Ulf Nehrbass Paul Wilmes

LIH, ScienceRelations

Ulf Nehrbass (à gauche) est CEO du LIH et porte-parole de la Task Force Covid-19. Paul Wilmes (à droite) est professeur au LCSB de l'Université du Luxembourg et porte-parole adjoint.

En étroite coopération avec les autorités sanitaires et les hôpitaux, la Task Force Covid-19 – un groupement de chercheurs au Luxembourg – travaille depuis des semaines sur des projets, des simulations et des stratégies pour suivre la propagation du virus avec des données factuelles et surveiller la situation dans le but de maîtriser à tout moment la circulation du nouveau coronavirus.

Elle a désormais développé une stratégie de dépistage à large échelle, qui a été présentée lors d'une conférence de presse avant-hier. Cette stratégie vise à permettre un assouplissement plus sûr et plus rapide des restrictions actuelles. Elle poursuit un but unique à l'échelle mondiale : tester l'ensemble de la population. L'objectif premier est de prévenir de nouvelles chaînes d'infection afin que les éléments essentiels de la vie quotidienne puissent être garantis sans mettre en danger la santé de l'individu ni surcharger le système de santé. Nous nous sommes entretenus avec le porte-parole et le porte-parole adjoint de la Task Force Covid-19, Ulf Nehrbass (LIH) et Paul Wilmes (Université du Luxembourg).

En quoi consiste la stratégie de test ?

Elle repose sur quatre volets essentiels :

  • une subdivision de la population en contingents ;
  • une stratégie de dépistage à grande échelle visant à tester plusieurs fois un contingent après l'autre et, en somme, l'ensemble de la population (y compris les frontaliers) avec la mise en place subséquente de mesures d'isolement et de quarantaine efficaces ;
  • un traçage efficace des contacts pour éviter une nouvelle propagation du virus au vu de la faible prévalence restante (c'est-à-dire, du nombre peu élevé de porteurs du virus) ;
  • une reprise relativement rapide et sûre des activités dans le respect des mesures d'hygiène générales.

 

Cette stratégie s'inscrit dans le cadre de l'assouplissement progressif des mesures de confinement envisagé par le gouvernement. L'objectif est de suivre la propagation du virus avec des données factuelles et de surveiller la situation afin de la maîtriser à tout moment. Elle permet aux décideurs politiques :
 

  • d'être informés en permanence sur la propagation du virus au Luxembourg et d'adapter les décisions à la situation ;
  • d'une part, de lever plus rapidement les restrictions pour certains pans de la société (processus se déroulant sur environ trois mois) grâce à la stratégie de dépistage à large échelle appliquée à des contingents individuels et, d'autre part, de minimiser les risques inhérents aux mesures d'assouplissement.

Ulf Nehrbass, une approche déterminant la façon dont la recherche luxembourgeoise peut accompagner la stratégie de déconfinement au Luxembourg a été élaborée sous votre direction. Quels étaient les principaux éléments à prendre en considération lors du développement de cette stratégie ?

Ulf Nehrbass : Nous sommes actuellement confrontés à un virus qui nous a attaqués avec une telle force qu'il a complètement bouleversé la vie des gens presque partout dans le monde. Dans un premier temps, les gouvernements à travers le monde ont réagi en instaurant des mesures parfois draconiennes. Et cette réaction était justifiée et importante. Sinon, la situation nous aurait complètement échappé et les conséquences auraient été catastrophiques. Mais nous souhaitons bien entendu sortir de cette situation. Ce qu'il est important de savoir, c'est que nous ne sommes pas prêts de retrouver notre vie d'il y a quelques mois. Nous devons donc apprendre à vivre au mieux avec le virus. Et la meilleure façon d'y parvenir, c'est en le maîtrisant et en tenant compte des dernières découvertes pour guider nos actions. La stratégie doit donc consister à développer des solutions innovantes pour relancer la vie sociale en dépit du virus, tout en gardant ce dernier sous contrôle à tout moment.

