Frankfurt University of Applied Sciences

Prof. Stefan Timmermanns de la Frankfurt University of Applied Sciences

Pour se forger une opinion éclairée sur les arguments en faveur ou contre l’inclusion des thématiques LGBTIQ+ dans l’enseignement, il est utile de se pencher sur la psychologie du développement. À partir de quel âge commençons-nous à apprendre qu'il existe différents sexes biologiques ? Quand savons-nous auquel nous appartenons ? Quand découvrons-nous notre sexualité ? À quel moment savons-nous envers qui nous ressentons une attirance sexuelle ? Voilà quelques-unes des questions que nous avons posées à Stefan Timmermanns. Il est professeur de pédagogie sexuelle et de diversité appliquée au travail social à la Frankfurt University of Applied Sciences, et président de la Gesellschaft für Sexualpädagogik e.V. en Allemagne.

Dans cet entretien, Stefan Timmermanns explique comment se développent l’identité de genre et la sexualité chez les enfants, tout en mettant en lumière le rôle de la génétique et de l’environnement ainsi que l’impact de l’ouverture de la société sur les identités queer.

Pour rappel : la recherche moderne parle de différentes dimensions de genre, qui sont souvent confondues dans la vie quotidienne. On distingue notamment : 

- le sexe biologique, qui correspond aux caractéristiques physiques présentes à la naissance ; 

- l'identité de genre, qui reflète ce que nous ressentons au plus profond de nous-mêmes ;

- et l'orientation sexuelle, qui détermine vers qui nous ressentons une attirance sexuelle.

Un article distinct propose des définitions et des éléments d’information sur les thématiques LGBTQI+.

Synthèse

Voici les points essentiels abordés lors de l’entretien :

  • Développement de l'identité de genre : les enfants commencent généralement à comprendre leur identité de genre vers l’âge de trois ans, bien que cela varie d’un individu à l’autre. Aux alentours de six ou sept ans, ils perçoivent généralement leur genre comme étant stable.
  • Débuts de la sexualité : dès la naissance, les enfants commencent à explorer certains aspects de la sexualité, comme la tendresse, les câlins, les premiers élans affectifs et leur propre corps. La découverte de la sexualité adulte commence cependant généralement pendant la puberté.
  • Orientation sexuelle : les jeunes enfants peuvent ressentir une attirance envers les deux sexes, mais à ce stade, il est trop tôt pour tirer des conclusions sur leur future orientation sexuelle.
  • Développement continu de l'identité : le développement de l’identité de genre est un processus qui se poursuit tout au long de la vie, pendant lequel la perception de son propre genre évolue au fil des différentes phases de vie.
  • Influence de la génétique et de l'environnement : l’identité de genre et l’orientation sexuelle se développent sous l’effet conjoint de la génétique, de la psychologie individuelle et des réactions sociétales.
  • Effets de l'ouverture de la société : l'ouverture d’une société est essentielle pour faciliter le coming out et favoriser la reconnaissance de la diversité des identités de genre. Et dans les sociétés ouvertes, davantage de personnes osent s’identifier comme queer.
  • Problèmes rencontrés dans la recherche : les travaux scientifiques sur la sexualité et l’identité de genre chez les enfants sont peu nombreux, principalement parce qu’il est difficile de recueillir l’accord des parents, étant donné qu'il s’agit d'un sujet délicat.
  • Approches éducatives : les programmes d'études qui incluent les thématiques LGBTIQ+ peuvent contribuer à réduire les discriminations et à renforcer la tolérance, mais ils doivent être répétés régulièrement pour rester efficaces.

Dans cet entretien, il est principalement question de deux sexes biologiques et de deux identités de genre, car la recherche est plus abondante sur ces sujets que sur les personnes intersexes ou non binaires. Nous abordons plus en détail les aspects liés à l’intersexualité et aux différentes identités de genre dans l’article : LGBTIQ+ – Tout ce qu’il faut savoir.

Entretien complet et éléments d’information supplémentaires

Professeur Timmermanns, à partir de quel âge les enfants découvrent-ils leur sexe biologique respectivement leur identité de genre ?

Stefan Timmermanns : La littérature spécialisée mentionne souvent que ce processus commence vers l'âge de trois ans, bien que l’âge puisse varier considérablement d’un enfant à l’autre. Certains enfants amorcent cette étape de développement plus tôt, dès un an et demi dans certains cas. À ce stade, ils ne font pas encore la distinction entre les catégories « sexe biologique » et « identité de genre ». Chaque enfant a sa propre manière de reconnaître la différence entre les sexes. Dans un premier temps, ils s’appuient principalement sur des caractéristiques visibles, telles qu’une chevelure longue, une barbe ou le port d’une jupe. Au fil de leur développement, il n’est pas rare qu’ils envisagent que le sexe puisse évoluer au cours de la vie.

