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L'hydrogène est un gaz dangereux ! Et sa production nécessite beaucoup d'énergie. Pourtant, l'hydrogène est censé jouer un rôle clé dans la « transition énergétique » et la « décarbonation ».

En quoi l’hydrogène (vert) est-il intéressant ?

L’UE a pour ambition d’atteindre la neutralité climatique à l'horizon 2050. Cela implique que nous renoncions d’ici là aux combustibles fossiles comme le gaz naturel, le pétrole et le charbon et qu’il faut trouver des alternatives. 

L'hydrogène en est une ! Il peut être utilisé de manière polyvalente :  

  • comme matière première dans l'industrie, 
  • mais aussi comme combustible et/ou comme moyen de stockage d'énergie. 

Un point essentiel : il peut être produit de façon neutre pour le climat. Vous vous souvenez peut-être encore de la réaction vue en classe :  l'électrolyse de l’eau permet de séparer l'hydrogène de l'oxygène à l’aide d'un courant électrique.   

Et quand on utilise de l’électricité renouvelable, la production n’engendre pratiquement pas d’émissions de CO2 ! On parle donc d'hydrogène vert !   

L'énergie stockée dans l'hydrogène peut être récupérée soit par combustion, soit à l'aide de piles à combustible – c’est en quelque sorte la réaction inverse de l'électrolyse. Et le produit résiduel que l’on obtient dans les deux cas, c’est de l’eau ! En d’autres termes, même lors de la combustion ou de l'utilisation, l'hydrogène vert est propre : il n’y a pas d’émissions de CO2, juste de l'eau.  

Tout ça semble parfait ! Allons-nous donc nous déplacer dans des voitures à hydrogène à l’avenir ? Voyager à bord d’avions à hydrogène ? Chauffer à l'hydrogène et stocker de l'électricité grâce à l’hydrogène ?  ... 

Nicolas Boscher, chercheur dans le domaine de l'hydrogène, et Thomas Gibon, chercheur dans le domaine Life Cycle Assessment, qui travaillent tous les deux au LIST (Luxembourg Institute of Science and Technology), nous ont livré leurs conseils dans le cadre de cet article.

Nicolas Boscher dirige un groupe de recherche au LIST, qu'il a rejoint en 2008. Auparavant, il a travaillé au University College London (2004-2007) et au Massachusetts Institute of Technology (2014-2015). Ses travaux de recherche, soutenus par une bouse ERC et un projet FNR-PRIDE, portent sur l'ingénierie des matériaux pour la conversion (photo)électrocatalytique de molécules simples à faible énergie (H₂O, CO₂) en carburants et produits chimiques.

Thomas Gibon est chercheur au Luxembourg Institute of Science and Technology (LIST) depuis 2016. Ingénieur de l’École Centrale Paris (2008), il détient également un doctorat de l’Université Norvégienne de Science et Technologie (2017). Ses activités de recherche ont pour principal sujet l’évaluation des impacts environnementaux, appliquée notamment aux systèmes énergétiques, à la mobilité, aux bâtiments, et aux produits financiers. Outre ses publications dans des revues scientifiques, il a notamment contribué au cinquième rapport d’évaluation du GIEC (2014), ainsi qu’à d’autres rapports sous la houlette des Nations Unies, par exemple « Green Energy Choices » (UNEP, 2015), « Green Technology Choices » (PNUE, 2016) ou la plus récente analyse du cycle de vie comparative de la production d’électricité (UNECE, 2021). Thomas est aussi impliqué dans des activités de vulgarisation sur les thèmes de l’empreinte carbone et de la décarbonation auprès du grand public et des étudiants.

L'hydrogène présente malheureusement aussi des inconvénients. 

L'hydrogène n'est pas une source d'énergie que l'on peut puiser facilement comme le gaz naturel, le pétrole ou le vent – ce n’est qu'un moyen de stockage d'énergie relativement peu efficace. En effet, sa production est très énergivore. (Oui, des essais sont en cours pour exploiter des réserves d’hydrogène souterraines, mais on ignore s'ils seront fructueux.) Ensuite, l'hydrogène doit être comprimé dans des réservoirs à environ 700 bars et/ou fortement refroidi. Et pour pouvoir utiliser l’énergie, il doit de nouveau être transformé. Des pertes d'énergie se produisent à chacune de ces étapes.   

