Le rapport des chercheurs de la Task Force COVID-19 de Research Luxembourg du 19 juillet (Report: Controlling the second wave), qui comprend des simulations de l'évolution future du nombre de cas au Luxembourg, a fait parler de lui. Les chercheurs sont partis du principe que le nombre de cas allait augmenter en flèche. Heureusement, ce scénario ne s'est pas concrétisé. Au lieu d'augmenter de façon continue, le nombre de cas s'est stabilisé à environ 100 nouvelles infections par jour (valeur moyenne sur sept jours). Les simulations des chercheurs étaient-elles donc erronées ? Et pourquoi ne se sont-elles pas vérifiées ?
En ce qui concerne la première question sur la pertinence des simulations, il convient de dire que les simulations ne peuvent pas être qualifiées de correctes ou erronées. Cela signifierait que l'on attend d'elles qu'elles prédisent l'avenir. La simulation serait correcte si ce qu'elle prédit se concrétise et fausse dans le cas contraire. Or, les simulations à long terme de l'épidémie ne prétendent pas prédire l'avenir avec précision. Paul Wilmes, porte-parole adjoint de la Task Force COVID-19 a expliqué : « Les simulations sont des approximations de ce qui pourrait se passer sur la base des données et des connaissances actuelles. Il s'agit d'un indicateur qui dépend de divers facteurs et hypothèses. » Raisonner en termes de « correct » ou « erroné » n'est pas pertinent ici. » Les simulations sont-elles donc inutiles ? Non, elles constituent un outil utile pour faire des estimations sur l'évolution possible en fonction des données disponibles. Cependant, il faut avoir conscience des avantages et des limites des simulations.
Concernant la deuxième question, celle de savoir pourquoi la situation s'est déroulée différemment, il convient de dire que les changements de comportement des personnes sont déterminants dans l'évolution de la pandémie, mais qu'ils sont difficiles à prévoir. Toutefois, il ne fait aucun doute qu'il y a eu des changements de comportement au Luxembourg. La cause en serait-elle le rapport ? Étant donné que les changements de comportement ne se répercutent dans les chiffres qu'avec un certain décalage, le rapport du 19 juillet n'est certainement pas à l'origine de l'inversion de tendance du nombre de cas qui s'est produite presque immédiatement après la parution du rapport. Des changements de comportement étaient donc déjà intervenus avant la publication du rapport. (Les chercheurs avaient toutefois déjà mis en garde contre une éventuelle deuxième vague dans un premier rapport le 2 juillet, puis lors d'une conférence de presse et ensuite le 15 juillet dans un autre rapport.) Que ce soit en raison du rapport, de la couverture médiatique ou de la hausse du nombre de cas évidente, il y a eu des changements dans le comportement de la population et ceux-ci se sont répercutés sur les chiffres – la tendance ne s'est pas poursuivie. Le scénario du rapport – qui prédisait ce qui allait se passer si la tendance se maintenait – ne s'est donc pas concrétisé.
La mise en garde était-elle justifiée ? Ulf Nehrbass, porte-parole de la Task Force COVID-19 a déclaré : « Les chercheurs ont bien entendu conscience qu'il peut y avoir plusieurs évolutions possibles de la pandémie. Il est important de connaître aussi le scénario le plus pessimiste pour que tout le monde puisse s'y préparer. »
Voici l'article portant sur le rapport sur science.lu :
Comme les simulations nous accompagneront beaucoup au cours des prochaines semaines et des prochains mois et que le débat public et médiatique sur les simulations est souvent très binaire) (« Avaient-ils raison ou tort ? », ce qui, nous l'avons vu, constitue un modèle d'évaluation inadéquat), nous souhaitons aborder ici quelques points importants. Jean-Paul Bertemes de science.lu s'est donc entretenu avec Alexander Skupin et Jorge Goncalves de l'équipe de simulation de la Task Force COVID-19.
Alexander Skupin, vous dirigez le groupe de simulation de la Task Force COVID-19. Quelle est votre stratégie en ce qui concerne l'élaboration et la publication de ces simulations ? Quels avantages les simulations présentent-elles ?
