selon des estimations publiées dans une méta-analyse en 2020. Cette méta-analyse portait sur 166 études réalisées sur plus de 1 600 sites dans 41 pays situés sur tous les continents, mais majoritairement en Europe, avec des relevés réalisés en moyenne sur 20 ans. Un tel déclin d'insectes terrestres remonterait à un déclin de 28,45% sur une période de 30 ans, selon Roel van Klink, auteur correspondant de l'étude. L’étude a par contre révélé une augmentation annuelle de 1,2 % de l’abondance des insectes aquatiques, probablement en raison des mesures de protection environnementale. Sur une période de 30 ans, cela remonterait à une augmentation de 26,91%, selon Roel van Klink. Il faut cependant souligner que ce sont des extrapolations basées sur des estimations modelisées.

Figure 1. Tendances relatives à l'abondance ou la biomasse des insectes capturés sur 1 600 sites dans 41 pays. Les taux annuels de déclin (en rouge) et de croissance (en bleu) vont jusqu’à 2 %. De: van Klink et al.,Science 368,417–420 (2020). Reproduit avec la permission de l'AAAS.*

L’abondance des lépidoptères (ordre des papillons) a diminué de 32 % entre 1970 et 2010, soit un déclin annuel de 1 %, selon une analyse de plus de 3 000 recensements de 452 espèces d’invertébrées autour du monde. Pour les autres invertébrés, l’analyse fait état d’un véritable effondrement de 79 %, soit une baisse annuelle de l’abondance de 4 %.

Figure 2. Projection du déclin des insectes si les tendances se maintiennent : augmentation annuelle de la proportion d’espèces en déclin d’un point de pourcentage (en rouge) ; baisse annuelle de l’abondance d’insectes de 1 % ou des invertébrés de 4 % (en bleu).

Si ces estimations se confirment et se poursuivent, le déclin des insectes sera massif. D’ici 25 ans, deux tiers des espèces seront en déclin et le nombre d’insectes terrestres aura chuté d’au moins un quart. 

Ce déclin est-il exceptionnellement fort? On estime que le taux d’extinction chez les mammifères est actuellement beaucoup plus élevé que le taux de base, soit environ 100 fois plus élevé que dans les jours précédant l’humanité.  Et comme mentionné ci-dessus, le taux d’espèces d’insectes localement éteintes est actuellement cinq fois plus élevé que celui des mammifères

Taux de déclin similaires au niveau national

Ces observations se retrouvent dans la plupart des grandes études nationales ou régionales, avec parfois des situations plus stables. En Allemagne, la biomasse des insectes volants mesurée dans 63 réserves naturelles a chuté de plus de 75 % en 27 ans. Un autre suivi d’un million d’individus parmi 2 700 espèces d’arthropodes mené sur 290 sites allemands a montré un déclin de 78 % de l’abondance, de 67 % de la biomasse et de 34 % des espèces en dix ans dans les prairies, et de respectivement 41% et 36% dans les forêts.

Une étude a révélé un recul de plus de deux tiers de la biomasse des insectes volants en Écosse entre 1970 et 2002. Elle n’a en revanche pas observé de baisse significative en Angleterre, ce qui pourrait être dû au fait que l'abondance des insectes y aurait déjà chuté massivement avant le début des relevés.

Une vaste étude menée aux États-Unis avec les données d’une douzaine de sites de suivi écologique indique que l’abondance des insectes (et de quelques autres arthropodes) est globalement stable : certains groupes taxonomiques sont en déclin, d’autres sont en croissance, et certains sont en déclin ou en croissance selon le site de recherche. Certains scientifiques ne se disent pas convaincus d’une absence de déclin. Pour eux, l’étude a mélangé des données trop restrictives, les chiffres pour certaines espèces se rapportant à un seul site. Mais il existe un consensus sur le fait que parler de « la mort » des insectes est trop simpliste et que la situation est nuancée selon les espèces, les régions et les biotopes considérés.

Quelles seraient les conséquences du déclin massif des insectes ?

Les insectes sont essentiels au maintien des écosystèmes et fournissent de très nombreux services écosystémiques qui profitent directement aux humains.