Jusqu’à l’âge de sept ans, ils apprennent aussi à opérer des distinctions en fonction des organes génitaux externes. La plupart d'entre eux, mais pas tous, s’attribuent un sexe en s’appuyant sur les caractéristiques sexuelles externes et savent généralement qu’il ne changera plus. Dans de rares cas, des enfants ne sont pas en mesure d'opérer cette identification. On pourrait alors suspecter une incongruence de genre (NDLR : un décalage entre le genre ressenti ou vécu et le sexe biologique attribué à la naissance).

Et qu'en est-il de la sexualité ? À partir de quel âge les enfants commencent-ils à la découvrir ?

Stefan Timmermanns : Tout dépend de la définition que vous donnez à la sexualité. Si vous optez pour une définition restrictive, qui est plutôt centrée sur une conception adulte, les enfants commencent généralement à l’explorer à la puberté. Quand je parle de sexualité au sens strict, je désigne l’acte sexuel, c’est-à-dire une pratique sexuelle impliquant souvent une pénétration.

Mais si l’on adopte une définition plus large, comme en sexologie ou en pédagogie sexuelle, elle englobe aussi la tendresse, les câlins, les fantasmes ou encore les rêves. Cette exploration commence bien plus tôt chez les enfants. On peut dire que les êtres humains sont des êtres sexués dès leur naissance. En effet, les enfants, et surtout les nourrissons, ont besoin de contact physique, de proximité, d’attention et de chaleur. Si l’on utilise une définition plus large de la sexualité, cette exploration débute dès la naissance.

La définition restrictive de la sexualité couvre-t-elle également la question de l’attirance envers le même sexe ou le sexe opposé ?

Stefan Timmermanns : Oui, mais les questions de sympathie ou de premiers élans affectifs relèvent aussi de la définition plus large de la sexualité. Et ces questions se posent dès l’enfance. Pensez à ces amours d’enfance, qui peuvent apparaître dès l’âge de maternelle. Ce sont les premières expériences avec des sentiments érotiques, dans leur sens le plus large, que les enfants peuvent vivre.

À un âge aussi précoce, l’orientation sexuelle évolue-t-elle encore ou est-elle déjà déterminée ?

Stefan Timmermanns : Il serait certainement prématuré de parler d’une situation définitive. Il existe encore une certaine variabilité à cet âge. Bien que je ne connaisse pas d’étude scientifique spécifique sur le sujet, je dirais que cette attirance est souvent dirigée vers le sexe opposé. Mais pas toujours. Un garçon peut par exemple être fasciné par un éducateur, ou une fille, par son enseignante. Il en va de même pour les premiers émois amoureux envers des enfants du même âge. Mais cela signifie aussi qu’à cet âge, on ne peut pas encore prédire si les enfants deviendront homosexuels ou hétérosexuels plus tard. Il serait prématuré de le dire.

Quand le développement de l’identité de genre est-il terminé ? Autrement dit, quand savons-nous clairement à quel genre nous nous identifions intérieurement ?

Stefan Timmermanns : En règle générale, le développement de l’identité de genre est pour l’essentiel terminé vers l’âge de six ou sept ans. Cela ne signifie pas pour autant que plus rien ne se passe par la suite. Dès la puberté, de nouveaux aspects de l’identité de genre viennent s’ajouter – par exemple, à travers l’expérience de la sexualité, des règles ou encore de la parentalité. La recherche actuelle considère que le développement identitaire est un processus qui se poursuit tout au long de la vie. Chaque nouvelle étape de vie contribue donc au développement de cette identité, qu’elle soit masculine ou féminine. L’identité d’une fillette de six ans est différente de celle d’une adolescente de treize ans ou d’une femme de vingt ans.

En d’autres termes, ma perception de moi-même, comme homme, femme ou autre, peut évoluer au fil des différentes étapes de la vie ?