Il est toujours plus efficace d’utiliser directement de l’électricité renouvelable ! La pompe à chaleur, qui utilise directement l'électricité pour chauffer, en est un exemple. Lorsqu'on utilise l'hydrogène comme combustible, 80 % de l'électricité initiale est gaspillée.  

Conclusion intermédiaire 1 :  L'hydrogène vert est certes un moyen de stockage d'énergie respectueux du climat, mais il est plus efficace d’utiliser directement de l'électricité renouvelable. 

L'hydrogène comme moyen de stockage d'énergie : un concurrent de la batterie

Il n'est pas toujours possible d'utiliser directement l’électricité. C’est pourquoi il faut des systèmes de stockage d'énergie. À cet égard, l'hydrogène rivalise avec la batterie.  Devrions-nous donc, par exemple, stocker l’excédent d’électricité provenant de notre système photovoltaïque domestique sous la forme d'hydrogène ? Pas du tout ! Car la batterie est bien plus efficace.  

En comparant la voiture électrique à la voiture à hydrogène, on constate que cette dernière consomme 2 à 3 fois plus d'électricité que la voiture électrique.    

Comparaison entre la voiture électrique et la voiture à hydrogène

Dans le cas de la voiture électrique, le chargeur fournit l'électricité nécessaire à la batterie, qui à son tour alimente le moteur. Lors des différentes étapes, seule une petite quantité d'énergie est perdue.  

En chiffres : pour transmettre 1 MJ d'énergie aux pneus, il faut initialement 1,53 MJ. Près d'un tiers de l'énergie est donc perdue.  

En ce qui concerne la voiture à hydrogène, il existe deux scénarios. Soit l'hydrogène est brûlé dans la voiture. Dans ce cas, le fonctionnement ressemble à celui d'un moteur à combustion classique.  

Soit l’hydrogène est transformé en électricité à l'aide de piles à combustible. Dans ce cas, le mode de fonctionnement est similaire à celui d'une voiture électrique. Et plus efficace. Comparons donc ce type de voiture à hydrogène avec une voiture électrique. 

Dans ce cas précis, beaucoup plus d'étapes sont nécessaires. Dans un premier temps, l'électricité renouvelable est acheminée dans un électrolyseur qui produit l'hydrogène. À ce stade, pas moins de 25 à 30 % de l’énergie initiale sont perdus. Ensuite, l’hydrogène doit être transporté jusqu'à la station-service, injecté dans la voiture, puis y être stocké – chaque étape entraînant des pertes d'énergie. Puis, l’hydrogène est de nouveau transformé en électricité à l’aide d'une pile à combustion. Avec une perte d’énergie de près de 50 %. Et à partir de ce stade, le principe est le même que celui de la voiture électrique.  

Cependant, en passant par l’hydrogène, on a consommé 4,5 MJ, pour n’en dépenser que 1 MJ sur la route. Près de 80 % de l'énergie initiale est perdue. La voiture électrique est donc de loin plus efficace !

De plus, l'infrastructure pour les voitures électriques s'améliore progressivement, les batteries sont de plus en plus efficaces et abordables, et un marché du recyclage se développe...  

C’est pourquoi les experts s’accordent à dire que la voiture à hydrogène n'est pas une priorité pour l'instant.   

Dans ce cas, l'hydrogène a-t-il une quelconque utilité ? 

Oui ! Car les batteries présentent aussi des inconvénients : elles ne sont pas en mesure de stocker l'énergie aussi longtemps que l'hydrogène. L'hydrogène pourrait ainsi servir de solution de stockage saisonnier pour les grands volumes d'énergie.  