Alexander Skupin : Il est important de savoir que les simulations représentent notre comportement social. Nous intégrons une multitude de données sur les réseaux d'interaction sociale, leur comportement et leurs rapports, et cela par branche professionnelle et par catégorie d'âge. Les simulations ne sont donc pas si abstraites qu'on pourrait le penser. Elles enregistrent de façon mathématique notre comportement social/physique. Et la bonne nouvelle, c'est que lorsqu'une tendance potentiellement dangereuse se manifeste, nous pouvons influer sur la situation en adaptant notre comportement. Mais il nous faut l'identifier assez tôt. Et c'est à ce niveau qu'interviennent les modèles, parce que le virus est capable de se propager de façon exponentielle. Et la croissance exponentielle est difficile à détecter au début, car les chiffres sont faibles dans un premier temps, puis le nombre de nouveaux cas monte en flèche. Les modèles ont pour objectif de contribuer à contrecarrer la tendance à un stade précoce. Nos simulations visent donc à informer les responsables politiques afin qu'ils puissent prendre des contre-mesures suffisamment tôt et à sensibiliser la société. En effet, puisqu'il s'agit de notre comportement social, toute la société doit participer.
Dans la dernière simulation, la tendance indiquait une hausse exponentielle, mais le nombre de cas s'est désormais stabilisé. Comment l'expliquez-vous ?
Alexander Skupin : La simulation que nous avions publiée représentait la tendance de l'époque. Nous avions bien précisé dans le rapport que le nombre de cas était susceptible d'évoluer de cette manière si la tendance se poursuivait, c'est-à-dire en l'absence d'un changement de notre comportement. Cependant, il semble qu'il y ait bel et bien eu des changements de comportement dans la population. Cela s'est aussi fait ressentir par la participation accrue au test de dépistage à grande échelle.
Quels ont été les changements, Jorge Goncalves ?
Jorge Goncalves : D'une part, les gens étaient alarmés lorsque le nombre de nouveaux cas a explosé. Ensuite, les responsables politiques ont aussi pris des mesures restrictives. Et – même s'il y a moins de départs en vacances cet été que d'habitude – un nombre croissant de gens ont quitté le pays depuis la mi-juillet. En outre, notre système de test et de suivi des contacts fonctionne bien – peut-être mieux que nous l'avions envisagé dans le modèle, surtout au regard de l'augmentation du nombre de participants au test de dépistage à grande échelle à la suite de la hausse du nombre de cas. Enfin, il semble que nous soyons mieux à même de protéger les personnes âgées – l'âge moyen étant moins élevé aujourd'hui que lors de la première vague. Tout cela, ce sont de bonnes nouvelles. Nous incorporons / intégrons ces résultats dans notre modèle, car nous souhaitons le perfectionner en continu.
Quelle est la principale leçon à tirer de l'évolution de ces dernières semaines ?
Jorge Goncalves : Il se trouve que la deuxième vague est arrivée plus tôt qu'attendu. Et heureusement, la courbe s'est également aplatie plus rapidement que nous ne l'avions prévu. Nous pouvons en conclure que les changements de comportement de la population ont probablement eu un impact plus fort et plus rapide sur le développement de la pandémie que ce que nous avions supposé.
Heureusement, la situation s'est quelque peu calmée. Avec le recul, était-ce justifié de tirer la sonnette d'alarme à ce moment-là (le 19 juillet) ?
Alexander Skupin : Absolument. Au moment où nous avons publié le rapport, la tendance indiquait clairement une hausse exponentielle. Et cela, depuis deux ou trois semaines déjà. Nous avions déjà mis en garde contre une hausse exponentielle plus tôt, mais le nombre de cas était encore plus faible et la situation était donc encore mieux maîtrisée. Mais lorsque le nombre de cas a décuplé, nos clignotants sont passés au rouge. Nous avons simulé ce qui se passerait si cette tendance se poursuivait. Et c'était un scénario dangereux. C'est pourquoi nous avons souhaité mettre en garde le public et l'appeler à opérer un changement de comportement. Les responsables politiques ont réagi en conséquence. Et la population a bien reçu le message – même si elle avait probablement déjà adapté son comportement avant notre simulation, simplement en raison du nombre élevé de cas d'infection.