Mais nous devons aujourd'hui faire face à un dilemme : dans le contexte actuel de confinement, nous sommes en mesure de contrôler le virus de façon efficace. Sur le plan purement épidémiologique, il serait judicieux de demeurer dans cette situation. Mais pour bien d'autres raisons, il est important de sortir le plus rapidement possible du confinement, par exemple pour des raisons économiques, psychologiques ou sociales, ou au vu des dommages collatéraux que la situation entraîne. Nombre de chercheurs au Luxembourg examinent d'ailleurs les conséquences psychologiques et économiques de la pandémie. Mais sortir du confinement va de pair avec une certaine prise de risque : au niveau individuel, parce que le risque d'infection augmente pour tout un chacun, et au niveau sociétal, parce que le risque d'une deuxième vague d'infection s'accentue, ce qui, dans le pire des cas, pourrait se traduire par de nouvelles mesures de confinement. La stratégie doit donc également viser à minimiser ces risques, et à essayer de faire en sorte que le Luxembourg puisse prendre des mesures d'assouplissement dès que possible, tout en limitant les risques, tant pour l'individu que pour la société dans son ensemble.

Les chercheurs luxembourgeois ont développé une « stratégie de dépistage à large échelle ». Cela signifie que les tests constituent l'élément principal de la stratégie. Pourquoi une telle approche ?

Ulf Nehrbass : Le Luxembourg dispose d'une structure économique similaire à celle de ses pays voisins. Mais il y a un point qui nous distingue sensiblement : la taille de la population. Elle nous permet de prendre des mesures qui ne sont pas possibles dans les pays ayant une population plus importante – à savoir, une stratégie qui vise à tester progressivement l'ensemble de la population, en procédant par contingents. Il s'agit là d'une grande chance qui s'offre à nous et nous devons la saisir.

En quoi le dépistage à large échelle renforce-t-il la sécurité des citoyens au Luxembourg ?

Paul Wilmes : Selon les dernières estimations, on peut partir du principe que près de 80 % des cas de Covid-19 sont asymptomatiques. Cela signifie que beaucoup de gens sont porteurs du virus sans le savoir. Le problème, c'est qu'ils peuvent contaminer d'autres personnes.

Le Luxembourg a déjà réalisé beaucoup de tests en comparaison avec d'autres pays. En effet, nous sommes l'un des pays au monde qui pratique le plus de tests. Et pourtant, jusqu'à présent, nous avons testé « uniquement » les personnes présentant des symptômes. C'est pourquoi, nous pouvons partir du principe que nous n'avons à l'heure actuelle décelé que 20 % des personnes infectées. Si nous offrons désormais systématiquement à chaque individu la possibilité de se faire tester sur une base volontaire, nous pourrons identifier et isoler davantage de personnes infectées avant qu'elles n'en contaminent d'autres. Il est également important de rechercher de façon efficace et rapide les contacts des personnes testées positives grâce au traçage des contacts, de les mettre en quarantaine et de les tester. C'est la seule façon de prévenir efficacement les chaînes d'infection.

Cela signifie-t-il que nous allons de nouveau isoler des individus, mais qu'en contrepartie, nous allons laisser la société sortir progressivement du confinement ?

Paul Wilmes : Tout à fait, comme c'était déjà le cas au début de l'épidémie. Il est indéniable que ces mesures d'isolement sont désagréables pour l'individu. Mais elles sont importantes pour la société dans son ensemble et, en fin de compte, elles profiteront à tout le monde. Car l'objectif est que notre société retrouve une plus grande liberté de mouvement aussi rapidement que possible et de la façon la plus sûre possible.

Est-il correct d'affirmer que se faire tester est un moyen de protéger les autres ?

Ulf Nehrbass : Absolument. Même si je ne présente pas de symptômes, je peux être porteur du virus et être contagieux. Si je l'ignore, la probabilité que j'infecte d'autres personnes est relativement grande, surtout lorsque le confinement sera levé progressivement et que mes contacts physiques se multiplieront à nouveau. Mais si en réalisant le test, j'apprends que je suis positif, je m'isole et je protège les autres ! La devise « Faites-vous tester – cela peut sauver des vies ! » vient remplacer la devise « Restez chez vous – cela peut sauver des vies » qui était de mise jusqu'à présent. Mais il s'agit bien entendu aussi d'une information utile pour les personnes concernées.

Quels tests sont utilisés ? Les tests par PCR en temps réel ou les tests sérologiques ?

