Fondation Jeunes Scientifiques Luxembourg
Quels sont les facteurs de risque du cancer du sein, et l’intelligence artificielle pourra-t-elle prédire un jour efficacement l’apparition de la maladie ? Quelle confiance la population accorderait-elle à ces résultats ? Ces trois questions forment l’ambitieux triptyque du travail de Federica Maestri, étudiante en 3e année en science de l’informatique à l’Université du Luxembourg.
Pour y répondre, elle a créé un site web intitulé « Pink for Science », qui n’est pas encore en ligne, mais dont elle espère créer bientôt l’application gratuite.
Comment avez-vous pensé au dépistage du cancer du sein comme sujet de recherche ?
« La pandémie a provoqué un retard diagnostique majeur dans ce domaine. Les femmes n’osaient plus aller aux rendez-vous de dépistage par peur du virus, et ensuite, les répercussions sur le système de santé ont ralenti le diagnostic. Il y a eu une baisse de 80% des mammographies effectuées durant cette période ; or cela reste la méthode diagnostique la plus efficace. »
Ceci a motivé la jeune chercheuse à trouver une solution qui soit disponible pour toutes les femmes, partout dans le monde et gratuitement, afin de les aider à poser les bonnes questions et à chercher un avis médical précocement.
« Pink for Science » : qu’est-ce que c’est, exactement ?
La première partie du projet est un outil d’évaluation du risque global d’avoir un jour un cancer du sein. L’utilisatrice répond à un questionnaire en ligne comportant des questions sur son passé médical, son profil (âge, sexe, ethnie…), les antécédents familiaux, les facteurs de risque (tabac, alcool, traitement hormonal…).
« Aussi bien les facteurs de risque que les résultats sont expliqués en détail, afin que le processus soit le plus transparent possible. En fonction de la probabilité indiquée, un avis médical peut être conseillé à l’utilisatrice. Le but de cet outil est de sensibiliser, surtout si l’accès au système médical est pauvre ; ce n’est pas un outil diagnostique et n’a pas vocation à remplacer une visite médicale. »
La deuxième partie, celle de l’apprentissage automatique, a été plus complexe à réaliser à cause de la paucité des données médicales disponibles. Federica explique son procédé : « J’ai trouvé un jeu de données contenant 7632 images de mammographies, trié en deux catégories : image normale / image pathologique. J’ai ensuite nourri l’IA avec ce jeu de données afin qu’elle puisse apprendre à reconnaître les images montrant un cancer. »
La troisième partie enfin est une réflexion sur la confiance dans l’IA. La conclusion de Federica est nuancée et perspicace : une maximisation de la confiance n’est pas forcément souhaitable, car si l’utilisateur ne garde pas un regard critique sur les résultats obtenus, alors il n’y aura plus de garde-fou, et les erreurs éventuelles commises par l’IA ne seront plus dépistées.
« Voilà pourquoi cet outil ne remplacera jamais l’œil expert du radiologue (ou de tout autre médecin). Son but est de l’aider dans sa prise de décision, ni plus ni moins ». Tout comme un stéthoscope ou le Vidal, finalement.
Quels sont les problèmes liés à un tel programme d’apprentissage automatique ?
Ils sont principalement d’ordre médicolégal, dans la mesure où les données médicales sont difficiles d’accès. Afin de mettre à disposition un outil qui permet l’analyse d’images radiologiques, il faut d’abord s’assurer de la protection des données, des aspects éthiques quant à leur utilisation et aussi de la véracité des informations contenues dans les données servant à entraîner l’IA : qui a établi le diagnostic ? Quelle est la marge d’erreur ?
Un autre problème : on ne sait pas vraiment comment fonctionne l’apprentissage automatique. Les étapes intermédiaires qui mènent au résultat ne nous sont pas connues. Cela crée un manque de transparence et entrave l’élimination d’erreurs systémiques ; et par corollaire, cela inhibe la confiance des utilisateurs.
Le modèle d’apprentissage automatique mis au point par Federica n’est donc pas encore parfait, mais les bases de la programmation sont posées et la réflexion est lancée.
Quels sont les projets de Federica Maestri sur le long terme ?
Federica compte poursuivre son chemin dans l’informatique, sans jamais oublier le lien avec la santé. Elle réfléchit en outre à s’investir dans le domaine de la santé de précision.
Elle souhaite également soutenir la parité en science : certains domaines comme l’informatique ont un pourcentage bien trop faible de femmes – grand temps de changer cela !
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Auteur: Diane Bertel
Editrice: Michele Weber (FNR)
Cet article fait partie d'une série
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Infobox
La santé de précision – ou médecine de précision – est un vaste domaine de recherche, très récent, dont le but est d’optimiser l’offre de soin de façon à répondre au mieux aux caractéristiques de chaque individu. Il faut pour cela prendre en compte l’aspect génétique et épigénétique, l’environnement, le mode de vie… Si l’on parvient à intégrer tous ces facteurs aux décisions médicales, alors la prise en charge (du dépistage au traitement) pourra se faire en fonction de l’unicité de chacun. Les méthodes mises en œuvre pour cela sont multiples : séquençage génomique, santé publique, numérique, biochimie, biologie…
Au Luxembourg, le département de santé de précision est sous la direction du Dr. Guy Fagherazzi.