(C) Joëlle Fritz
Nous, hommes et femmes, sommes envahis par des organismes aussi nombreux que nos propres cellules corporelles. Mais cela ne nous nuit en aucun cas! Comment profitons-nous de ces sous-locataires?
Madame Fritz, vous étudiez les bactéries qui colonisent le corps humain. Sont-elles dangereuses?
Au contraire: ce que l'on nomme le microbiome - l'ensemble des microbes vivant chez l'homme - dans la mesure où celui-ci est équilibré, est même très utile à l'homme.
De quelle façon est-ce que les bactéries peuvent nous être utiles?
Une interaction a lieu entre les bactéries et les cellules humaines. Prenez par exemple l'intestin, dans lequel de nombreuses bactéries vivent - sans elles, nous ne serions pas en mesure de digérer de nombreux repas. Elles décomposent les molécules que nous ingérons et produisent d'autres molécules telles que celles dont notre système immunitaire a besoin. Lorsque dans le cadre d'expérimentation animale, on élève des souris devant survivre sans bactéries, celles-ci sont certes viables mais possèdent un système immunitaire plus faible et sont beaucoup plus maigres.
Elles facilitent donc notre digestion...
Oui, mais pas seulement. On observe aujourd'hui une connexité certaine entre le microbiome et les maladies les plus diverses. Cependant, il est bien souvent difficile de savoir si un microbiome déséquilibré est le facteur déclenchant de la maladie ou, à l'inverse, si la maladie a des effets néfastes sur le microbiome naturel.
De quelles maladies voulez-vous parler?
Des maladies telles que le cancer colorectal à l'évidence ou encore le diabète et la surcharge pondérale. Je trouve toutefois particulièrement intéressant que d'autres maladies touchant des organes bien plus éloignés de l'intestin soient vraisemblablement influencées par le microbiome de l'intestin - la maladie de Parkinson par exemple. La question qui se pose est : les molécules microbiennes sont elles capables de se propager dans le sang et, ainsi, d'accéder à des zones corporelles comme le cerveau et d'y produire un certain effet?
Existe-t-il d'ores et déjà des éléments de conclusion à ce sujet?
Une possibilité sur laquelle reposent mes recherches est que le génome bactériel sous forme d'ARN - une forme modifiée du patrimoine génétique livrant la formule nécessaire à la synthèse des protéines - accède à la voie sanguine et interagit par la suite avec les cellules humaines. Mais il ne s'agit là jusqu'à présent que d'une hypothèse. Nous savons certes que les cellules bactériennes interagissent avec les cellules humaines, le rôle de l'ARN dans ce contexte reste toutefois totalement incertain. Les besoins en matière de recherche sont à ce sujet très substantiels.
De quelle façon étudiez-vous les interactions entre les cellules bactériennes et les cellules humaines?
Il existe plusieurs possibilités: dans le cas de bactéries inoffensives, des essais cliniques sur l'être humain peuvent être menés - prenez par exemples les bactéries probiotiques présentes dans le yaourt. Pour le reste, nous avons recours à l'expérimentation animale avec des souris. Ceci n'est cependant pas exempt de problèmes, les résultats n'étant en effet pas toujours transposables sur l'être humain, car les souris s'alimentent différemment, le microbiome présent dans leur intestin est donc différent.
Y a-t-il une possibilité de remédier à ce problème?
Nous venons juste de publier une étude qui propose la solution suivante: nous avons conçu un modèle dans lequel nous pouvons cultiver dans un même temps des cellules humaines et des cellules bactériennes, séparées par une membrane perméable. Le système fonctionne de façon similaire à l'intestin naturel, où les cellules humaines sont oxygénées tandis que les cellules bactériennes, comme dans l'intestin, ne le sont pas. Nous désirons prochainement rendre accessible ce système à d'autres chercheurs - dans le domaine de la recherche médicamenteuse ou alimentaire par exemple.
Autor: Tim Haarmann
Foto: Joëlle Fritz
Infobox
Joëlle Fritz travaille en tant que Postdoc au sein du groupe Ecosystems-Biology du Luxembourg Centre for Systems Biomedicine. Elle a fait des études de pharmacologie à Strasbourg et passé son doctorat sur le thème du VIH1/SIDA. Le thème central de ses recherches est l'étude de l'interaction entre les microbes et les cellules humaines.