Stefan Timmermanns : Elle peut changer, mais ce n’est pas systématique. Ce que je veux dire, c’est qu’une fillette de 6 ans a une vision de l’identité féminine qui diffère de celle d’une adolescente de 13 ans, qui, par exemple, considère ses règles comme une part de son identité féminine. Une jeune mère qui s’occupe tous les jours de son enfant a une conception différente de ce que cela signifie d’être une femme qu’une grand-mère de 60 ans dont les enfants sont autonomes. L’identité féminine demeure certes constante, mais ce qu’on y associe évolue et se développe de façon continue. Il se peut aussi qu’une personne qui s’identifiait comme féminine à l’âge de 6 ans découvre à 13 ans que cela ne lui correspond pas. Elle peut alors se sentir garçon ou homme. De tels changements existent, bien entendu, mais ils sont relativement rares. La plupart des gens conservent leur identité de genre tout au long de leur vie.

D’après les connaissances scientifiques actuelles, quel est le rôle des facteurs génétiques d’une part, et de l’environnement d’autre part, dans le développement de l’identité de genre et de l’orientation sexuelle ?

Stefan Timmermanns : Les trois facteurs jouent un rôle, cela ne fait aucun doute. La société réagit d’une certaine manière au sexe biologique de l’enfant, et ces réactions ont un effet sur l’enfant. Elles influencent la perception qu’il a de son identité de genre et la relation qu’il entretient avec son propre corps. Cette réaction varie toutefois selon les individus. Le psychisme de l’individu joue donc aussi un rôle dans la façon dont il perçoit les réponses sociétales à ses caractéristiques biologiques. Il s’agit d’une interaction complexe entre ces trois facteurs. On ne peut pas dire qu’un seul de ces facteurs soit, à lui seul, déterminant dans la construction de l’identité.

L'homosexualité est-elle innée ou acquise ?

Une des raisons en est que certaines hypothèses plausibles – autrement dit les pistes de réponse – sont difficiles à vérifier, ou que les études nécessaires seraient éthiquement inacceptables.

Pour le moment, il existe davantage de preuves scientifiques en faveur de causes biologiques et non sociales qu’en faveur de causes sociales. Il ne faut pas pour autant en conclure que les causes biologiques sont plus déterminantes dans la construction de l’orientation sexuelle. Stefan Timmermanns précise : « Il faut savoir que les recherches se concentrent davantage sur les facteurs biologiques que sur les facteurs sociaux. En effet, les facteurs biologiques sont plus faciles à étudier, contrairement aux facteurs sociaux. Pour identifier un facteur social, il serait nécessaire de mener des études longitudinales complexes, dans lesquelles un seul facteur pourrait être analysé de manière isolée. C’est quasiment impossible à mettre en pratique. »

En 2016, Michael Bailey et ses collègues ont regroupé dans un article scientifique les principales données avancées pour appuyer les causes non sociales. Voici les principales hypothèses :

Ce lien entre la non-conformité aux rôles attribués à leur sexe durant l’enfance et l’homosexualité à l’âge adulte a été observé dans des études rétrospectives menées dans différentes cultures.  Il existe toutefois une grande hétérogénéité parmi les personnes homosexuelles. Cela signifie que toutes les personnes homosexuelles n’ont pas nécessairement eu des comportements différents de ceux attendus au vu de leur sexe, que ces comportements n’étaient pas toujours clairement identifiables ou qu’ils variaient en intensité.

Elles ont été mises en évidence, entre autres, dans des études menées sur des jumeaux. Une étude récente réalisée auprès de 493 001 personnes aux États-Unis, au Royaume-Uni et en Suède confirme que plusieurs gènes interviennent. L’étendue de leur influence demeure toutefois incertaine : elle varie entre 8 et 39 % en fonction des études et du sexe. Stefan Timmermanns ajoute : « Les faibles pourcentages montrent clairement que les influences génétiques ne doivent pas être surévaluées. »

Ce lien, connu sous le nom d’« effet de l'ordre de naissance fraternel », a été documenté dans différentes cultures. Sa cause reste cependant inconnue.

Pendant la grossesse, des hormones sexuelles comme la testostérone et les œstrogènes agissent sur le fœtus. Une exposition à des niveaux hormonaux atypiques, par exemple une quantité plus élevée ou moins élevée de testostérone pour le sexe en question, peut influencer l’orientation homosexuelle. C’est ce que l’on appelle l’« hypothèse organisationnelle ». Des indications en ce sens proviennent notamment d’expériences sur des animaux de laboratoire et d’études longitudinales menées sur des personnes atteintes de pathologies provoquées par des altérations de l’équilibre hormonal pendant le développement du fœtus. Ces données suggèrent que les influences hormonales durant la grossesse pourraient jouer un rôle chez certaines personnes homosexuelles, mais pas chez toutes.

