
AdobeStock/Sebastian (image générée par IA)
Les barres protéinées à base d’insectes développées en laboratoire sont-elles une alternative prometteuse pour notre alimentation de demain ?
Les protéines sont essentielles au bon fonctionnement de notre corps. Elles jouent différents rôles dans chaque cellule de notre organisme, et certains organes, comme le cœur ou le cerveau, sont en grande partie composés de protéines. Il s'agit donc d'un constituant fondamental de notre régime alimentaire. On les trouve aussi dans les aliments d’origine végétale, mais à l'heure actuelle, les principales sources de protéines restent les produits animaux, comme les œufs, le lait, le poisson et la viande. Le bien-être animal, l’empreinte écologique, les enjeux de santé et la demande croissante poussent les chercheurs à trouver d'autres sources. Elles peuvent être d’origine végétale, comme celles extraites des pois. Elles peuvent être fabriquées par des micro-organismes dans des fermenteurs. Elles peuvent provenir d'insectes. Mais elles peuvent aussi être cultivées en laboratoire à partir de cellules animales. Certaines de ces alternatives sont déjà proposées dans les rayons des supermarchés. D’autres nécessitent encore de la recherche et du développement. Dans le deuxième article de notre série, nous souhaitons explorer de plus près les sources de protéines de demain.
En bref : l’approvisionnement en protéines de demain
- Les protéines sont essentielles à la vie humaine.
- On les trouve aussi bien dans les aliments d’origine végétale que dans ceux d’origine animale.
- La consommation mondiale de viande et de poisson ne cesse d’augmenter, ce qui entraîne des enjeux majeurs.
- En plus des régimes alimentaires végétaliens et végétariens, les protéines alternatives peuvent contribuer à résoudre le problème.
- Les protéines végétales permettent de fabriquer des substituts aux produits animaux.
- Des micro-organismes peuvent fabriquer des protéines de qualité par fermentation à partir de différentes substances.
- Les insectes sont eux aussi une source potentielle de protéines.
- Il existe également des initiatives pour produire de la viande en laboratoire sans passer par l’élevage animal.
Pourquoi tant de battage autour des protéines ?
Si l’on retirait l’eau de nos cellules, plus de la moitié de ce qui reste serait composée de protéines (Campbell, 1996). Les protéines jouent donc un rôle essentiel pour le corps humain. Et ce n’est pas tout. Sans elles, la vie serait impossible. Ce sont elles qui confèrent leur structure à nos cellules. Elles font bouger nos muscles. Ce sont des transporteurs sanguins, des régulateurs du système nerveux et des catalyseurs du métabolisme. Notre corps les assemble lui-même. Les instructions nécessaires sont contenues dans notre ADN. Les constituants de base sont les acides aminés.
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Les chercheurs ont recensé à ce jour plus de 400 acides aminés (Nuhn, 1990). Cependant, seuls 21 d'entre eux sont utiles à notre organisme. On les appelle « protéinogènes », car ils entrent dans la composition de nos protéines. Le corps humain peut produire lui-même huit de ces acides aminés, à savoir l'alanine, l'asparagine, l'acide aspartique, la glutamine, l'acide glutamique, la glycine, la proline et la sérine. Deux autres (la cystéine et la tyrosine) ne sont produites qu’en dehors des périodes de croissance et de grossesse. Nous ne pouvons synthétiser l’arginine et l’histidine en quantité suffisante que dans certaines conditions. On les qualifie d’acides aminés semi-essentiels. Huit acides aminés ne peuvent être obtenus que par l’alimentation. Ces acides aminés essentiels sont l’isoleucine, la leucine, la lysine, la méthionine, la phénylalanine, la thréonine, le tryptophane et la valine.
La science a longtemps considéré que notre organisme n’avait besoin que de ces 20 acides aminés pour former des protéines. Mais les chercheurs ont ensuite découvert la sélénocystéine et se sont retrouvés face à une énigme. En effet, le 21e acide aminé est vital pour notre organisme. Et pour de nombreux autres êtres vivants. Mais son plan de synthèse n’est pas inscrit dans l’ADN. C'est pourquoi le corps adapte son mécanisme de lecture du code génétique. Les chercheurs savent aujourd'hui que ce 21ᵉ acide aminé existe depuis les origines de la vie. Mais la raison pour laquelle sa fabrication est si difficile reste inconnue.
