© Uwe Hentschel
Pendant que la participante découvre son nouvel environnement, la température augmente rapidement. L’étudiante ne s’en rend guère compte, car elle est littéralement plongée dans un autre monde. Lunettes de réalité virtuelle sur le nez, elle explore l’univers sous-marin du jeu informatique Subnautica. La thermode sur son mollet gauche augmente de plus en plus. 45 degrés, 46, 47, 48... . Jusqu’au moment où elle s’en rend compte. Avec son pied droit, elle appuie sur une pédale et en quelques secondes, la température de la thermode redescend à un niveau agréable de 32 degrés. En conditions normales, le sujet aurait probablement ressenti la hausse de température et réagi plus tôt. Mais notre étudiante était distraite.
Les distractions peuvent aider à mieux supporter les situations désagréables. Plus la distraction est prenante, plus l’effet semble être prononcé. C’est la raison pour laquelle un groupe de chercheurs de Seattle utilise de manière ciblée la réalité virtuelle pour les patients présentant des cicatrices de brûlures étendues. Le but est de détourner un peu l’attention des douleurs extrêmes qui surviennent lors du traitement régulier des zones cutanées affectées. Grâce à la réalité virtuelle, les patients sont transportés dans un monde de glace et de neige. Cela rend le traitement plus supportable.
Testé dans trois conditions différentes
Pour Elisabeth Holl, psychologue des médias, et Katharina Rischer, spécialiste de la douleur, ce projet de recherche américain a été le point de départ de leur étude. Avec deux autres collègues de l’Université du Luxembourg, elles se sont posé la question de savoir si l’utilisation de la réalité virtuelle pouvait influencer la tolérance à la douleur et dans quelle mesure une différenciation était possible. « Nous voulions savoir si un environnement virtuel un peu plus difficile ou compliqué pouvait renforcer cet effet » explique E. Holl.
Les participants à l’étude ont donc été équipés de lunettes de réalité virtuelle et d’une thermode de plus en plus chaude sur le mollet, et ils ont également été confrontés à trois situations différentes. Dans l’une des conditions, ils étaient simplement assis et observaient une surface d’eau virtuelle – une situation qui favorise généralement la détente. Dans les deux autres conditions de réalité virtuelle, les participants étaient sous l’eau et devaient soit plonger dans l’eau, soit suivre le même parcours et, en plus, mémoriser des chiffres qui apparaissaient sur des petites bouées dans l’eau.
Tout dépend du cadre et de l’utilisateur
« Au départ, nous pensions que les participants avaient un seuil de douleur plus élevé dans la plus exigeante des trois conditions » explique K. Rischer, spécialiste de la douleur. Cet effet a effectivement été constaté chez la moitié des personnes testées. « Lors d’analyses plus poussées, nous avons ensuite vu que des aspects tels que le stress ou l’anxiété avaient également une influence » explique-t-elle. En amont de l’étude, les participants ont dû remplir un questionnaire qui devait notamment permettre de mesurer leur état de stress. De plus, des données physiologiques telles que la conductivité cutanée et les battements cardiaques ont été recueillies au cours de l’étude. « Les personnes qui étaient plus susceptibles d’être stressées ont montré un seuil plus élevé dans la condition simple » explique K. Rischer. Elle suppose que cela est lié au fait que les personnes stressées peuvent mieux se détendre dans un cadre plutôt relaxant.
« Lors de notre test, nous avons accordé beaucoup d’importance à un cadre plutôt décontracté, afin que les participants n’ayant aucune expérience des jeux vidéo puissent gérer la situation facilement, explique E. Holl. « Dans le cas d’un jeu de tir avec beaucoup d’action ou d’un jeu de compétition complexe, le joueur est nettement plus sollicité. C’est pourquoi l’effet de distraction est encore plus important » déclare la psychologue des médias. Toutefois, les études menées sur les jeux vidéo montrent que cela dépend beaucoup de l’individu. « Quelqu’un qui n’a pas d’expérience des jeux vidéo peut se sentir dépassé par la situation et donc stressé, tandis qu’un joueur de sport électronique professionnel peut trouver l’expérience ennuyante et donc ressentir autant de douleur que sans lunettes de réalité virtuelle ».
101 personnes ont participé à l’étude, dont quelques-unes qui ont été dépassées par la situation virtuelle. « Nous avons par exemple dû l’interrompre pour quatre participants parce qu’ils souffraient de cinétose » précise K. Rischer. Il s’agit d’un état qui se caractérise par une discordance entre la perception visuelle et la sensation de mouvement au niveau du système vestibulaire. « C’est quelque chose qui arrive souvent, surtout chez les joueurs sans expérience » ajoute-t-elle.
Le TDAH pourrait atténuer l’effet
L’équipe de recherche interdisciplinaire aurait également souhaité étudier dans quelle mesure l’effet de distraction est atténué chez les personnes souffrant de TDAH. Il s’agissait de défendre la thèse suivante : ces personnes ont plus de mal à se concentrer exclusivement sur les tâches cognitives et davantage tendance à être influencées par l’augmentation de la température au niveau du mollet et à y prêter plus attention. Mais comme ce sont surtout des étudiants qui ont participé à l’étude, il n’y a pas eu de grande variation en ce qui concerne le TDAH, explique E. Holl.
« Sur cette question, il serait judicieux de réaliser une étude ciblée avec des sujets chez qui le TDAH a déjà été diagnostiqué ». Une telle étude serait intéressante de par le simple fait que les études sur le TDAH et les jeux vidéo sont très opposées, ajoute la chercheuse. « D’un côté, on pourrait s’attendre à ce que les enfants atteints de TDAH, en raison de leur durée d’attention réduite, profitent peut-être moins de l’effet de distraction et ressentent donc davantage la douleur. Mais de l’autre, des études montrent que les enfants atteints de TDAH sont très absorbés par les jeux vidéo et beaucoup plus concentrés sur cette activité qu’à l’école, par exemple ».
Auteur: Uwe Hentschel
Photo: Uwe Hentschel