Les caractéristiques sexuelles externes de ces garçons ont été modifiées chirurgicalement pour diverses raisons médicales* afin qu’elles correspondent à une morphologie féminine. Ces garçons ont été ensuite élevés comme des filles. Chacun de ces garçons a exprimé plus tard une attirance exclusive ou préférentielle pour les femmes. Même s'ils ont été éduqués comme des filles, leur tendance en tant que garçons à être attirés par des filles a prévalu, ce qui suggère une prédominance de la génétique sur l’éducation.

*parce qu'ils sont nés avec des pénis mal formés ou parce qu'ils ont perdu leur pénis à la suite de complications chirurgicales.

Parmi elles, on trouve l’idée que des hommes homosexuels pourraient encourager de jeunes garçons hétérosexuels à devenir homosexuels, que des relations parent-enfant perturbées provoqueraient l’homosexualité ou encore que des parents homosexuels influenceraient l’orientation sexuelle de leurs enfants. Selon Michael Bailey et ses collègues, ces hypothèses manquent de fondements scientifiques et ces derniers sont biaisés par un grand nombre de facteurs.

 

Peut-on affirmer que trop d’ouverture peut perturber les enfants pendant la phase de développement identitaire ? Ou est-ce que cela leur est plutôt bénéfique ?

Stefan Timmermanns : Je n’ai pas connaissance d’études à ce sujet. L’expérience montre toutefois que les enfants n’ont aucun mal à s'accommoder de formes de vie ou d’identités différentes. Ce sont les adultes qui ont plus de difficultés à cet égard. À mon sens, les adultes projettent leur propre confusion sur les enfants. Ces derniers sont très flexibles en matière de normes. Ils savent, par exemple, que certaines règles peuvent varier selon le contexte. Ils peuvent facilement accepter qu'ils aient le droit de manger des sucreries le soir chez leurs grands-parents, mais que ce ne soit pas le cas à la maison chez leurs parents.

Cela signifie-t-il que, même dans des environnements radicalement différents, comme une famille très conservatrice et une école très ouverte, les enfants savent faire la part des choses et adapter leur comportement en conséquence ?

Stefan Timmermanns : Les enfants sont en mesure de faire la part des choses. La véritable question est de savoir en quoi consistent ces approches différentes au sujet. Exerce-t-on une pression sur les enfants pour qu’ils choisissent un camp ? Ce type de situations peut provoquer des conflits de loyauté. Mais, si on explique simplement aux enfants qu’il y a des gens qui vivent différemment, ils sont tout à fait capables de s’en accommoder.

Des études ont-elles été menées pour savoir si l’identité de genre et l’orientation sexuelle des enfants de couples homosexuels diffèrent de celles des enfants de couples hétérosexuels ?

Stefan Timmermanns : Il existe quelques études sur le sujet, comme celle menée par Marina Rupp ou Stephanie Gerlach. Et la réponse est non, il n'y a pas de différences entre les enfants. Cependant, les enfants issus de familles arc-en-ciel font souvent une expérience que les autres ne vivent pas nécessairement : celle de la discrimination à l’école ou à la crèche, simplement parce qu’ils ont deux mères ou deux pères comme parents.

Les enfants sont donc directement victimes de discrimination ?

Stefan Timmermanns : Oui. Ils peuvent par exemple être victimes de moqueries de la part d'autres enfants. Ils se voient alors confrontés à des propos de type : « C'est impossible que tu aies deux mamans, tout le monde a un papa et une maman. » Ne pas être pris au sérieux est déjà une forme de pression normative. Chez les jeunes enfants, ce sont des formes initiales de discrimination. Et si d'autres enfants refusent de jouer avec un enfant issu d'une famille arc-en-ciel, on peut parler d'exclusion ou de discrimination.

Comment les thématiques LGBTIQ+ sont-elles abordées aujourd’hui dans les écoles ?

Stefan Timmermanns : Je ne peux parler que pour l'Allemagne, où la situation varie beaucoup en raison de la structure fédérale. Chaque Land dispose de ses propres directives sur ce sujet. Mais, dans la plupart des Länder, les thématiques LGBTIQ+ sont intégrées dans les programmes d'études et doivent être abordées. La mise en pratique dépend toutefois fortement d’un enseignant à l’autre. Et même si un programme d’éducation sexuelle existe, cela ne garantit pas que tous les enfants et adolescents entreront en contact avec le sujet à l’école. Le programme d'études donne l’occasion d’aborder ces sujets, et beaucoup d’écoles le font – mais pas toutes. D’après une étude de la Bundeszentrale für gesundheitliche Aufklärung (BZgA) réalisée en 2020, 47 % des adolescents en Allemagne ont déclaré que l’homosexualité avait été abordée dans le cadre de l’éducation sexuelle à l'école. En 1996, ce chiffre n’était que de 27 %. Ces chiffres ne disent cependant rien sur la manière dont les enseignants ont traité le sujet.