Paul Wilmes : Dans une première phase, il s'agit des tests par PCR en temps réel. Ils indiquent si une personne est actuellement contaminée ou non. À l'heure qu'il est, cela n'a guère de sens de réaliser des tests sérologiques à grande échelle, car nous partons du principe que seul un pourcentage relativement faible de la population a développé des anticorps. L'étude CON-VINCE nous permettra d'obtenir plus d'informations à ce sujet. Cependant, une fois qu'un certain pourcentage de la population aura développé une immunité, les tests sérologiques joueront un rôle plus important.  

Il est ressorti des commentaires des lecteurs que les gens s'étonnaient qu'au début, on ne testait que les personnes symptomatiques et que désormais, tout le monde est testé. Que leur répondez-vous ?

Paul Wilmes : Au début de la pandémie, le Luxembourg a dû définir des priorités, car à ce moment, il n'était tout simplement pas possible de se procurer suffisamment de tests pour tout le monde. C'est pourquoi l'accent a été mis sur les cas symptomatiques. En outre, on n'a découvert que progressivement qu'un grand nombre de cas sont asymptomatiques et que ces derniers jouent un rôle important dans la propagation du virus. L'efficacité des tests, elle aussi, ne cesse d'augmenter. Et il faut d'abord déployer la logistique pour pouvoir tester l'ensemble de la population. Ce n'est que maintenant que nous sommes en mesure de mettre en œuvre cette stratégie de test.

Il y a également eu des questions sur ce qui se passerait si on ne se faisait pas tester. En effet, le communiqué de presse indiquait que les personnes testées positives seraient isolées et que les mesures de confinement seraient levées pour celles dont le test s'avèrerait négatif. Qu'en est-il de ceux qui ne souhaitent pas se faire tester, puisque le test se fait sur une base volontaire ?

Ulf Nehrbass : La levée des restrictions s'appliquera à toutes les personnes d'un contingent, qu'elles aient été testées ou non, mais pas aux personnes dont le test se révèle positif. Celles-ci devront être placées en isolement pendant deux semaines. Nous espérons toutefois que la plus grande partie possible de la population se fera tester. C'est important pour maîtriser le virus et éviter une deuxième vague d'infection. C'est une grande chance que nous avons ici au Luxembourg. J'espère que la population partage ce point de vue.

La répartition de la population en contingents constitue également un volet important de la stratégie de test. Pourquoi cette démarche contribue-t-elle à renforcer la sécurité du processus ?

Ulf Nehrbass : Pour l'expliquer, je dois revenir un peu en arrière. Normalement, d'un point de vue épidémiologique, il est conseillé de ne pas assouplir les mesures tant que l'on n'est pas revenu à une situation où le nombre de personnes est si faible qu'il est possible d'identifier et d'isoler chaque cas – et aussi de retracer et d'isoler les contacts de chaque personne testée positive (voir l'encadré illustrant les différentes phases de la lutte contre le virus). Cependant, le nombre de cas est actuellement encore trop élevé pour pouvoir le faire pour l'ensemble de la population. Ou pour être plus précis : à ce jour, nous ne pouvons pas lever les restrictions pour toute la population et en même temps identifier et isoler chaque individu infecté et retracer ses contacts, etc. Il nous faudrait encore quelques semaines, voire plusieurs mois pour être prêts. Mais nous ne souhaitons pas attendre aussi longtemps. Et ce n'est pas nécessaire, car nous sommes en mesure de le faire progressivement pour de plus petits groupes, c'est-à-dire des contingents d'environ 50 000 à 100 000 personnes. C'est pourquoi nous testerons un contingent après l'autre. Au sein d'un contingent, nous examinerons le nombre de personnes contaminées. Ces personnes seront isolées et leurs contacts seront retracés et également mis en quarantaine. Grâce à cet isolement des personnes testées positives et de leurs contacts, nous créerons un contingent où le virus n'est pratiquement pas présent ou un contingent qui, grâce au traçage des contacts, permettra à nouveau aux autorités d'identifier les personnes individuellement et de les mettre en quarantaine, ce qui correspond comme souhaité à la première phase de la lutte contre l'épidémie. Nous avançons cette phase qui – nous l'avons déjà mentionné – selon nos calculs, ne serait intervenue que vers la mi-juin ou la mi-juillet, et nous pouvons donc commencer le déconfinement plus tôt. Nous pourrions vraisemblablement tester un nouveau contingent toutes les trois semaines en moyenne et lever les mesures de confinement pour le groupe en question. Il faudrait environ trois mois pour que tous les contingents soient testés.