Production de nourriture

Les abeilles – mais aussi d’autres insectes tels que les papillons, les coléoptères ou encore les syrphes – sont cruciales pour la pollinisation et jouent ainsi un rôle essentiel pour la production des fruits, des légumes et des noix. On estime que les insectes pollinisent neuf plantes à fleurs sur dix (le reste étant pollinisé par le vent), dont certaines ne peuvent l’être que par une seule espèce d’insecte, et qu’ils contribuent avec d’autres animaux à la pollinisation de trois quarts des cultures agricoles mondiales. Une autre étude a estimé que les insectes sont indirectement responsables pour 35 % de la production alimentaire mondiale.  Leur rôle a une valeur économique considérable estimée à un montant situé entre 200 et 1 000 milliards de dollars par an et la demande de ce service va très probablement croître avec l’augmentation de la production alimentaire. Les espèces terrestres, notamment les fourmis, disséminent également les semences. 

Les insectes contribuent à la régulation naturelle des mauvaises herbes et des animaux ravageurs, ce qui réduit l’emploi polluant et coûteux de pesticides et combat les vecteurs de maladie. Par exemple, différents papillons, diptères et coléoptères ont été employés depuis plus d’un siècle pour lutter contre le lantanier, un arbuste envahissant, alors que des guêpes parasitoïdes sont relâchées contre des coccinelles s’attaquant à des légumineuses ou à des pommes de terre.

Les insectes constituent la nourriture d’un nombre très important d’animaux, notamment des oiseaux, des chauves-souris, des amphibiens, des poissons et d’autres insectes. D’une manière générale, ils jouent un rôle essentiel dans la chaîne alimentaire globale, car ils représentent la biomasse la plus importante située entre les producteurs primaires (les plantes, les algues, les bactéries, etc. qui créent de la matière organique à partir d’énergie lumineuse et d’éléments chimiques) et les premiers consommateurs.  

Figure 3. Pyramide écologique des réseaux alimentaires. Les insectes représentent la plus grande biomasse reliant les producteurs primaires (les végétaux, champignons et micro-organismes) aux deuxièmes consommateurs (les carnivores). Ils contribuent à la décomposition des excréments, des animaux morts et des plantes qui constituent les principaux nutriments des plantes.

Recyclage, épuration et formation des sols   

Les insectes contribuent de manière cruciale au recyclage des nutriments en favorisant la décomposition des plantes, des animaux morts et des excréments. Ils contribuent ainsi à la formation des sols – qui peut prendre plus de mille ans pour six centimètres d’épaisseurà la fertilité des terres agricoles ainsi qu’à la purification de l’eau. Ils participent dans une grande mesure aux cycles biochimiques des écosystèmes, les moucherons transportant par exemple des composés azotés et phosphorés depuis des étangs vers des milieux terrestres, et ils contribuent à la biodiversité des forêts.

Conséquences du déclin des insectes 

Le déclin local ou global des insectes – en nombre d’individus ou d’espèces – aurait très probablement de profondes conséquences sur de nombreux réseaux écologiques, avec un impact important sur l’environnement, la biodiversité et, in fine, la société humaine.  

Un recul de l’abondance des pollinisateurs réduirait le nombre et la taille des fruits et exigerait une pollinisation à la main, telle qu’elle est pratiquée par exemple dans certaines régions de Chine. La diminution de la biomasse des insectes peut impacter négativement toute la chaîne alimentaire en amont à partir de leurs prédateurs directs (oiseaux, chauves-souris, poissons, etc.). La formation des sols et leur fertilité seraient entravées.  

Au regard de la grande complexité des interactions entre les êtres vivants dans tous les écosystèmes, un changement rapide et de grande envergure tel que le déclin des insectes aurait certainement de nombreuses autres conséquences importantes et en partie imprévisibles. Par exemple, une expérience réalisée au Kenya a montré qu’une absence artificielle de girafes – un herbivore comme les insectes – dans certaines parcelles influence l’abondance de nombreuses autres espèces ainsi qu’une multitude d’interactions écosystémiques, telles que la production de fruits, l’activité de photosynthèse, la prévalence de maladies ou encore l’intensité des incendies.

Quelles espèces sont les plus touchées ? 

Le phénomène de l’effondrement des colonies d’abeilles, observé depuis une vingtaine d’années autour du monde, se caractérise par des pertes massives de leur abondance pouvant atteindre 90 % localement et 50 % au niveau national au cours d’un hiver. Des études menées au Royaume-Uni montrent qu’environ la moitié des espèces de libellules, de papillons et d’hyménoptères (abeilles, fourmis, etc.) sont en déclin et que 25 % d’entre elles ont vu leur abondance reculer de plus d’un tiers en quatre décennies.

