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Le 10 janvier 2020, un jour avant que la Chine ne signale le premier décès lié au coronavirus, une équipe de scientifiques chinois a affirmé avoir séquencé le génome du nouveau coronavirus SARS-CoV-2. Moins d'un an plus tard, plusieurs vaccins très efficaces sont sur le point d'être autorisés. Cette rapidité bat tous les records. D'ordinaire, il faut environ dix à quinze ans pour mettre au point un vaccin. Même lorsque cela va vite, il faut compter quatre à cinq ans. Le vaccin contre les oreillons, mis au point en quatre ans seulement dans les années 1960, en est un exemple. Et après l'épidémie d'Ebola en Afrique de l'Ouest en 2014, cinq années se sont écoulées avant qu'un vaccin ne soit autorisé.
Pourquoi ce processus prend-il d’ordinaire autant de temps ?
- Rien que les études préliminaires, par exemple pour identifier la partie du virus contre laquelle un vaccin doit offrir une protection, peuvent en temps normal prendre des années.
- Les essais précliniques, pendant lesquels des substances potentiellement actives sont testées sur des animaux et des données toxicologiques sont recueillies, durent entre deux à quatre ans.
- Elles sont suivies d'essais cliniques, qui sont organisés en trois phases (I, II et III), impliquent un nombre toujours croissant de sujets et peuvent à leur tour durer entre cinq et sept ans.
- Ce n'est qu'à la fin des essais complets que les autorités reçoivent les résultats pour évaluation – un processus qui à son tour peut facilement durer un à deux ans.
Le fait que le vaccin contre la Covid-19 ait été mis au point si rapidement suscite des craintes : la sécurité des vaccins a-t-elle été sacrifiée au profit de la rapidité ? A-t-on pris des raccourcis lors de l’évaluation des risques ?
Pour chaque phase individuelle de la fabrication de vaccins, il y a des raisons qui expliquent pourquoi le processus a pu être mené à bien plus rapidement que d’ordinaire. Nous allons aborder ces différents points. Pour commencer, voici une synthèse des principales raisons pour les lecteurs pressés. Nous allons ensuite approfondir les différents points.
Synthèse : principales raisons expliquant pourquoi le vaccin contre le SARS-CoV-2 a pu être développé si rapidement
Pourquoi la phase préclinique était-elle plus courte ?
- Des candidats-vaccins ont déjà fait l'objet de recherches lors de l'apparition du SARS (2002) et du MERS (2012), qui sont tous les deux des coronavirus. Les résultats de l’époque ont pu être transposés au SARS-CoV-2 (qui est également un coronavirus). Les chercheurs n'ont pas eu à partir de zéro. Cela a permis de gagner beaucoup de temps.
- Il y a aussi un peu de chance en jeu, car il est relativement aisé de développer des vaccins contre les coronavirus. Ce n'est pas le cas de tous les virus.
Pourquoi les phases cliniques étaient-elles plus courtes ?
- Pour que la phase III se déroule rapidement, un nombre suffisant de participants doivent contracter la maladie pour qu'on puisse se prononcer sur l'efficacité du vaccin. Le nombre relativement élevé de participants à l'étude ainsi que la prévalence actuellement élevée dans la population ont fait qu'un nombre suffisant de participants se sont contaminés rapidement, et cette phase en particulier a donc duré moins longtemps qu’à l’accoutumée.
- Les candidats-vaccins de Pfizer/Biontech et Moderna n'ont pas connu de complications au cours des essais cliniques qui auraient prolongé les processus. Cela n’a toutefois pas été le cas du vaccin d'Astra Zeneca/Oxford, par exemple. C'est pourquoi ce dernier – bien qu'il était particulièrement bien positionné dans un premier temps – ne se trouve plus en pole position.
- Au lieu d'enchaîner successivement la phase I, II et III, les entreprises pharmaceutiques ont fait se chevaucher partiellement différentes phases.
Statistiques et ressources : de nombreux projets en parallèle – beaucoup de ressources mises à disposition
- Les moyens financiers dégagés pour développer le vaccin contre la Covid-19, ainsi que la coopération entre les partenaires privés et publics, sont sans précédent. En outre, de nombreux candidats-vaccins différents étaient en cours d'élaboration en même temps. Ces deux faits se répercutent sur la qualité et la quantité des candidats-vaccins (il y a plus de 200 candidats-vaccins actuellement en essais cliniques). Cela augmente tout simplement la probabilité qu'un ou plusieurs candidats-vaccins soient efficaces.