Il convient donc de souligner que les tests nous permettront de contrôler le nombre peu élevé d'infections résiduelles grâce au traçage des contacts. Sans les tests, une telle situation ne serait pas envisageable avant des mois.

Cela signifie-t-il qu'en septembre, tout le monde pourra à nouveau se rendre au travail ?

Ulf Nehrbass : Si tout va bien, oui. Mais nous devrons en permanence suivre de près les valeurs mesurées et adapter les décisions à la situation. À cette fin, nous procéderons également au fil du temps à des tests sur des échantillons représentatifs des contingents afin de garantir un suivi cohérent.

Le ministère de la Santé a pourtant annoncé que ce traçage des contacts, tel que nous l'avons connu au début de l'épidémie, était d'ores et déjà à nouveau possible et pratiqué. Cela ne signifie-t-il pas que nous sommes déjà revenus à la phase 1 ?

Ulf Nehrbass : La plupart d'entre nous sommes toujours confinés à l'heure actuelle. C'est pour cette raison que nous sommes en mesure de maîtriser le virus. Par « phase 1 », nous désignons une situation où il n'y a pas de confinement et où nous sommes à même de maîtriser les événements. Mais nous n'en sommes pas encore là. Sans le confinement, les capacités des autorités pour l'ensemble de la population seraient à nouveau rapidement épuisées. Cependant, nous avons des chances d'y parvenir si nous répartissons la population en contingents, que nous éliminons dans la mesure du possible le virus au sein de ces groupes et que nous procédons à un traçage très minutieux des contacts. La recherche rapide et efficace des contacts constitue en effet un élément clé de la stratégie.

Les différentes phases de la lutte contre les épidémies

La lutte contre les épidémies compte deux phases : 

  • Phase 1 (endiguement) : le nombre de personnes contaminées est si faible que les autorités disposent des capacités suffisantes pour isoler les personnes testées positives, identifier leurs contacts grâce au traçage des contacts et les placer en quarantaine, le cas échéant. C'est la situation que le Luxembourg a connue au début de l'épidémie.
  • Phase 2 (atténuation) : le nombre de cas d'infection excède les capacités des autorités. On ne met plus en isolement des personnes individuelles, mais l'ensemble de la population (confinement). C'est la situation dans laquelle le Luxembourg se trouve actuellement (en date du 30/04/2020).

 

D'un point de vue épidémiologique, il n'est pas conseillé de lever complètement le confinement avant qu'un pays ou une région se trouve en phase 1 – et que l'on parvienne à maîtriser le virus en identifiant et en isolant les cas d'infection individuels et en plaçant les contacts des personnes concernées en quarantaine.

D'accord, nous reparlerons un peu plus tard du traçage des contacts. Mais pour l'instant, revenons aux contingents, c'est une notion un peu abstraite. Pourriez-vous s'il vous plaît l'expliquer à l'aide d'un exemple ?

Paul Wilmes : D'accord. Prenons un exemple fictif : imaginons que les responsables politiques décident que toutes les personnes travaillant dans le secteur financier forment un contingent. Dans une première phase, un échantillon représentatif serait sélectionné à partir de ce contingent. La taille de cet échantillon dépend bien entendu de la taille du contingent, ainsi que de la structure par âge et par genre et d'autres critères – c'est un échantillon statistiquement représentatif. Ensuite, ces personnes sont contactées et testées. Les résultats de ces tests permettent ensuite de guider les prises de décision. Si le pourcentage de personnes infectées est plutôt élevé, les responsables politiques peuvent choisir de reporter la date de levée du confinement à un moment ultérieur. En tout état de cause, il faudrait pouvoir tester l'ensemble du contingent avant tout assouplissement des mesures. Avec une telle approche, il est possible d'isoler toutes les personnes testées positives, de retracer leurs contacts et de les placer en quarantaine. Ensuite, toutes les personnes du contingent qui sont testées négatives peuvent aller travailler.

Si le pourcentage de personnes infectées dans l'échantillon représentatif est très faible, les responsables politiques peuvent aussi décider de lever les mesures de confinement pour ce contingent et de ne réaliser les tests que par après.

En d'autres termes, ce sont les responsables politiques qui continuent à prendre les décisions, et non pas les chercheurs ?