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Comment les thématiques LGBTIQ+ sont-elles actuellement abordées dans les écoles luxembourgeoises ?

Au Luxembourg, les thématiques comme l’identité de genre, l’expression de genre et l’orientation sexuelle ne figurent actuellement pas explicitement dans les programmes d'études. Mais elles peuvent être abordées tant dans l’enseignement fondamental qu'au secondaire. Luc Weis, le directeur du SCRIPT (Service de Coordination de la Recherche et de l'Innovation pédagogiques et technologiques), l’a confirmé dans une interview accordée à RTL. Il insiste sur le fait que ces thématiques doivent être traitées de manière appropriée à l’âge des élèves. Selon les cas, elles sont généralement abordées dans le cours « Vie et société » ou dans le cours de biologie. Mais il revient à l'école ou à l'enseignant de décider si ces thématiques sont abordées et comment. Selon le LGBTQI Inclusive Education Report publié par IGLYO (2018), « tous les présidents des comités nationaux des programmes pour l’enseignement secondaire classique et général sont invités à considérer ces sujets (NDLR : l'identité de genre, l'expression de genre et l'orientation sexuelle) comme faisant partie intégrante des programmes d'études et à les y intégrer. » Plusieurs organisations, de même que l’Institut de Formation de l'Education Nationale (IFEN), proposent des formations facultatives sur ces thématiques pour les enseignants et le personnel socio-éducatif.

Le LGBTQI European Education Index publié par IGLYO montre que la situation en ce qui concerne les programmes d'études et la formation continue est similaire dans de nombreux pays européens.

Dans ses normes en matière d'éducation sexuelle en Europe, l’OMS propose des recommandations sur l'âge auquel les enfants et les adolescents devraient avoir accès à certaines informations. Ces normes servent aussi de référence pour le guide « Let’s Talk about Sex » destiné aux professionnels au Luxembourg, paru en 2020.

À partir de quel âge ou de quel niveau scolaire ce sujet est-il abordé en Allemagne ?

Stefan Timmermanns : Dans les établissements d’enseignement secondaire, il est inclus dans le programme d'études dans presque tous les Länder à partir de la classe de sixième, où les élèves ont 12 ans.

Est-il judicieux d’introduire les sujets de l'identité de genre et de l'orientation sexuelle dans ce groupe d'âge ou devraient-ils être abordés plus tôt ou plus tard ?

Stefan Timmermanns : Je pense que, dans un premier temps, il faut tenir compte des questions que les enfants se posent à un âge donné. Il faut identifier les sujets qui les intéressent dans leur phase de développement actuelle. À l'école fondamentale, les élèves ont par exemple encore une durée d'attention très courte. Vous avez à peine le temps de formuler une phrase en guise de réponse qu'ils posent déjà la question suivante et passent au sujet suivant. À cet âge, les enfants ne se posent pas encore de questions sur les pratiques sexuelles. Mais vous pouvez tout à fait les sensibiliser aux thématiques LGBTIQ+ en leur expliquant que deux hommes ou deux femmes peuvent aussi tomber amoureux, vivre ensemble et se marier. Ce n'est pas trop tôt pour un enfant de sept ou neuf ans.

Mais on dirait que cela relève plus de l'éthique que de l'éducation sexuelle ?

Stefan Timmermanns : Tout dépend de ce que vous entendez par éducation sexuelle. Si vous avez donné une définition restrictive à la sexualité, alors la réponse est oui. Dans ce cas, ce sujet ferait partie du cours de biologie. Mais les questions abordées ici ne concernent pas le sexe, mais les modes de vie. Il s'agit de partenariats, de familles, de formes de vie commune, du fait de tomber amoureux, d’amitiés. Il s'agit avant tout des aspects sociaux de la sexualité avec lesquels les enfants sont déjà confrontés à l'école fondamentale et avec lesquels ils ont en partie fait leurs propres expériences. Tous ces sujets font partie de ma compréhension globale de l'éducation sexuelle. Parce que j'emploie une définition large de la sexualité. Elle n’englobe pas uniquement ou pas principalement les rapports sexuels, la contraception, la procréation, l'accouchement, etc. C'est pourquoi l'éducation sexuelle en Allemagne doit aussi reposer sur une approche interdisciplinaire. En d’autres termes, partout où ce sujet est abordé, un encadrement pédagogique doit être assuré. Si, par exemple, une élève est victime d'une insulte sexiste pendant le cours de mathématiques, l’enseignant de mathématiques doit aussi pouvoir faire face à cette situation. Il doit faire de l'éducation sexuelle dans le sens où il doit réagir et rétablir un cadre respectueux. Mais, bien entendu, les enseignants de mathématiques ne doivent pas être formés de manière à pouvoir donner un cours entier sur l’éducation sexuelle.