Quelles sont les limites des simulations ?
Jorge Goncalves : Notre simulation nous permet de projeter la tendance actuelle sur les quelques jours à venir, mais nous ne sommes pas en mesure de prédire les changements de comportement soudains des citoyens. Les simulations ne nous révèlent donc pas avec certitude ce qui se passera à l'avenir. Elles indiquent simplement ce qui se passera très probablement dans les jours suivants si la tendance des jours précédents se poursuit. C'est une différence importante. Il est également essentiel de savoir que les événements stochastiques, c'est-à-dire les petits événements imprévisibles, peuvent parfois avoir un grand impact. Notre modèle en tient également compte. En effet, dans nos modèles, nous indiquons un intervalle de confiance, c'est-à-dire une fourchette dans laquelle les événements futurs ont de fortes chances de se produire. Selon la clarté de la tendance, cet intervalle de confiance est plus ou moins grand. Si l'intervalle de confiance est grand, cela nous indique que nous sommes à un point où la situation peut évoluer dans de nombreuses directions. Si la tendance est plus claire, cet intervalle de confiance est plus petit, et il est donc plus facile de prévoir ce qui va se passer.
Si l'intervalle de confiance est très grand, les simulations sont-elles pertinentes ?
Alexander Skupin : Oui, il s'agit également d'une information importante. Dans ce cas, nous sommes dans une situation où aucune tendance claire ne se dégage.
Les simulations sont difficiles à expliquer. Surtout quand les choses se déroulent autrement qu'attendu. Envisagez-vous d'expliquer les simulations différemment à l'avenir ?
Alexander Skupin : Oui, nous souhaitons ne plus nous limiter à une seule simulation avec un intervalle de confiance et un scénario intermédiaire. Cela donne peut-être trop l'impression que nous partons du principe que ce scénario intermédiaire se produira exactement de cette manière. Nous présenterons à l'avenir, trois scénarios, un scénario pessimiste (zone supérieure de l'intervalle de confiance), un scénario intermédiaire et un scénario optimiste (zone inférieure de l'intervalle de confiance). Cette démarche nous permettra de montrer que nous ne partons pas du principe que cette situation surviendra, mais qu'il y a plusieurs scénarios possibles.
Jorge Goncalves : Il est aussi important que nous expliquions encore mieux les différences entre les modèles. Nous avons, d'une part, les modèles pour le court terme. Ceux-ci montrent le développement des prochains jours avec une probabilité relativement élevée. Plus les projections concernent un avenir plus lointain, plus l'incertitude est grande. Mais nous élaborons également, d'autre part, des modèles pour le long terme. Leur objectif n'est pas réellement de dire qu'au jour X, il y a de très fortes chances qu'un nombre de cas Y survienne. Nous savons qu'il est très difficile de faire des estimations précises à long terme. Mais ces modèles sont très utiles pour simuler les effets de certaines mesures. Cela signifie que nous partons d'un scénario de base et que nous calculons ensuite l'effet par rapport à ce scénario, par exemple lorsqu'on augmente les capacités de recherche des contacts, que l'on divise ou non les élèves en groupes A et B ou qu’on limite le nombre d'invités à une fête privée à 10 ou 20 personnes. Ces modèles à long terme sont donc importants pour identifier des relations. Les chiffres absolus ne sont toutefois pas essentiels ici. Nous souhaitons représenter cela différemment à l'avenir.
Alexander Skupin : Ces simulations sont principalement élaborées pour informer les responsables politiques et les fonctionnaires dans les ministères. Nous pouvons leur expliquer tout cela en détail. Pour le public, il s'avère un peu plus difficile de comprendre les simulations sans toutes ces explications. Nous tâcherons donc d'expliquer nos simulations d'une manière plus compacte et plus simple au public à l'avenir. Donc, ce qu'elles montrent spécifiquement et ce qu'elles n'indiquent pas.