Ulf Nehrbass : Tout à fait. Et c'est très important. Nous mettons à disposition des informations et des mesures qui guident les décisions politiques. Mais ce n'est pas nous qui prenons les décisions politiques.

Ce ne seront donc pas les chercheurs, mais les responsables politiques qui constitueront les contingents ?

Ulf Nehrbass : Exactement. Nous avons recommandé qu'un contingent soit formé de quelque 50 000 à 100 000 personnes. Et nous avons livré aux responsables politiques les paramètres dont ils doivent tenir compte dans leur prise de décision, comme la structure par âge du secteur, l'impact économique du secteur, les conditions de travail (par exemple, la possibilité d'observer des distances de sécurité sur le lieu de travail ou de faire du télétravail).

Jusqu'à présent, des contingents composés d'ouvriers du bâtiment, d'artisans et de tous ceux qui ont repris le travail le 20 avril ont été testés. Le deuxième contingent sera-t-il constitué d'enseignants et d'élèves ?

Paul Wilmes : C'est cela. Et trois contingents supplémentaires viendront s'y ajouter. Tout d'abord, nous avons les personnes qui n'ont jamais été concernées par les mesures de confinement, telles que les employés de supermarchés. Il faudrait tester ce contingent rétroactivement. Ensuite, il y a le personnel soignant et les groupes à risque tels que définis par la Direction de la Santé. Ces deux groupes méritent une protection particulière. Ils doivent être testés à intervalles réguliers. 

Nombre de lecteurs ont soulevé dans leurs commentaires la question de savoir ce qui se passera une fois que l'ensemble du contingent aura été testé une première fois. Que se passe-t-il si on est négatif au moment du test, mais qu'on se contamine au travail par la suite ?

Paul Wilmes : D'autres tests seront effectués par la suite pour surveiller la propagation du virus au sein d'un contingent. À cette fin, un échantillon représentatif sera à nouveau sélectionné au sein de ce contingent. Cet échantillon sera testé régulièrement. Nous pourrons ainsi constater si la propagation du virus est maîtrisée au sein du contingent. Et parallèlement, les personnes présentant des symptômes continueront, elles aussi, à être testées.

Que se passera-t-il si le pourcentage de personnes infectées augmente ?

Ulf Nehrbass : On rappellera l'ensemble du contingent pour le tester et isoler les cas positifs, de même que leurs contacts. Ou, dans le pire des cas, le contingent devra à nouveau être confiné. Mais nous devrions essayer d'éviter coûte que coûte ce scénario. Plus le nombre de personnes qui se font tester est élevé dès le départ, moins un tel scénario est probable.

Quel risque courrions-nous si nous décidions de lever d'un seul coup le confinement pour toute la population ?

Paul Wilmes : Si nous levions d'un seul coup les mesures de restriction pour toute la population, il existerait un risque très élevé qu'une deuxième vague d'infection se déclare. Comme le virus se propage de façon exponentielle en l'absence de mesures de sécurité et qu'un certain nombre de cas d'infection subsistent dans la population, cette vague pourrait s'avérer beaucoup plus violente que la première. Car le nombre initial de personnes infectées joue un rôle très important dans la propagation exponentielle. Plus le nombre initial de personnes contaminées est élevé, plus les chiffres augmentent rapidement. Lors de la première vague, la courbe a commencé avec un cas d'infection ou quelques contaminations isolées. À l'heure actuelle, même si nous avons déjà pu réduire le nombre de cas, il reste plusieurs centaines de cas actifs, c'est-à-dire des personnes qui sont actuellement contaminées par le nouveau coronavirus (ce chiffre tient compte des cas officiels connus et des cas non détectés correspondant aux porteurs asymptomatiques mentionnés plus haut). Si la courbe recommençait à croître de façon exponentielle avec quelques centaines de cas, nous nous retrouverions très vite dans un scénario avec des milliers de cas d'infection et, malheureusement, un nombre important de décès. Un deuxième confinement généralisé s'avèrerait nécessaire – une situation qui n'est pas souhaitable. D'où l'idée d'une répartition de la population en contingents adaptée à l'ouverture progressive, comme le gouvernement l'avait de toute façon prévu.

La semaine prochaine, les élèves de terminale et de nombreux enseignants retourneront à l'école. Beaucoup de gens sont inquiets. Que leur dites-vous ?