On ne peut néanmoins pas répondre à cette question de manière globale pour toutes les régions du monde et pour tous les biotopes. Les différentes études indiquent des différences marquées entre les espèces, qui ne sont toutefois pas observées de manière constante. Alors qu’une méta-analyse indique que l’abondance des insectes terrestres dans 41 pays recule de 1,1 % par an et que celle des insectes aquatiques augmente de 1,2 %, une autre méta-analyse signale que ces derniers sont dans une situation précaire, affirmant que plus de 40 % de leurs espèces seraient en déclin, en danger ou éteintes. Ces conclusions divergentes s’expliquent par les différences dans les méthodologies employées : critères d’inclusion des études considérées, emplacement géographique des sites de recensement, durée des suivis, groupement des données, etc. 

Les études ne peuvent clairement étudier qu’une infime proportion du million d’espèces d’insectes connues à ce jour, qui ne constituent elles-mêmes qu’une petite partie de toutes les espèces qui existent probablement sur Terre (leur nombre étant estimé à 5 à 10 millions).

 

Quels sont les endroits les plus touchés? 

On ne peut répondre à une question aussi générale. Les méthodologies employées par les différentes études varient fortement, tout comme les types de biotopes étudiés, qui ne constituent qu’un petit échantillon des lieux occupés par les insectes. La situation dans un pays fortement peuplé, industrialisé et pratiquant une agriculture intensive diffère bien entendu de celle d’un pays moins urbanisé ou à la population moins dense.

C’est ce que montre une vaste étude qui révèle qu’au niveau global, 100 % des espèces de l’ordre des orthoptères (sauterelles, criquets, etc.) étaient en déclin, à l’instar de 60 % des coléoptères, 40 % des hyménoptères (fourmis, abeilles, etc.) et 20 % des lépidoptères (papillons) et des odonates (libellules). Mais la même étude indique un ordre inversé dans le cas de suivis réalisés au Royaume-Uni, où les libellules seraient plus fortement en déclin que les papillons, les fourmis et les coléoptères. Cette divergence montre que les situations varient fortement selon les régions, sans que les scientifiques aient pu dégager des conclusions claires. 

La situation paraît plus précaire en Europe et aux États-Uni, mais ce sont également les endroits où la grande majorité des études longitudinales ont été réalisés, tandis qu'il existe beaucoup moins de données des autres régions du monde. Cela ne signifie pas que ces autres endroits sont moins touchés - on ne le sait tout simplement pas.

Et qu’en est-il au Luxembourg? 

D’une manière générale, on s’attend à ce que la situation au Luxembourg soit similaire à celle des pays voisins, qui signalent tous des baisses importantes de la biodiversité et de l’abondance. Un recensement réalisé au Luxembourg a montré un déclin dans deux tiers des espèces de papillons entre les périodes 1990-2009 et 2010-2016. Un autre recensement indique que sept des neuf espèces de libellules et de papillons observées en 2018 sont dans un état de conservation insatisfaisant ou mauvais. Les données restent lacunaires, mais des programmes de suivi ont été lancés et permettront de disposer d’informations plus fiables. Un exemple est le premier atlas national sur les abeilles sauvages, un projet coordonné par Alexander Weigand au Musée national d'histoire naturelle (MNHN).

 

Quelles sont les causes du déclin des insectes ?

Les insectes souffrent de la perte d’habitats naturels qui leur sont favorables ainsi que de la pollution (pesticides et engrais). D’autres causes sont le changement climatique et des facteurs biologiques tels que les espèces envahissantes ou l’apparition d’agents pathogènes. L’accumulation de ces facteurs ainsi que leurs interactions soumettent les insectes à une très grande pression. Dans une étude publiée en avril 2022, des chercheurs ont constaté une réduction de près de 50% de l'abondance des insectes dans des régions où une agriculture intensive coïncide avec un changement climatique important, par rapport à des endroits où la végétation est intacte et le changement climatique minime. 

La perte d’habitats  

Les milieux naturels propices aux insectes (prairies riches en biodiversité, forêts, zones humides, etc.) ont été très largement transformés en des environnements très peu favorables à la biodiversité, notamment en des zones urbanisées et construites ou en des champs d’agriculture intensive.  

Les insectes souffrent particulièrement de l’emploi massif de pesticides et d’engrais. De plus, les terrains agricoles manquent d’éléments paysagers propices à leur développement (tas de pierres, arbustes, arbres isolés, sites humides, etc.) et l’emploi de machines mécaniques ne laisse pas aux insectes le temps de s’échapper. Les agglomérations urbaines n’offrent bien entendu que très peu de biotopes favorables aux insectes, même dans les rares espaces verts, trop soignés pour permettre une riche biodiversité.