Évolution de la recherche
- Depuis plus de 25 ans, des recherches sont menées sur les vaccins à ARN messager. La technologie était déjà bien avancée et est maintenant prête à être déployée. Les fonds qui ont été investis dans le développement de vaccins ont probablement contribué à accélérer le processus, alors qu’il était proche de la finalisation, mais il arrive un moment dans la recherche où les technologies sont prêtes à être mises en œuvre et à partir duquel elles s’imposent. La technologie des vaccins à ARN messager est l'une de ces technologies prometteuses qui pourraient être utilisées à grande échelle à l'avenir.
Pourquoi les procédures d'autorisation ont-elles été plus rapides ?
- Les autorités dégagent beaucoup de ressources pour coopérer. Par exemple, plutôt que de terminer d'abord tous les essais et d'entamer seulement après la procédure d'autorisation, on procède à ce qu'on appelle des « évaluations en continu » (rolling review), dans le cadre desquelles les autorités ont déjà accès aux données, alors que les essais sont encore en cours.
Pourquoi la production de masse a-t-elle pu démarrer si rapidement ?
- Les fabricants de vaccins ont déjà commencé la production de masse avant même que leurs candidats-vaccins ne soient autorisés. En procédant de la sorte, ils ont pris un risque financier.
Nous l’avons vu, le fait que la mise au point du vaccin ait été beaucoup plus rapide que d’ordinaire s’explique parfaitement. Contrairement au vaccin russe, par exemple, dans ce cas, toutes les phases des différents tests de sécurité et d'efficacité ont été respectées.
La mise au point rapide s'est-elle donc faite au détriment de la sécurité ?
(Les passages suivants ont été mis à jour le 22 décembre) :
À en croire l’évaluation de l’EMA (Agence européenne des médicaments) concernant le vaccin de Biontech/Pfizer, la réponse est non. L’ensemble des données des phases précliniques et cliniques ont été soumises à cette autorité compétente pour l’Europe. Après avoir examiné toutes les données, elle a recommandé l'utilisation du vaccin. Cela signifie qu'elle perçoit l’efficacité du vaccin comme élevée et les risques comme faibles, et que les procédures ont été suivies et répondent aux normes de sécurité actuelles.
Cela ne veut pas dire qu'il n’y a eu aucun effet secondaire. Mais les risques associés n’ont simplement pas été considérés comme élevés. Cela ne signifie pas non plus que des effets à long terme ou des effets secondaires rares peuvent déjà être identifiés à ce stade. Ce n'est actuellement pas encore possible. Les effets à long terme ne peuvent être évalués qu’après un certain temps. Et les effets secondaires rares ne peuvent être identifiés qu’une fois qu’un grand nombre de personnes auront été vaccinées. Cela se fait pendant la phase IV, après la première autorisation de mise sur le marché.
Pendant des mois ou des années, la sécurité et l’efficacité des vaccins continuent à être testées. Si de graves complications surviennent pendant cette période, un vaccin peut à nouveau être retiré du marché. Il s'agit d'une procédure habituelle appliquée à chaque médicament et chaque vaccin. Il n'y a pas d'autre moyen de procéder, car il s’agit de la seule manière de déterminer les effets secondaires rares et les conséquences à long terme. La tâche de l'EMA consistait à s'assurer que tout s’est déroulé correctement et conformément aux normes de sécurité lors des phases précliniques et des phases cliniques I à III. Ce qui va se produire dans les semaines et les mois à venir doit cependant continuer à être suivi de près.
Ces explications répondent, avant tout, à la question de savoir pourquoi la procédure a été aussi rapide. Elles répondent aussi à la question de savoir si les normes de sécurité en vigueur ont été respectées jusqu'à présent (l’EMA est d’avis que c’est bien le cas). Toutefois, ces explications ne détaillent pas les risques et les effets secondaires des vaccins contre la Covid-19 connus à ce jour. À ce sujet, nous vous renvoyons vers l'article suivant :
Étant donné que les différents aspects en rapport avec la rapidité de développement n'ont été traités que de manière superficielle jusqu'à présent, nous allons désormais aborder les différents points avec plus d'informations contextuelles.