Un adulte devrait consommer tous les jours 0,8 g de protéines par kilogramme de poids corporel. C'est ce que préconise la Société allemande de nutrition. Une personne qui pèse 85 kg devrait donc consommer environ 68 g de protéines par jour. Cet apport équivaut par exemple à celui de dix œufs de poule de calibre M. Mais, toutes les protéines ne se valent pas. En effet, si certaines sont très bien assimilées par le corps, d’autres le sont moins. Les nutritionnistes appellent « valeur biologique » la proportion dans laquelle une protéine alimentaire est utilisée pour fabriquer les protéines du corps. Avec une valeur biologique de 100, l’œuf de poule est la référence. On a découvert par la suite qu'avec un score de 104, la protéine lactique présente une valeur biologique encore plus élevée. Les aliments d'origine animale sont généralement une source plus efficace de protéines pour notre corps. En effet, ils combinent à la fois une valeur biologique élevée et une forte teneur en protéines. C’est toutefois la combinaison de protéines animales et végétales qui permet d’atteindre la valeur biologique la plus élevée. Par exemple, en associant des pommes de terre à des œufs, on atteint une valeur biologique de 137. Mais les plantes, elles aussi, sont de bonnes sources de protéines. Le soja se distingue avec une valeur biologique élevée de 96 (Synder and Kwon, 1987).
Une alimentation équilibrée est, en principe, ce qu’il y a de mieux pour notre santé. Mais la réalité est tout autre. La demande mondiale de viande ne cesse de croître. Depuis le début des années 1960, la consommation mondiale de viande a doublé. Mais cette hausse varie fortement selon les zones géographiques. En Allemagne, la consommation de viande est passée de 64,3 à 79,8 kg par habitant entre 1961 et 2019, soit une augmentation d'environ 24 %. En 2019, la Corée du Sud a atteint un niveau similaire, avec 80,9 kg par habitant. Or, dans les années 1960, ce pays n’en consommait que 4 kg par habitant. Il s'agit d'une augmentation d’environ 2 000 %. On observe un phénomène similaire dans de nombreux pays où le niveau de vie a fortement augmenté au cours des dernières décennies. Au Luxembourg, la consommation de viande par habitant était d’environ 85 kg en 2021. Mais il existe aussi des différences culturelles. Dans les pays à forte population hindoue ou bouddhiste, la consommation de viande est traditionnellement faible, car l’alimentation végétarienne est très valorisée dans les deux religions. En revanche, dans des cultures historiquement nomades comme la Mongolie, la consommation de viande est beaucoup plus élevée que dans la plupart des autres pays.

Illustration : Offre moyenne totale de viande par personne, exprimée en kilogrammes par an. Ces chiffres ne tiennent pas compte du gaspillage par les ménages ou les consommateurs et ne reflètent donc pas nécessairement la quantité d’aliments réellement consommée par personne. Source : Our World in Data.
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Au début du XVIe siècle, la consommation de viande en Europe centrale atteignait environ 100 kg par personne et par an. Quelques décennies plus tard, la situation a changé : la hausse des prix de l'alimentation, la stagnation des revenus et, surtout, la guerre de Trente Ans ont profondément modifié le régime alimentaire. Au début du XIXe siècle, la consommation de viande en Europe centrale était tombée à environ 16 kg par personne et par an. Avec l’industrialisation, elle a grimpé à 50 kg par habitant et par an en l’espace d'un siècle, puis s’est stabilisée à 60 kg après les deux guerres mondiales. Aujourd’hui, les Européens consomment en moyenne entre 66 et 70 de viande par an, selon les sources.