Selon vous, comment la pandémie évoluera-t-elle à long terme ?
Alexander Skupin : Il est relativement probable que la courbe continuera de connaître des mouvements ascendants et descendants successifs, jusqu'à ce qu'un vaccin soit disponible pour tout le monde. Mais nous ne pouvons pas modéliser ces pics et ces creux aussi longtemps à l'avance. Nous pouvons uniquement essayer d'identifier à relativement court terme quand la courbe suivra un mouvement ascendant et quand elle fléchira, ou quand une tendance stable s'installera.
Et quelle est la tendance actuelle ?
Jorge Goncalves : Actuellement, nous évoluons vers une tendance linéaire. C'est-à-dire que les chiffres se sont stabilisés. Le taux de reproduction Reff l'atteste également. Il se situe actuellement autour de 1. Cela signifie qu'une personne infectée contamine en moyenne une autre personne. Cependant, de la mi-juin jusqu'à récemment, ce taux se situait encore au-dessus de 1, ce qui signifie que le nombre de nouvelles infections a augmenté pendant cette période. L'objectif est de ramener le taux de reproduction en dessous de 1 et donc de freiner à nouveau la propagation du virus.
Le nombre de cas demeure toutefois élevé. Nous assistons actuellement à une dynamique de croissance linéaire d'environ 100 nouveaux cas par jour. Si cette tendance se poursuit, nous compterons quelque 8 000 cas à la fin du mois d'août, soit presque le double du nombre de cas recensés à l'issue de la première vague. Cent cas par jour, c'est beaucoup. Nous atteignons la limite de nos capacités de recherche de contacts. Savoir que même les petits changements peuvent avoir de grands effets nous montre que nous devons rester vigilants. Il convient donc de continuer à suivre de près la situation actuelle.
De façon générale, il est difficile d'évaluer la tendance actuelle, car nous ne connaissons pas l'effet des vacances à l'étranger. Moins il y a de gens au Luxembourg, moins il est probable que nous enregistrions un grand nombre de cas. D'autre part, il y a un risque que les gens se contaminent en vacances parce qu'ils sont plus négligents sur place, et qu'ils importent de nouveaux cas d'infection au Luxembourg. D'un point de vue des simulations, cette période estivale est associée à de grandes incertitudes pour nous.
Vous attendez-vous à une troisième vague à l'automne ?
Alexander Skupin : Il est encore trop tôt pour réaliser des simulations. Mais il y a un risque que le nombre de cas augmente si les gens importent de nouveaux cas d'infection à leur retour de vacances. À l'automne et en hiver, la situation est aggravée par le fait que nous passons davantage de temps à l'intérieur, ce qui facilite la propagation du virus. En outre, les cas de maladie liés à des refroidissements et à la grippe augmentent, ce qui fait peser une charge supplémentaire sur notre système de santé. Et c'est de cela qu'il s'agit, après tout, de ne pas saturer notre système de santé.
Ce ne sont pas là des perspectives très optimistes...
Alexander Skupin : Il est clair que nous devons garder à l'esprit que ce virus est toujours là. Nous n'allons pas nous en débarrasser, du moins pas de si tôt. Et la situation ne se détendra réellement qu'une fois qu'un médicament ou un vaccin efficace sera disponible et validé à grande échelle. D'ici là, nous allons devoir nous adapter en permanence à la situation du moment et, le cas échéant, suspendre à plusieurs reprises nos interactions physiques à court ou moyen terme. Mais je ne suis pas pessimiste. Nous nous trouvons actuellement à un moment critique, mais nous avons réussi à endiguer la première vague. Nous avons les moyens de prendre des mesures proactives contre les chaînes d'infection. Nous sommes les premiers en Europe en termes de tests et de traçage, tant que les gens coopèrent. Nous avons également réussi à aplatir la courbe pendant cette deuxième vague, du moins pour le moment. Nous avons beaucoup appris et nous savons de mieux en mieux ce que nous devons faire pour maîtriser le virus.
Alexander Skupin, Jorge Goncalves, un tout grand merci pour cette entrevue !
Auteur : Jean-Paul Bertemes (FNR)