« Les chercheurs n'ont pas eu à partir de zéro. »
Le séquençage rapide du génome du virus est un premier élément déterminant qui a permis de mettre au point un vaccin dans des délais courts. Le fait que les chercheurs chinois aient rendu public le séquençage du génome sur Internet a permis aux scientifiques du monde entier d’identifier rapidement la partie du génome qui joue un rôle important pour la fabrication d'anticorps après la vaccination. Il était très utile que les chercheurs aient déjà une idée assez précise de ce qu’ils devaient chercher.
Des essais précliniques avec des candidats-vaccins potentiels avaient déjà été menés lors de l'apparition du premier virus du SARS de 2002 à 2004. Des travaux de mise au point d’un vaccin avaient également été menés pour le MERS. Bien qu'il n'existe pas à ce jour de vaccin contre ces deux virus, les études réalisées à l’époque pour en développer un n'ont pas été vaines. Comme elles portaient sur des coronavirus très similaires au SARS-CoV-2, elles aident maintenant les chercheurs à développer des candidats-vaccins, par exemple, pour identifier des antigènes importants. Les antigènes sont des composants du virus contre lesquels notre système immunitaire peut diriger une réaction de défense, c'est-à-dire contre lesquels il peut fabriquer des anticorps - par exemple, la protéine Spike dans l'enveloppe virale, c'est-à-dire les « pics de la couronne » du SARS-CoV-2.
C'est ainsi que le fabricant américain de vaccins Moderna a été en mesure de lancer la phase I de l’essai clinique de son candidat-vaccin moins de dix semaines après la publication du génome du virus. « Les chercheurs n'ont pas eu à partir de zéro », explique Carlos Guzmán, responsable du département de vaccinologie du Helmholtz-Zentrum für Infektionsforschung à Braunschweig.
Les différentes phases des essais cliniques se sont déroulées en parallèle
Malgré cette situation de départ avantageuse, les fabricants de vaccins ne se sont pas reposés sur leurs lauriers. Ils ont pu gagner encore plus de temps en menant les différentes phases des essais cliniques en parallèle.
Voici un article qui synthétise les différentes étapes de la fabrication de vaccins :
Normalement, non seulement les scientifiques, mais aussi, et surtout, les bailleurs de fonds examinent scrupuleusement les résultats de chaque étape avant de passer à la suivante. Ainsi, la phase III, vaste et coûteuse, durant laquelle un candidat-vaccin est testé sur des dizaines de milliers de sujets, ne commence généralement que lorsque les données des phases I et II précédentes, menées auprès de quelques dizaines ou centaines de sujets, s’avèrent prometteuses. Et cela, à condition que le risque d'échec soit faible et qu'il existe un marché pour le candidat-vaccin.
Dans le cas du vaccin contre la Covid-19, les fabricants n'ont toutefois pas attendu les résultats intermédiaires et, malgré l'issue incertaine, ils ont non seulement entamé d'autres phases d'étude, mais ils ont aussi déjà lancé la production du vaccin. « C'est la volonté d'avancer malgré le risque financier qui a permis d'accélérer la mise au point des candidats-vaccins contre le SARS-CoV-2 », écrit Florian Kramer, professeur de vaccinologie à l'Icahn School of Medicine du mont Sinaï dans un récent article de synthèse publié dans la revue Nature.
Dans ce cas, cependant, le risque financier était assumé non seulement par les entreprises, mais aussi par des investisseurs privés ainsi que des bailleurs de fonds publics. Les États dégagent des milliards pour soutenir les différents projets. Ainsi, Moderna a reçu près d'un milliard de dollars de fonds publics. Et la Commission européenne a soutenu le projet Biontech/Pfizer à hauteur de 100 millions d'euros.
Coopération entre les entreprises, les institutions publiques et les volontaires aux essais
Cette coopération entre les institutions publiques et les grandes entreprises pharmaceutiques, le « partenariat public-privé », est l’une des particularités de la pandémie de coronavirus. Moderna, par exemple, travaille avec le National Institute of Allergy and Infectious Disease aux États-Unis et l’entreprise pharmaceutique AstraZeneca avec l'Université d'Oxford. « Le niveau de coopération est sans précédent », déclare l'expert en vaccination Carlos Guzmán. « Pour aucun autre vaccin, les gens n’ont été si bien informés de chaque étape de développement. » Les différents projets ont ainsi pu s’enrichir les uns les autres, ce qui a accéléré encore davantage les processus de développement.