Si l’on combine la croissance démographique attendue pour les prochaines années avec l’augmentation du niveau de vie, la demande en produits d’origine animale continuera d’augmenter. Et ce phénomène pose un certain nombre de problèmes, car les animaux d’élevage doivent être nourris. Dans le cadre de l’engraissement intensif, les bovins sont nourris entre autres avec des céréales, du maïs ou du soja. C’est aussi le cas des porcs et des poules. Or, ces aliments pourraient aussi servir directement à nourrir des êtres humains. Cette situation entraîne une concurrence en ce qui concerne l’usage des surfaces cultivables. Bien sûr, on peut aussi élever les bovins dans les pâturages. Dans certains écosystèmes, c’est même la seule solution, car les terres ne sont pas adaptées à l’agriculture. La vache peut convertir l’herbe non comestible pour l’humain en protéines animales. Mais cette solution a aussi ses faiblesses. En effet, plus il y a de bétail, plus les sols se dégradent.
De la viande sans viande
La réponse au problème des protéines semble évidente : il suffit de réduire notre consommation de viande. Mais dans les faits, ce n’est pas si facile. En effet, nos habitudes alimentaires relèvent d’un choix personnel. Et la viande fait partie intégrante de nombreuses cultures. En fin de compte, chacun doit décider pour soi s’il consomme de la viande, et en quelles quantités. Le nombre de personnes qui adoptent un régime végétarien ou végétalien est en hausse depuis plusieurs années. L’industrie agroalimentaire a bien compris cette tendance. Elle propose des alternatives végétaliennes à la viande. Ces produits visent les consommateurs qui sont attachés au goût de la viande, mais qui sont prêts à tester des alternatives. Ces produits portent alors des noms comme « bacon végétal » ou « escalope de soja ». Leur aspect, leur texture et leur goût imitent la viande, bien qu’ils soient faits à base de végétaux comme le blé, le soja, le quinoa, les fèves ou les pois. Les protéines obtenues sont mélangées à des huiles, des graisses, des épices et des agents épaississants.
Sans surprise, les substituts de viande affichent une empreinte carbone généralement plus faible que la viande. Car les plantes sont utilisées directement, sans le détour par l’alimentation animale. Sur le plan nutritionnel, ces produits présentent aussi des avantages. Ils contiennent généralement moins de graisses saturées et quasiment pas de cholestérol. La consommation excessive de graisses saturées et de cholestérol est néfaste pour la santé. Mais certains appellent à la prudence à l'égard des alternatives végétaliennes à la viande. Selon eux, il s’agit d' aliments hautement transformés avec des listes d'ingrédients parfois très longues. Si leur teneur en sucre ou en sel est élevée, ils présenteraient les mêmes risques pour la santé que les autres aliments hautement transformés.
Des producteurs de protéines à l’échelle microscopique
Ils transforment le chou blanc en choucroute, la farine de seigle en pain au levain, l’orge en bière et le jus de raisin en vin. Si nous faisons appel aux bons micro-organismes, la fermentation peut réellement enrichir notre alimentation. Historiquement, la fermentation a surtout servi à prolonger la conservation des aliments ou à les rendre plus digestes ou simplement comestibles. Le pain de seigle ne lève correctement que s’il est transformé en levain grâce à la fermentation lactique. Le yaourt et le fromage ont une durée de conservation supérieure à celle du lait frais. Il en va de même pour les légumes fermentés en saumure. Ces méthodes de fabrication sont aujourd’hui connues sous le nom de fermentation classique. Le tempeh, qui est populaire en Asie, est produit à partir de graines de soja fermentées à l'aide d'un champignon.

Image : Tempeh découpé en tranches. Source : FotoosVanRobin via Wikimedia Commons (CC-BY-SA 2.0)
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Les êtres humains connaissent la fermentation depuis la nuit des temps. Ils ont constaté que le contenu des entrailles de certaines bêtes se révélait parfois étonnamment digeste. En effet, les ruminants, comme les bovins, les chèvres ou les moutons, sont dotés d’un système digestif particulier. Leur estomac est composé de plusieurs poches. Certaines d’entre elles regorgent de micro-organismes pour qui l’herbe des pâturages est une nourriture idéale. Ces micro-organismes décomposent les longues chaînes de molécules qui forment les fibres végétales. Le processus qui permet de produire des glucides assimilables s’appelle la fermentation. Ces minuscules alliés s’activent d’ailleurs aussi en dehors de l’estomac des bovins. Nos ancêtres ont fini par le comprendre au fil du temps et ont mis ces micro-organismes à leur service. On leur doit aujourd'hui des produits aussi variés que le pain, le fromage, le vin ou la bière. Mais il a fallu près de 9 000 ans avant de comprendre qui était à l’œuvre dans ce processus invisible. Ce n’est qu’au XVIIe siècle que les scientifiques ont pu observer les micro-organismes, et il leur a fallu 200 ans de plus pour comprendre leur rôle dans la fermentation.