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Approche interdisciplinaire de l’éducation sexuelle – des exemples de Californie

Des exemples pratiques venant de Californie permettent de mieux comprendre ce que signifie concrètement l’éducation sexuelle interdisciplinaire.

  • « Les élèves du fondamental apprennent, par exemple, que les familles ne se composent pas exclusivement d’un père, d’une mère et d’enfants biologiques, mais qu'il existe aussi des familles adoptives, des foyers monoparentaux, des foyers dirigés par des grands-parents ou des familles avec deux mamans ou deux papas. »
  • « Les élèves californiens n’apprennent pas seulement que Sally Ride a été la première Américaine à voyager dans l’espace, mais aussi que c'était la première femme lesbienne dans l’espace. »

(Source : OCDE, 2022)

Savez-vous s’il existe des études qui évaluent l’impact de la sensibilisation aux thématiques LGBTIQ+ dans l’enseignement ?

Stefan Timmermanns : Ma thèse de doctorat porte sur ce sujet et explore l’effet des initiatives de sensibilisation sur les attitudes des adolescents à l’égard de l’homosexualité. Les données issues des recherches que j’ai effectuées à l’époque dans les écoles n’étaient pas représentatives. Mais les recherches ont montré qu'un tel travail de sensibilisation peut effectivement contribuer, dans certaines conditions, à prévenir les préjugés et la discrimination.

Mais l’effet s'estompe avec le temps. Ce n’est pas parce que le sujet a été abordé pendant 90 minutes en classe qu’il a été assimilé. Pour plus d'efficacité, il faudrait reprendre le sujet dans un curriculum en spirale, après un à deux ans, afin d’aborder d’autres aspects de manière adaptée à l’âge des élèves. Il est important qu’un tel projet de sensibilisation ne soit pas ponctuel, et que l’ensemble du corps enseignant partage une posture commune. Une telle approche peut générer un impact à long terme.

Malheureusement, peu d’études portent sur l’efficacité des programmes visant à combattre les préjugés et la discrimination et à promouvoir la tolérance. C’est un domaine où la recherche présente des lacunes.

Résultats de recherches sur l’impact de la sensibilisation dans les écoles

Il n'existe à ce jour que peu d'études sur les effets de la sensibilisation aux thématiques LGBTIQ+ dans les écoles, et la plupart proviennent des États-Unis. Un document de travail de l’OCDE datant de 2022 synthétise les résultats de plusieurs études et conclut : « Les résultats de recherche examinés dans cet article révèlent que certaines pratiques créent des conditions et des environnements scolaires qui favorisent l’épanouissement des élèves LGBTQI+. »

Voici quelques exemples de ces résultats de recherche. Il s’agit toutefois uniquement de corrélations, c’est-à-dire de liens. On ne peut donc pas conclure que les différentes mesures sont la (seule) cause des effets observés. De plus, nous n’abordons pas ici les questions du « comment » ni du « quand », c’est-à-dire la façon dont ces sujets sont (ou pourraient être) abordés dans les écoles ou à partir de quel âge.

Impact sur les personnes concernées :

Les personnes LGBTIQ+ sont plus souvent exposées au harcèlement et à des troubles psychologiques, et leurs résultats scolaires risquent d'être moins bons que ceux de leurs camarades qui ne sont pas queer. Une étude réalisée en mai 2024 auprès de personnes LGBTQI âgées de plus de 15 ans au Luxembourg révèle que « 68 % des personnes interrogées ont déclaré avoir été victimes de harcèlement, de moqueries, de taquineries, d’insultes ou de menaces à l’école en raison de leur identité LGBTIQ+. À l’échelle des 27 pays de l’UE, ce chiffre atteint 67 %, soit une hausse notable par rapport à 2019 (où il était de 43 %). » (Source : étude de l'Agence des droits fondamentaux de l’Union européenne : LGBTIQ at a crossroads: progress and challenges)

- Dans les écoles américaines qui mettent en place un climat scolaire inclusif pour les élèves LGBT, les cas de harcèlement et d’intimidation envers les élèves LGBTIQ+ étaient nettement moins nombreux (Gower et al., 2018).