Toutefois, la rapidité avec laquelle les vaccins ont été mis au point s’explique aussi par le grand intérêt du public et la mobilisation des volontaires pour les essais, ainsi que par la prévalence relativement élevée de la Covid-19 dans la population pendant les essais de phase III. Cela signifie qu’un nombre suffisant de personnes du groupe de contrôle de l'essai de phase III sont tombées malades, ce qui a permis de disposer plus rapidement de données sur l'efficacité. Et, on ne s'est pas contenté d'une seule substance active. Au total, pas moins de 261 candidats sont en lice, ce qui a augmenté la probabilité d'un succès rapide.
Évaluation en continu : des examens pendant l’étude en cours
La façon dont les autorités traitent les candidats-vaccins constitue un autre facteur décisif. Normalement, les autorités de réglementation, telles que la Food and Drug Administration (FDA) aux États-Unis ou l'Agence européenne des médicaments (EMA) dans l'UE, ne reçoivent un dossier sur l'efficacité et la sécurité qu'une fois que tous les essais ont été réalisés. La procédure actuelle est différente. Les autorités ont accès aux données préliminaires des essais précliniques et cliniques, et peuvent les examiner parallèlement aux évaluations en cours. C’est ce qu’on entend par « évaluation en continu ». Le processus avait déjà fait ses preuves pour développer le vaccin contre le virus Ebola en 2014.
On ne saurait cependant en conclure qu’avec l’évaluation en continu, les autorités examinent les données avec moins de rigueur. Compte tenu de l'urgence de la situation, elles organisent plutôt leurs ressources et leur personnel de manière à terminer l'évaluation plus rapidement. « Un vaccin peut ainsi être autorisé dès que les essais sont terminés », explique le vaccinologue Carlos Guzmán. Toutefois, il ne sera autorisé que pour les groupes de personnes sur lesquels il a été testé. Par exemple, les vaccins à ARN messager développés actuellement n'ont pas encore été testés chez des enfants, c'est pourquoi ces derniers ne peuvent pas (encore) être vaccinés.
Autorisation provisoire
Le processus d'autorisation peut être accéléré encore davantage. « Sur la base de résultats préliminaires solides en ce qui concerne la sécurité et l'efficacité, une autorisation provisoire peut être accordée", déclare Carlos Guzmán. Cette « autorisation conditionnelle de mise sur le marché », comme l’Agence européenne des médicaments (EMA) la dénomme, n'est pas une autorisation de mise sur le marché définitive et n'est accordée que dans les conditions suivantes :
- lorsque des besoins médicaux non couverts sont satisfaits par la vaccination ;
- lorsque les données montrent que les avantages du vaccin l'emportent sur les risques ;
- lorsqu’il est probable que le demandeur de l’autorisation peut fournir des données supplémentaires plus complètes confirmant que les avantages continuent de l'emporter sur les risques et
- lorsque les avantages pour la santé publique d’une disponibilité immédiate du vaccin l'emportent sur les risques qui découleraient de la nécessité de disposer de données supplémentaires.
Tant Biontech/Pfizer que Moderna ont soumis ces derniers jours une demande d'autorisation de mise sur le marché provisoire auprès de l'EMA sur la base de leurs résultats intermédiaires de la phase III. Si les données sont suffisamment convaincantes, les évaluateurs de l'EMA pourraient octroyer une autorisation de mise sur le marché provisoire dans les semaines qui suivent.
D'autres études examinent les effets à long terme après l'autorisation
Une fois que l’autorisation (qu’elle soit provisoire ou définitive) a été octroyée, la sécurité et l'efficacité des vaccins sont évaluées dans le cadre d'essais de phase IV pendant une période de temps prolongée. Dans ce cadre, d'autres groupes d'âge ou de la population peuvent recevoir le vaccin. L'objectif est d'identifier également les effets secondaires très rares ou mineurs ou les éventuels effets à long terme. Si des effets secondaires importants surviennent durant cette phase, l'autorisation peut aussi être retirée. En 2001, par exemple, la société pharmaceutique Baxter a volontairement renoncé à l’autorisation d'un vaccin contre la méningo-encéphalite à tiques (TBE) après la survenue de plusieurs cas de très forte fièvre. Ce vaccin a ensuite été adapté et autorisé à nouveau. Il s'agit toutefois là d'un des très rares cas où une relation de cause à effet entre le vaccin et les effets secondaires a pu être démontrée après l'autorisation.