On utilise aujourd'hui le principe du tempeh pour transformer à grande échelle des sous-produits végétaux en protéines. Les « sous-produits » désignent les résidus non consommables issus de la transformation alimentaire. La pulpe de betterave utilisée dans la fabrication du sucre en est un exemple. Le marc de raisin qui provient de la production viticole en est un autre. Et le marc de pommes issu de l'extraction de jus en est encore un autre. Ce procédé, qui repose sur l’action de champignons, s’appelle la fermentation de biomasse. Dans des bioréacteurs en acier, le réseau filamenteux pénètre la biomasse. En quelques heures, il double de masse et transforme les résidus en de précieuses protéines, qui sont ensuite traitées et transformées. Le meilleur exemple est sans doute un substitut de viande appelé « Quorn ».
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Ce ne sont ni des plantes ni des animaux. Mais ce ne sont pas non plus des bactéries. Dans la classification des organismes – la taxonomie, comme l’appellent les biologistes – ils appartiennent à un règne à part entière : les champignons. Quiconque pense seulement aux chapeaux des champignons qui émergent en automne ne voit que la partie visible de l’iceberg. En réalité, le champignon à proprement parler vit enfoui sous terre. Il y tisse un réseau composé de filaments blancs, les « hyphes ». Ce réseau, appelé « mycélium », constitue le champignon à proprement parler – et peut devenir gigantesque. Le plus grand champignon connu, et donc le plus grand organisme vivant connu, pousse dans l’État de l’Oregon aux États-Unis sur environ neuf kilomètres carrés, et existait déjà depuis 3 000 ans quand les premiers pharaons d’Égypte ont accédé au trône. Les chercheurs estiment qu’il pourrait avoir quelque 8 500 ans. Ce qui est tout aussi surprenant, c’est qu'il est possible de manger non seulement le chapeau et la calotte, mais aussi le mycélium de certains champignons comestibles.
C’est la biologie qui détermine les limites de la fermentation de biomasse. En effet, les micro-organismes ne fabriquent que ce que leur code de synthèse leur permet de fabriquer. Mais il est possible de modifier ce plan. Grâce à des procédés biotechnologiques, on peut reprogrammer l’ADN des micro-organismes afin qu’ils produisent certaines substances sur mesure. C'est ce qu'on appelle la fermentation de précision. On utilise par exemple cette méthode pour produire de la présure – un mélange d’enzymes utilisé dans la fabrication du fromage. Cette substance se forme naturellement dans le quatrième estomac du veau (la caillette) et permet la coagulation des protéines de lait. Il est possible d'extraire la présure des estomacs des veaux. Cette méthode, qui demande beaucoup d’efforts, a été utilisée pendant des milliers d’années. Outre l’utilisation de présure de substitution fabriquée par des champignons, on peut aussi insérer un gène bovin dans une bactérie inoffensive, qui produira alors des enzymes identiques à celles d’origine animale. Aujourd’hui, les chercheurs et les experts en génie alimentaire font appel aux techniques de génie génétique les plus avancées, telles que les ciseaux génétiques CRISPR/Cas et des algorithmes issus du domaine de l’intelligence artificielle. Il est donc possible aujourd’hui de produire les protéines de lait de vache ou d’œuf de poule à l’aide de bactéries cultivées dans un milieu de culture liquide. On utilise cette technique dans les aliments de substitution pour imiter le goût et la texture des produits d’origine animale. C’est ce que fait l'entreprise californienne Impossible Foods. Elle utilise une levure génétiquement modifiée pour fabriquer une protéine appelée hème à partir de plantes. Cette protéine permet au sang de fixer l’oxygène et serait, selon les chercheurs de l’entreprise, la clé du goût caractéristique de la viande. Ces steaks végétaux contenant de l’hème d’origine animale ne sont disponibles qu’en dehors de l’Union européenne. Les réglementations de l’UE sur l’ingénierie génétique en bloquent encore la commercialisation.