- Aux Pays-Bas, les écoles qui intègrent les thématiques LGBTQI+ dans leur programme d'études offrent un climat que les élèves concernés perçoivent comme plus sûr et moins hostile à long terme (Baams et al., 2017).

- Plusieurs études montrent qu’un climat inclusif pour les élèves LGBTQI+ peut avoir des effets positifs sur le bien-être des élèves et leur sentiment d’appartenance (Toomey, McGuire et Russel, 2012 ; Stonewall, 2017 ; Kosciw et Zongrone, 2019), de même que sur leurs performances scolaires (Toomey, McGuire et Russel, 2012).

- Une étude de synthèse menée en 2021 a également mis en évidence un lien entre un climat scolaire inclusif pour les élèves LGBT et un risque réduit de suicide ainsi qu’une réduction des symptômes dépressifs chez les élèves LGBT (Ancheta et al., 2021).

Impact sur les autres :

L'intégration des thématiques LGBTQI+ dans l’enseignement peut contribuer à améliorer le climat scolaire (Baams et al., 2017 ; Snapp et al., 2015) et à encourager des attitudes plus égalitaires en matière de genre, à renforcer la confiance en soi des élèves et à consolider leur identité personnelle (UNESCO, 2018 ; Alldred et Fox, 2020).

Impact sur l'orientation sexuelle :

Un argument souvent avancé par les opposants à la sensibilisation aux thématiques LGBTQI+ dans l’enseignement est qu’elle pourrait encourager les enfants et les jeunes à changer d'orientation sexuelle ou d'identité de genre (Gegenfurtner et Gebhardt, 2017).

Cependant, selon les experts, il existe très peu de preuves scientifiques pour appuyer cette hypothèse (OCDE, 2022 ; Gegenfurtner et Gebhardt, 2017, Bailey et al., 2016).

Pour plus d'informations, voir l'infobox « L'homosexualité est-elle innée ou acquise ? » ci-dessus.

Mais ce n’est pas le seul domaine où les données scientifiques semblent limitées.

Stefan Timmermanns : C'est vrai. Il en est de même en ce qui concerne la sexualité chez les enfants. Comment se développe-t-elle exactement ? Des différences se sont-elles manifestées au fil des dernières décennies ? En Allemagne, seules les études sur la sexualité des jeunes réalisées par la BZgA existent dans ce domaine. Mais elles ne portent que sur des jeunes à partir de 14 ans. Les enfants plus jeunes ne sont pratiquement pas pris en compte dans les recherches.

Pour préparer cette entrevue, j’ai approché plusieurs de vos collègues. J’ai fait le constat qu’il est extrêmement difficile de trouver quelqu’un qui soit disposé à accorder une entrevue. Est-ce simplement une question de malchance ou pourrait-il y avoir un lien avec la thématique en question ?

Stefan Timmermanns : Je ne sais évidemment pas qui vous avez contacté, mais il est certain que le caractère sensible du sujet peut expliquer les difficultés que vous avez eues. C’est aussi pour cette raison que les recherches dans ce domaine sont si rares. Tout d’abord, il est difficile de mener des études sur la sexualité des enfants. Il faut obtenir l’accord des parents pour inclure leurs enfants dans une étude. Ensuite, la sexualité n’est pas un sujet qui apporte une grande reconnaissance dans le monde académique. Vous risquez d’être perçu avec scepticisme en raison de la nature du sujet. On peut aussi vous demander de justifier ce choix. Il est même possible que l’on vous accuse de poursuivre un intérêt personnel. Le caractère scientifique peut vite être contesté dans ce contexte, ce qui peut s’avérer dommageable à une carrière scientifique.

Peut-on dire que plus on sensibilise la société aux questions liées à l’identité de genre et à la sexualité et plus on favorise la tolérance, plus on facilite la recherche dans ce domaine ?

Stefan Timmermanns : C’est ce qu'on espère. Mais tout est encore très limité dans son ampleur. Je crois qu’il n’y a pas encore suffisamment de personnes impliquées pour atteindre la masse critique afin d’avoir un réel impact sur la société. Il faut d’abord mobiliser un certain nombre de personnes dans le milieu scientifique qui s’intéressent au sujet. Et à mon avis, ce n’est pas encore le cas en Allemagne ni en Europe.