Le vaccin russe
Le développement du premier vaccin contre le SARS-CoV-2 en Russie s’est déroulé différemment. Là, un vaccin (« Spoutnik V ») a été approuvé en l’absence de données d’essais de phase III. Il n'a été testé que dans des essais de phase I et II auprès de 76 participants. Selon le fabricant, les premiers résultats intermédiaires suggèrent que le vaccin devrait protéger contre une infection dans 91,4 % des cas (résultats 28 jours après la première dose, sept jours après la seconde).
Cette approche des autorités russes n'est pas envisageable en Europe.
Les normes de sécurité sont-elles maintenues malgré le développement accéléré des vaccins ?
Dans le cadre du processus d’autorisation dans l’UE, les vaccins contre la Covid-19 développés rapidement répondent à des normes de sécurité comparables à celles de tous les autres vaccins. Les exigences, par exemple en ce qui concerne le nombre de participants nécessaires, étaient les mêmes que pour tous les autres vaccins.
« À ce stade, on peut affirmer qu'aucun effet secondaire grave n'est survenu jusqu'à présent. Les vaccins actuels semblent donc sûrs », affirme Carlos Guzmán. On pourra toutefois se prononcer de manière absolue qu'une fois que les études auront été terminées et que toutes les informations seront disponibles. Cela comprend également les résultats des essais de phase IV, dans lesquels d'autres groupes d'âge et de patients ainsi que les effets secondaires très rares et les éventuels effets à long terme seront étudiés.
Quels sont les effets secondaires possibles des candidats-vaccins contre la Covid-19 ?
Parmi les effets secondaires des vaccins à ARN messager, les plus avancés de Moderna et Biontech/Pfizer figurent la fatigue, les maux de tête, les douleurs musculaires, les frissons et les douleurs passagères au site d'injection. « Cela montre que ces vaccins ne sont pas aussi bien tolérés que certains de nos vaccins classiques contre la grippe ou le tétanos, par exemple », a déclaré Carlos Guzmán. Cependant, les avantages l'emportent sur les dangers dans les groupes à risque élevé de complications liées à la Covid-19.
Les effets secondaires très rares, qui surviennent par exemple chez une personne sur dix mille, une sur cent mille ou une sur un million de personnes vaccinées, ne seront connus que lorsque le vaccin en question aura été autorisé. C’est également vrai pour tous les autres vaccins. « En général, la plupart des effets secondaires surviennent dans les deux à trois mois suivant la dernière dose de vaccin », explique Carlos Guzmán.
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Avec le vaccin Pandemrix de GlaxoSmithKline, qui a été autorisé lors de la pandémie de grippe porcine de 2009, le nombre de cas de paralysie faciale chez les adultes ou de narcolepsie chez les enfants a augmenté dans certains pays quelques mois après son autorisation et la vaccination de millions de personnes dans le monde. Deux équipes de recherche de Finlande ont fourni des preuves d'un rapport avec le vaccin Pandemrix. Un lien de causalité définitif n’a toutefois pas pu être établi. Le vaccin a donc continué à être administré. Après cette pandémie dont le déroulement a été moins grave que prévu, Pandemrix (et d'autres vaccins contre la grippe porcine sans effets secondaires possibles) a été retiré du marché. Le British Medical Journal a révélé beaucoup plus tard que la société pharmaceutique GSK (fabricant de Pandemrix) était déjà très tôt en possession de données démontrant une multiplication des effets secondaires et même des cas de décès par rapport aux autres vaccins contre la grippe porcine, mais qu’elle les avait ignorées à l'époque. Ces rapports n'ont pu être révélés que par des procédures judiciaires.
Dans le cadre de la pandémie actuelle de coronavirus, la communication de l'industrie pharmaceutique semble toutefois plus transparente jusqu'à présent. À titre d’exemple, l’interruption des essais menés dans le cadre du vaccin contre la Covid-19 d'AstraZeneca/Oxford University en raison d'éventuels effets secondaires graves a été annoncée publiquement. Dans les deux cas, cependant, une relation de cause à effet avec le vaccin n'a pas pu être établie. C’est pourquoi l'étude a à chaque fois pu être poursuivie.