La déforestation a détruit de très nombreux biotopes favorables aux insectes. Les forêts restantes ont souvent changé de visage, avec parfois une réduction massive du bois mort et de la lumière, deux éléments propices au développement de nombreuses espèces. Les cours d’eau ainsi que les zones humides et alluviales, qui hébergent une très grande quantité et biodiversité d’insectes, ont été largement aménagés, alors que la qualité de l’eau laisse parfois à désirer. Les rares milieux naturels préservés ont été très largement fragmentés en zones déconnectées qui ne permettent plus les déplacements essentiels à la vie des insectes. 

La pollution 

Les insecticides ne sont évidemment pas uniquement actifs contre les ravageurs ciblés, mais agissent souvent de manière indiscriminée contre la plupart des autres espèces. L’Union européenne a par exemple interdit les néonicotinoïdes (avec quelques dérogations) en 2018 en raison des craintes concernant leur rôle dans l’effondrement des colonies d’abeilles

En principe, les herbicides ne devraient agir que contre les plantes, mais ils sont soupçonnés de mettre en danger les insectes et la biodiversité. Le Luxembourg a par exemple été le premier pays de l’Union européenne à interdire le recours au glyphosate dès 2021. L’emploi massif d’engrais provoque une nitrification des sols, qui a un effet délétère sur les types de sols et de végétation propice au développement des insectes. 

À ces phénomènes s’ajoute la quantité croissante de micropolluants (produits phytosanitaires, antibiotiques, d’entretien, etc.) qui s’accumulent dans les rivières, les étangs et les zones humides et mettent en danger les insectes et notamment les larves aquatiques. 

Le changement climatique 

Le réchauffement extrêmement rapide de la planète a de multiples conséquences sur les écosystèmes et sur les insectes. Il provoque une extinction locale d’espèces, avec des conséquences en cascade pouvant toucher des espèces éloignées en apparence. La répartition géographique des êtres vivants et les saisons changent rapidement, avec par exemple un décalage entre la période de floraison d’une plante et la saison de vol de ses pollinisateurs.  

L’augmentation de la fréquence et de l’intensité des événements météorologiques extrêmes (chaleurs, sécheresse, feux de forêt, très fortes précipitations, inondations) met également les insectes sous pression. On peut par exemple mentionner les larves aquatiques qui se développent dans des plages de températures déterminées ou encore la baisse de la concentration d’oxygène dans l’eau. 

Le changement climatique pourrait – de prime abord – profiter à certaines espèces, comme les insectes thermophiles dont les milieux de vie s’étendent. Mais il est très probable que les nombreuses interactions entre les différents êtres vivants réduisent ou annulent ce bénéfice.  

Autres facteurs 

Des espèces non locales – introduites volontairement ou non – peuvent avoir des effets négatifs sur les insectes lorsqu’elles se répandent fortement, par exemple en constituant une nourriture de moindre qualité. Elles semblent avoir au mieux un impact neutre, mais rarement positif

L’essor de certains pathogènes peut également mettre en danger les insectes. Ainsi, l’effondrement des colonies d’abeilles a été mis en rapport avec des virus, des acariens (Varroa destructor) ainsi que des parasites unicellulaires (Nosema).

La pollution lumineuse, un phénomène en pleine croissance, est fortement soupçonnée de participer au déclin des insectes. L’éclairage artificiel attire les insectes volants, ce qui a des conséquences non négligeables. Ils deviennent des proies faciles pour leurs prédateurs (araignées, chauves-souris, etc.), peinent à s’orienter et à maintenir leur rythme circadien, notamment afin de butiner, s’éloignent de leurs habitats naturels et modifient leur comportement de reproduction. En revanche, les ondes électromagnétiques telles que la 5G ne semblent pas avoir d’effet néfaste

Que peut-on faire pour freiner le déclin des insectes ?

Le déclin des insectes est pratiquement exclusivement attribuable aux activités humaines. Pour contrer cette évolution, des mesures étendues relevant de la protection de la biodiversité sont nécessaires afin de réduire l’impact de la société sur l’environnement.

Les points importants 

Pour protéger les insectes, il convient d’agir sur plusieurs axes : 

  • préserver les espaces naturels (forêts, prairies riches en biodiversité, étangs, zones humides, etc.) et de limiter l’extension des zones bâties ;
  • réduire le mitage du territoire ;
  • diminuer considérablement l’usage de pesticides et protéger l’environnement de la pollution ;
  • réduire la pollution lumineuse ;
  • prendre des mesures pour lutter contre le changement climatique. 

Que faire concrètement 

Des mesures concrètes permettent de poursuivre les axes stratégiques ci-dessus. 