On dit qu'aujourd'hui, plus de personnes s'identifient à l'une des lettres du sigle LGBTIQ+. Cela pourrait-il s’expliquer par le fait qu’il est plus facile de faire son coming out dans une société plus ouverte ?

Stefan Timmermanns : L’ouverture d’esprit de la société est bien entendu une condition essentielle pour qu’une personne ose s’affirmer publiquement. Dans les dictatures, il est évident que moins de personnes revendiquent ouvertement leur identité queer, car cela risque d’entraîner de lourdes conséquences négatives. Je pense donc que le degré d’ouverture d’une société se reflète dans le nombre de personnes qui dévoilent leur identité. Mais je pense qu'il y a un autre facteur qui pourrait expliquer ce phénomène. Alors qu’il y a 20 ou 30 ans, on parlait principalement d’hétérosexualité ou d’homosexualité, de nouvelles identités sont apparues ces dernières années, comme l’asexualité. Pensez aussi aux nombreuses autres formes d’auto-identifications, pour lesquelles il n’est pas toujours clair si elles doivent être incluses dans le spectre queer. Par exemple, le terme « demisexuel » désigne une personne pour qui une relation sexuelle n’est envisageable qu’en présence d’un lien de confiance. Selon moi, l’émergence de ces nouvelles identités a entraîné une augmentation du nombre de personnes qui se considèrent comme queer.

Ces dernières années, le spectre des identités s’est élargi avec l’ajout de nouvelles lettres. Mais qu’en est-il des personnes qui refusent les modes de vie queer ? Est-ce qu'elles font aussi de telles distinctions ?

Stefan Timmermanns : Je ne pense pas. Ce phénomène est lié au concept du groupe externe et du groupe interne. C’est une théorie largement reconnue dans le domaine de la recherche sociale, qui offre une base pour mieux comprendre les mécanismes de discrimination, d’exclusion et de racisme. Le groupe auquel on appartient soi-même est appelé le « groupe interne ». Il est perçu de manière différenciée par ses membres. Le groupe des autres, auquel on n'appartient pas et auquel on ne souhaite pas appartenir, est appelé le « groupe externe ». Les membres de ce groupe sont tous perçus comme possédant les mêmes caractéristiques. Aucune diversité ou individualité n’est reconnue dans le groupe.

Questions supplémentaires posées au professeur Timmermanns

Ces derniers temps, un grand nombre de films et de séries portant sur les thématiques LGBTIQ+ ont vu le jour sur différentes plateformes de streaming, visant surtout un jeune public. Existe-t-il déjà des études sur les effets de ces films et séries ? À ce sujet, le professeur Timmermanns déclare : « Pas à ce que je sache. Mais je suppose qu’ils ont un impact positif. En effet, le sujet est abordé aujourd’hui de manière plus différenciée qu’il y a encore cinq ou dix ans à la télévision classique. Et la diversité et la variété des protagonistes dans ces séries contribuent aussi à susciter davantage d’intérêt pour le sujet, à encourager les discussions et à présenter une palette bien plus large de personnages queer qu’il y a encore quelques années. Par le passé, on avait souvent l’impression que les représentations dans les séries et les films étaient empreintes de stéréotypes et de clichés. »

En examinant la scène artistique et musicale, on pourrait penser qu’elle rassemble un nombre particulièrement élevé de personnes issues de la communauté LGBTIQ+. Quel est l’état actuel des recherches dans ce domaine ? À ce sujet, le professeur Timmermanns affirme : « À ma connaissance, il n’existe pas d’étude qui confirmerait une telle hypothèse. Mais je pense que le milieu artistique attire effectivement un certain nombre de personnes queer, probablement parce qu’il est perçu comme un environnement plus ouvert et plus tolérant que d’autres milieux. Mais cette situation pourrait aussi s’expliquer par le fait que les musiciens et les artistes sont des figures publiques. Quand une chanteuse célèbre ou un acteur connu fait son coming out, cela attire évidemment beaucoup plus d’attention que dans le cas d’un juriste. C'est pour cette raison que beaucoup imaginent que l’homosexualité est plus fréquente chez les artistes que chez les juristes. Je resterais tout de même prudent face à une telle affirmation, car elle risque d’alimenter les stéréotypes ou les clichés. »

 

Auteur : Kai Dürfeld (pour scienceRELATIONS - Communication scientifique)
Édition : Michèle Weber (FNR)
Relecture : Jean-Paul Bertemes, Linda Wampach, Didier Goossens (FNR)
Traduction : Nadia Taouil (t9n.lu)

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