Un peu de chance et une nouvelle technologie de vaccins
Le développement rapide des vaccins contre la Covid-19 relève aussi dans une certaine mesure d’un coup de chance. En effet, tous les virus ne peuvent pas être combattus par un vaccin. Le VIH, qui provoque le sida, en est un bon – ou plutôt un mauvais – exemple. Ici, les chercheurs s'emploient depuis des décennies à mettre au point un vaccin, mais en vain – d’un côté, parce que le VIH mute rapidement et, de l’autre, parce que les chercheurs n'ont pas encore réussi à amener le système immunitaire à fabriquer des anticorps neutralisants contre le virus.
Ce n'est toutefois pas une coïncidence que les vaccins contre la Covid-19 s’accompagnent d’une nouvelle technologie de vaccins. La technologie de l'ARN messager fait l'objet de recherches depuis longtemps, par exemple dans le cadre de la mise au point d’un vaccin contre le cancer. Mais jusqu'à présent, les chercheurs ont préféré s’appuyer sur des technologies établies, comme les vaccins à base de protéines ou d’agents pathogènes inactivés. Alors que la mise au point de ces derniers est très longue, une molécule d'ARN messager peut être fabriquée en quelques jours. Pour les candidats-vaccins développés jusqu’à présent, cet avantage de la rapidité ne l'emportait pas sur la fiabilité des technologies éprouvées et jouait donc un rôle moindre. Ce n'est que maintenant, avec la pandémie mondiale qui fait de nombreuses victimes, que l'avantage entre en jeu, car il faut aller vite.
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Un vaccin à ARN messager contient des segments de l'ARN messager (ARNm en abrégé) du SARS-CoV-2, c’est-à-dire du matériel génétique du nouveau coronavirus. Ces extraits d’ARN messager sont enveloppés dans une minuscule nanocapsule de lipides, qui est ensuite injectée chez l’individu sous la forme d’un vaccin. Ces nanocapsules de lipides peuvent être absorbées par les cellules humaines, de sorte que les fragments d'ARN messager du SARS-CoV-2 entrent dans la cellule.
Les cellules humaines (et celles d'autres espèces) contiennent également de l'ARN messager. Ce sont des « traductions » de gènes, c'est-à-dire des parties de notre ADN. À l'aide de cet ARN messager, nos cellules produisent certaines protéines qui sont nécessaires au fonctionnement de l'organisme.
Or, nos cellules sont plutôt « stupides » : elles ne peuvent pas faire la distinction entre leur propre ARN messager et un ARN messager étranger. À l'aide du fragment d'ARN messager du vaccin, elles fabriquent donc une protéine présente à la surface du virus.
Qu'advient-il des protéines du SARS-CoV-2 que nos cellules ont fabriquées ? Nos cellules ne peuvent pas reconstituer un virus entier. Ainsi, une personne vaccinée ne peut pas contracter la Covid-19 après avoir été vaccinée. Mais notre système immunitaire reconnaît la protéine présente à la surface du virus et génère une réponse immunitaire contre cette protéine. Il fabrique donc des anticorps et des lymphocytes T dirigés contre le SARS-CoV-2. Si, par la suite, la personne vaccinée entre en contact avec le vrai virus complet du SARS-COV-2, son système immunitaire le reconnaît immédiatement et le combat avant qu’elle ne puisse développer une forme grave de la maladie.
L'ARN messager du vaccin est ensuite détruit, comme notre propre ARNm. L’ARN messager peut donc être assimilé à un message Snapchat. Il n’est que temporaire. Il n'est pas incorporé dans l'ADN humain et n'a aucune influence sur notre matériel génétique, ni dans les cellules somatiques ni dans les cellules de la lignée germinale (c'est-à-dire les ovules ou les spermatozoïdes).
Mais même si le vaccin a été développé très rapidement, une chose que nous ignorons, c'est la durée de la protection immunitaire. D’après les données disponibles, elle sera certainement de plusieurs mois. Et il ne fait pas de doute que les vaccins les plus avancés protègent contre la Covid-19. Mais la question de la durée de protection apportée par les vaccins contre la Covid-19 et celle de savoir si ces derniers doivent être renouvelés à intervalles réguliers doivent encore être élucidées dans les mois et les années à venir. L'observation de la réaction du système immunitaire humain – voilà un processus pour lequel il n'existe pas de raccourci.
Auteurs : Cornelia Eisenach (Scitec-Media), Michèle Weber (FNR), Jean-Paul Bertemes (FNR)