Ulf Nehrbass : Je comprends que les gens soient inquiets. De façon générale, la levée du confinement est souhaitable, mais, nous l'avons déjà évoqué, elle s'accompagne d'un certain risque. Mon souhait serait que le plus grand nombre possible d'enseignants et d'élèves se fassent tester. Il s'agit d'un acte de solidarité qui réduit le risque pour tous. Au bout deux semaines d'isolement au cours desquelles on peut continuer à apprendre, on sera prêt pour l'examen. Et comme ça, on évite toute surprise pour l'ensemble de la classe, par exemple la veille de l'examen. Mais il faut aussi garder à l'esprit ce qui suit : même avec un résultat de test négatif, il faut observer les gestes barrières habituels (observer une distance de deux mètres, se laver les mains régulièrement, éternuer ou tousser dans le pli du coude, porter un masque, etc.). Ce sont des mesures qui nous accompagneront encore un bon bout de temps.  

D'après vos réponses, les décisions doivent être constamment adaptées à la situation.

Ulf Nehrbass : Absolument. Le système de traçage que nous avons mis en place joue un rôle très important dans la stratégie de déconfinement du Luxembourg. Un groupe entier de chercheurs travaille quotidiennement avec les autorités sanitaires pour mettre au point des simulations et des mesures et surveiller les paramètres importants. Parmi ces paramètres importants figurent par exemple les données sur le système de santé (nombre de lits d'hôpitaux et de respirateurs, personnel hospitalier disponible, etc.) que les autorités sanitaires et le ministère mettent à notre disposition. Les simulations que nous réalisons ensuite sont par exemple des projections sur la propagation actuelle et future du virus au sein de la population luxembourgeoise (évolution du nombre de personnes contaminées, immunité au sein de la population, etc.). Nous mettons ces informations à la disposition des décideurs. Il faut ensuite adapter constamment les décisions à la situation respective. Selon l'évolution de la situation, les mesures de confinement peuvent être assouplies un peu plus rapidement ou il peut au contraire s'avérer nécessaire de revenir en arrière – un scénario que nous devons toujours garder à l'esprit. Nous devons apprendre à vivre avec le virus et à nous adapter constamment à la situation.

Paul Wilmes : Dans le cadre d'une stratégie de déconfinement, il convient de souligner l'importance du taux de reproduction Rt, une valeur qui indique le nombre d'individus que chaque personne infectée contamine pendant qu'elle est contagieuse. Cette valeur, combinée aux paramètres du système de santé, constitue une base utile pour prendre les décisions relatives à l'assouplissement des restrictions dans le cadre de la stratégie de déconfinement. (Vous trouverez plus d'informations sur la valeur Rt dans l'infobox ou dans cet article sur science.lu.)

Si la valeur Rt grimpe au-dessus de 1, le nombre de nouveaux cas d'infection au sein de la population augmente et il existe un risque de propagation exponentielle. L'assouplissement des mesures de confinement devra être ralenti, des mesures restrictives devront même être réintroduites ou, dans le pire des cas, de nouvelles mesures de confinement devront être instaurées, en fonction du niveau au-dessus de 1 où la valeur Rt se situe, ou du niveau de saturation du système de santé.

 

Si le taux de reproduction est inférieur à 1, chaque personne infectée contamine moins d'une personne et la propagation du virus ralentit. Les mesures pourront éventuellement être assouplies un peu plus rapidement s'il existe une marge au niveau des capacités du système de santé.

Revenons au traçage des contacts. Pourquoi cette mesure est-elle si importante ?

Paul Wilmes : L'objectif est toujours de briser les chaînes d'infection. Ce qui rend le nouveau coronavirus si difficile à maîtriser, c'est que les personnes infectées peuvent contaminer d'autres individus avant même de présenter des symptômes et que certaines personnes infectées ne présentent pas de symptômes. Une étude récente montre que la recherche des contacts doit donc se faire de façon très rapide et très efficace. Sinon, le virus a une longueur d'avance et il existe à nouveau un risque de propagation incontrôlée.

Comment procéder à un traçage des contacts rapide et efficace ?