Certaines start-up, comme Arkeon en Autriche ou Solar Foods en Finlande, poussent à présent le processus à l'extrême. Elles misent sur des archées, une forme de bactéries primitives (NewMeat, 2023). Elles n'ont pas besoin de biomasse pour produire des protéines. L’air ambiant leur suffit. Dès qu'on y ajoute quelques oligo-éléments, elles se mettent à produire des acides aminés. Le produit final de cette fermentation gazeuse est une poudre de protéines prête à l'emploi. L’idée derrière cette approche : si on peut se passer des résidus végétaux pour ce type de fermentation, on peut nourrir davantage de personnes avec des protéines sans étendre les surfaces agricoles. Et on pourrait produire de la nourriture là où ce n’est normalement pas possible, par exemple, lors de missions spatiales habitées.
Les insectes comme sources de protéines
Lorsqu’on parle de protéines animales, on pense d’abord au bœuf, au porc, au poulet ou au poisson. Une catégorie d'êtres vivants est souvent oubliée dans ce contexte, à savoir les insectes. Depuis la nuit des temps, nos ancêtres savent que nombre de ces bestioles sont des sources de protéines idéales. Dans bien des cultures du monde, les coléoptères, les fourmis et les criquets faisaient partie intégrante de l’alimentation. Et dans de nombreuses régions, c’est toujours le cas aujourd’hui. À ce jour, plus de 2 100 espèces d’insectes ont été identifiées comme comestibles pour l’homme. Alors que, dans de nombreuses régions du monde, les insectes sont un aliment courant, en Occident, cette pratique suscite depuis longtemps un certain dégoût. Avec quelques exceptions : la soupe aux hannetons (Kiewerlekszopp) était très répandue en Allemagne et en France jusqu'au siècle dernier. Et le casu martzu, un fromage ensemencé par des larves de mouches vivantes, est encore consommé en Sardaigne aujourd’hui. Si l’on met de côté notre dégoût culturel, les insectes pourraient toutefois aussi être considérés chez nous comme une source alternative de protéines prometteuse. En effet, certaines espèces sont non seulement composées à plus de 50 % de protéines, mais elles apportent aussi tous les acides aminés essentiels. Avec le règlement de l'Union européenne sur les nouveaux aliments, une première étape pour les utiliser chez nous a déjà été franchie. Le ver de farine, le criquet migrateur, le grillon domestique et le petit ténébrion mat y sont autorisés comme denrées alimentaires. Il incombe à présent à l’industrie agroalimentaire de rendre la farine de grillons domestiques ou les steaks à base de vers de farine appétissants pour les consommateurs.


Images : Vers de farine lyophilisés (à gauche) et criquets migrateurs (à droite) utilisés comme aliments (insectes comestibles) ou ingrédients. Les vers de farine sont les larves du ténébrion meunier (Tenebrio molitor) et sont élevés dans des conditions contrôlées pour la consommation humaine. Les criquets migrateurs sont aussi élevés dans des conditions contrôlées pour la consommation, notamment en Allemagne. Source : insektenwirtschaft.de via Wikimedia Commons (CC-BY-SA 4.0).
Alors que la consommation d'insectes peut encore rebuter les êtres humains, il en va tout autrement pour d’autres espèces. En effet, les insectes font naturellement partie du régime alimentaire des porcs et des poules. Il est donc logique d’utiliser ces bestioles dans l’alimentation du bétail en élevage intensif. Cette pratique est désormais à nouveau possible chez nous. Après les interdictions liées à l'apparition de cas d’ESB dans les années 1990, les insectes sont à nouveau autorisés dans les aliments pour animaux au sein de l’UE depuis 2021. Et cette décision est tout à fait logique, car, jusqu’à présent, le soja importé était la principale source de protéines de nos animaux d’élevage.