Les batteries ont par ailleurs une densité d'énergie inférieure à celle de l'hydrogène : elles prennent beaucoup plus de place. Pour les gros véhicules et les longues distances, il faudrait des piles énormes et très lourdes. L'hydrogène recèle donc un potentiel, par exemple pour les gros cargos, voire pour les camions ou les bus. 

Les carburants de synthèse pourraient aussi entrer en jeu à ce stade, mais nous y reviendrons... 

Conclusion intermédiaire 2 : Pour de nombreux usages, l'hydrogène s’avère moins efficace que la batterie. Mais dans certains cas, il présente des avantages. 

Des avions à hydrogène à l’avenir ?

Et qu’en est-il des avions ? L'utilisation de l'hydrogène est considérée comme risquée. Les carburants de synthèse constitueraient une alternative à cet égard. À cet effet, on ajoute du CO2 à l'hydrogène pour former des molécules plus grandes, puis on approvisionne les avions avec ce liquide. Mais attention :  pour que la flotte aérienne européenne actuelle atteigne la neutralité climatique, il faudrait chaque année environ 1,3 fois le volume total d'électricité produite en 2020 au sein de l’UE – rien que pour l'aviation.  

Il s’agit là d'une tâche titanesque ! Nous ne disposons pas d’assez de sources d’énergie alternatives pour produire une telle quantité d’hydrogène ! Les experts sont donc unanimes :  

Conclusion intermédiaire 3 : Il faut fixer des priorités !  

Mais par où commencer ?

Dans quel domaine l’utilisation d’hydrogène présente-t-elle aujourd’hui le plus grand intérêt ? 

Ici aussi, les experts sont plutôt unanimes : la priorité revient au secteur qui consomme actuellement le plus d'hydrogène – l’industrie ! 

Chaque année, 100 millions de tonnes d'hydrogène sont consommées à l’échelle mondiale, par exemple  

  • dans l'industrie sidérurgique,  
  • comme matière première pour produire des engrais,  
  • ou comme combustible pour atteindre des températures élevées. 

Le hic : à l'heure actuelle, on n’utilise presque pas d’hydrogène vert, si bien que pas moins de 99 % sont issus de combustibles fossiles, principalement du gaz naturel. C'est ce qu'on appelle l’hydrogène gris. Rien qu’en Europe, l’hydrogène gris issu de l'industrie génère 70 à 100 millions de tonnes d'émissions de CO2 par an. Au Luxembourg, il est à l’origine de plus de 5 000 tonnes d'émissions de CO2 par an.  

Cet hydrogène gris du secteur industriel doit donc être remplacé le plus vite possible par de l'hydrogène vert. Cela permettrait déjà de réduire considérablement les émissions de CO2.  

C'est un défi énorme ! L’hydrogène vert coûte actuellement près de 3 fois plus cher que l’hydrogène gris. Et l’infrastructure n’est pas suffisamment développée. Il faut des quantités beaucoup plus importantes d'électricité renouvelable, à savoir l’équivalent du volume total d'électricité produite en France chaque année.  

En outre, les processus industriels doivent idéalement être transformés de sorte que les produits chimiques fossiles puissent être remplacés par l'hydrogène. Cela contribuerait à réduire encore davantage les émissions de CO2

C’est notamment possible dans la sidérurgie, où l’hydrogène peut remplacer le coke comme agent réducteur.  

Conclusion finale 

Si nous souhaitons renoncer au pétrole, au gaz et au charbon, il faut utiliser l'hydrogène ! Pour l’instant, ce processus n’a pas encore vraiment été amorcé en raison des difficultés non négligeables à surmonter.  

Avant de pouvoir utiliser l’hydrogène en grandes quantités, il faut mettre en place les infrastructures nécessaires et produire de grandes quantités d'électricité renouvelable. Cela nécessite d'énormes investissements – et beaucoup de temps. Un défi de taille ! Dans l’intervalle, il faut définir des priorités !   

Auteur : Jean-Paul Bertemes (FNR)
Co-auteure : Michèle Weber (FNR)
Conseil : Nicolas Boscher, Thomas Gibon (LIST)
Vidéo : SKIN
Traduction : Nadia Taouil (t9n.lu)

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