Ulf Nehrbass : Cela dépend d'une part de la discipline de la population, donc de la question de savoir si elle respecte réellement les mesures d'isolement ou de quarantaine. D'autre part, on peut accroître l'efficacité du traçage par exemple en renforçant les capacités des autorités afin qu'elles puissent effectuer davantage de recherches manuelles de contacts. Le recours à des applications de suivi des contacts conformes au RGPD peut également contribuer à accroître les capacités et à mettre en œuvre le traçage des contacts plus rapidement. En tant que Task Force Covid-19, nous avons recommandé l'utilisation d'applications de suivi des contacts qui respectent les réglementations en matière de protection des données et avons insisté sur le recours à une solution européenne ou du moins à une solution qui puisse être utilisée au-delà des frontières dans la région frontalière. L'adoption ou non d'une telle application est une décision politique que nous accepterons bien entendu. En fin de compte, ce n'est pas la technologie en elle-même qui nous intéresse. La seule chose qui nous importe, c'est que le traçage des contacts soit effectué de façon efficace et rapide – c'est un critère indispensable de la stratégie. Tant que nous y parvenons, tout va bien. 

L'ensemble de la stratégie de test coûte quelque 40 millions d'euros. Qu'en pensez-vous ?

Paul Wilmes : En termes de produit intérieur brut, l'impact économique du confinement se traduira mensuellement par une baisse moyenne de quelque 3 200 € par habitant au Luxembourg. Je pense donc que les coûts de test de 53,59 € par personne (pour un test pris en charge par la CNS) sont plutôt raisonnables pour permettre un assouplissement précoce et sûr des mesures de confinement.

Et enfin, une dernière question : combien de temps la pandémie perdurera-t-elle ?

Ulf Nehrbass : Malheureusement, l'épidémie ne prendra fin qu'une fois qu'un vaccin ou un médicament efficace sera disponible à grande échelle, dans 6 à 18 mois environ, ou lorsqu'une immunité de groupe aura été acquise. Des estimations à cet égard ne seront possibles qu'une fois que l'on connaîtra le taux d'immunité actuel de la population au Luxembourg – des données que nous essayons d'obtenir à l'aide de l'étude CON-VINCE. En outre, à l'heure actuelle, il demeure incertain qu'une immunité de groupe efficace puisse être acquise au sein de la population, car des réinfections par le nouveau coronavirus sont possibles. Tant qu'un vaccin n'est pas disponible et qu'une immunité collective n'aura pas été atteinte, nous devrons nous habituer à observer quelques mesures de sécurité (distance de deux mètres, lavage régulier des mains, port de masques si la distance de deux mètres ne peut pas être observée, etc.).

Nous vous remercions de cette entrevue !

Auteur : Jean-Paul (Jhemp) Bertemes

 

La stratégie de test à grande échelle en bref :

La stratégie d'atténuation proactive développée par la Task Force Covid-19 vise principalement à prévenir les nouvelles chaînes d'infection lors de l'assouplissement des mesures restrictives afin que les éléments essentiels de la vie quotidienne puissent être garantis sans mettre en danger la santé de l'individu ni surcharger le système de santé. La stratégie d'atténuation proactive repose sur les cinq volets suivants :

  • surveillance cohérente des paramètres clés – pour suivre à tout moment l'évolution de la pandémie de Covid-19 au Luxembourg et guider les décisions quant au nombre de tests et à l'introduction de mesures d'assouplissement ou de mesures de restriction ;
  • subdivision de la population en contingents ;
  • capacités de test élevées – tester chaque contingent dans le but de tester progressivement et sur une base volontaire la plus grande partie possible de la population, avec une levée des mesures restrictives pour ceux dont le test s'avère négatif ;
  • isolement des personnes testées positives ;
  • traçage efficace et rapide des contacts des personnes testées positives et mesures de quarantaine consécutives.

Des mesures d'hygiène strictes doivent être observées pendant toute la durée de la pandémie (distance de deux mètres, lavage régulier des mains, port d'un masque facial si la distance de deux mètres ne peut pas être respectée, etc.)

En raison du nombre peu élevé d'habitants au Luxembourg, le pays a la possibilité de tester l'ensemble de la population à un coût relativement faible au vu des coûts générés par la crise du Covid-19, le tout à l'aide d'une stratégie de test complexe, mais réaliste d'un point de vue logistique – une situation unique au monde. Cette stratégie d'atténuation proactive permet de protéger la population et de réduire les risques liés aux mesures d'assouplissement et favorise une transition plus rapide vers un scénario où la société et l'économie peuvent à nouveau fonctionner.

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