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Peu de plantes présentent un contraste aussi marqué entre bienfaits et effets négatifs que le soja potager (Glycine max). Cette légumineuse est cultivée depuis plus de 5 000 ans, au début, principalement au Japon, en Corée et en Chine. Ses protéines sont de haute qualité (Snyder and Kwon, 1987). Avec une valeur biologique de 96, il se classe juste après l’œuf (100) et devant le thon (92) ou le bœuf (80). Il produit une huile qu'on peut aussi utiliser pour le biodiesel. Les résidus du pressage servent d’aliment pour les êtres humains, mais surtout de fourrage pour les animaux. Et cela devient problématique, car la production mondiale de soja ne cesse d’augmenter. Elle est passée de 17 millions de tonnes en 1960 à près de 350 millions de tonnes en 2022. Pour faire de la place à la culture de soja, des écosystèmes riches en espèces doivent souvent être sacrifiés. Au Brésil, par exemple, qui cultive plus d’un tiers du soja mondial, cette culture se fait aux dépens de la forêt tropicale amazonienne.
De la viande sans animal
Alors qu’il s’agissait jusqu’à présent de remplacer ou d’imiter la viande avec des aliments végétaux, certains chercheurs et entrepreneurs explorent aujourd’hui une autre voie. Leur objectif : produire de la viande sans passer par l’animal. Ça a tout d’un scénario de science-fiction. Pourtant, 174 start-up dans le monde s’attellent déjà à cette tâche. Des cellules animales y sont multipliées dans un milieu de culture liquide, puis récoltées et transformées. Avantages : quand on ne passe pas par l'élevage d'animaux classique, la majorité des objections habituelles à la viande disparaissent. Les bioréacteurs nécessitent très peu d’espace. Aucun animal n’est tué. Le produit final est exempt de résidus médicamenteux, comme les antibiotiques. Et cette méthode consomme moins de ressources que l’élevage classique. Mais c'est précisément là que les critiques interviennent : selon les détracteurs de cette méthode, la production de viande en laboratoire consomme toujours plus d’énergie que l’agriculture végétale.
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Ceux qui se souviennent du dessin animé Les Pierrafeu du samedi matin se rappelleront sûrement le célèbre burger de brontosaure. Une idée amusante, qui pourrait bien être en train de devenir réalité. En effet, en Australie, des chercheurs et des entrepreneurs se sont alliés pour mener une expérience pour le moins insolite. Ils ont cherché dans le génome de mammouths éteints depuis des millénaires la séquence codant la myoglobine. Cette molécule donne sa couleur rouge au sang, transporte l’oxygène et serait aussi responsable du goût que nous associons à la viande. Ils ont inséré le code de synthèse de la myoglobine dans une cellule musculaire, qu'ils ont multipliée pour obtenir en fin de compte : une boulette de viande de mammouth. Ils motivent leur démarche de cette façon :
« Le mammouth est un gigantesque témoin des ravages que peut provoquer un changement climatique radical. Comme cet animal n’a pas su s’adapter à un environnement en constante évolution, nous nous sommes demandé s’il pouvait devenir un symbole d’espoir pour notre alimentation de demain. » (https://www.mammothmeatball.com/faq)
Et le poisson, dans tout ça ?
À côté de la viande et des sources de protéines alternatives, les poissons et les fruits de mer fournissent; eux aussi; des protéines. Aujourd'hui déjà, beaucoup de nos denrées alimentaires proviennent des milieux aquatiques. Et il est possible que cette proportion augmente à l'avenir. Dans le quatrième article de notre série, nous examinons comment, outre les fleuves, les lacs et les océans, les habitats aquatiques artificiels pourraient devenir des pièces maîtresses du système alimentaire de demain.
Quelques mots de conclusion
Dans les comparaisons comme celle que nous venons de citer, la prudence reste de mise. L’argument ultime est trop souvent le suivant : rien de mieux pour l’environnement qu’un régime entièrement végétal. Ce n’est pas faux… mais ce n’est pas forcément un argument judicieux. Car espérer changer les habitudes alimentaires de millions de personnes par ce type d’appels paraît bien utopique. Rejeter d'emblée l'une ou l'autre option n'est probablement pas la meilleure stratégie. Quoi qu'il en soit, la transition protéique s'opérera tôt ou tard dans les assiettes du monde entier.
Auteur : Kai Dürfeld (pour scienceRELATIONS - Communication scientifique)
Édition : Michèle Weber, Gideon Giesselmann (FNR)
Traduction : Nadia Taouil (www.t9n.lu)
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