  • L’État peut élaborer des plans d’action nationaux pour lutter contre le changement climatique, créer des réserves naturelles et conserver les espèces nationales particulièrement importantes ou rares.
  • Il peut encourager – au moyen d’incitations financières ou de subventions – voire obliger les exploitations agricoles et les autres responsables de surfaces non construites (par exemple, les communes) à conserver plus de milieux propices aux insectes (prairies riches en biodiversité, bordures de champs, espaces peu aménagés, etc.).  
  • Il peut poursuivre une planification du territoire qui évite le morcellement des zones vertes et conserve des zones naturelles peu impactées par les activités humaines. 
  • La limitation du recours aux pesticides et engrais peut se faire par leur interdiction, par des incitations financières ou à travers des labels.
  • Les incitations financières doivent être en adéquation avec les objectifs de préservation de la biodiversité. Il convient par exemple d’éviter qu’elles soient simplement proportionnelles à la taille de l’exploitation agricole ou du cheptel.
  • Il faut bien entendu faire respecter les normes en matière de pollution.
  • Il est important d’assurer la diversité des forêts, avec des zones clairsemées et une quantité suffisante de bois mort.
  • Les autorités peuvent lancer des programmes de revitalisation des bords des rivières, avec moins de digues et davantage de zones humides et inondables, ce qui réduit également les risques d’inondation.
  • Les villes peuvent soutenir la biodiversité en milieu urbain, notamment dans les espaces verts publics et privés, et réduire la pollution lumineuse.
  • D’une manière générale, il est important d’informer les parties prenantes et la population de l’importance des insectes pour le bien-être de la société et des comportements à adopter. Il convient également de les inciter à adopter des pratiques favorables à la biodiversité.
  • Le lancement de projets de science citoyenne (tels que https://inaturalist.lu) permet à la fois de recueillir des données et d’impliquer et d’informer la population. 
  • En encourageant les recherches scientifiques, on obtient des données plus fiables, notamment par la réalisation de suivis à long terme de la biodiversité et de l’abondance des insectes. 

Le plan d’action du Luxembourg 

Le gouvernement a lancé un plan d’action 2021-2026 afin d’enrayer la disparition des insectes, notamment des pollinisateurs. Il l’a conçu après avoir consulté la plupart des parties prenantes : le secteur agricole, les domaines public et privé, les organismes de protection de la nature, les Parcs naturels, les administrations actives dans les disciplines environnementales et les scientifiques.  

Cette stratégie couvre pratiquement tous les points mentionnés ci-dessus. Elle s’articule en 21 actions concrètes dans trois grands domaines :  

  • la protection, la conservation et la gestion ; 
  • l’amélioration des connaissances ;
  • le partage des connaissances, la formation et la sensibilisation. 

Lacunes scientifiques à combler 

Disposer de connaissances scientifiques sur les insectes est crucial pour cibler les mesures. Il est opportun d’encourager les recherches afin de mieux connaître : 

  • la situation actuelle, l’évolution de la diversité et de l’abondance des espèces d’insectes, leur répartition géographique ainsi que leur répartition dans les divers biotopes (étangs, praires, haies, etc.) ;
  • la présence d’espèces invasives et leur impact sur les populations locales ;
  • les interactions entre les différents écosystèmes et espèces ;
  • les services écosystémiques fournis par les insectes (pollinisation, décomposition de matière organique, etc.) ;
  • les causes et les effets croisés du déclin des insectes ;
  • l’efficacité des mesures prises pour contrer le déclin des insectes.

Auteur: Daniel Saraga (Saraga Communications)
Editeur: Michèle Weber (FNR)
*Figure 1: De: van Klink et al.,Science368,417–420 (2020). Reproduit avec la permission de l'AAAS.
Les lecteurs peuvent visualiser, parcourir et/ou télécharger le matériel à des fins de copie temporaire uniquement, à condition que ces utilisations soient à des fins personnelles non commerciales. Sauf dans les cas prévus par la loi, ce matériel ne peut être reproduit, distribué, transmis, modifié, adapté, exécuté, affiché, publié ou vendu en tout ou en partie, sans l'autorisation écrite préalable de l'éditeur.
Figures 2 et 3: Daniel Saraga (Saraga Communications)
Infographie: Headroom Design

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Références

https://www.pnas.org/doi/10.1073/pnas.2023989118

https://www.science.org/doi/10.1126/science.aax9931

https://www.science.org/doi/10.1126/science.abf1915

https://www.nature.com/articles/s41559-020-1269-4

URL=https://www.sciencemediacentre.org/expert-reaction-to-study-of-insect-numbers-in-the-us/

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