(C) Alain Rischard/Editpress
Pour la majorité des Luxembourgeois, le « multikulti » est une bonne chose – du moins en principe. Dans la pratique, en effet, certains font preuve de plus réticence, comme l’a démontré une étude menée par Elke Murdoch de l’uni.lu.
Elle explique qu’avec 47 % de résidents étrangers, le Luxembourg était pour ainsi dire prédestiné à faire l’objet d’une étude de cas sur le multiculturalisme. Que signifie cette diversité culturelle au quotidien? Quelles sont les conséquences concrètes pour la population autochtone, devenue parfois une minorité elle-même ? D’autres pays pourront ainsi profiter des connaissances tirées de l’étude du cas luxembourgeois.
Le multiculturalisme : en principe oui, mais…
La théorie est une chose, la pratique en est une autre : l’attitude des citoyens par rapport à l’ouverture de leur propre société constitue, pour Elke Murdoch, l’exemple classique d’un concept élégamment appelé « principle implementation gap » par les Anglo-saxons, le gouffre entre un principe et sa mise en œuvre. C’est du moins l’un des résultats auxquels la psychologue (voir encadré) est parvenue dans le cadre de recherches sur le multiculturalisme au Luxembourg basées essentiellement sur des sondages. En principe, notre pays conçoit la diversité culturelle comme très enrichissante. Et pourtant, quand on cherche à définir plus clairement ce que cela signifie dans la pratique et que l’on va vraiment dans le fond des choses, il s’avère que certains sont plus sceptiques que ne le laissait présager cet a priori positif.
Des enseignants ou des policiers non luxembourgeois, voilà qui en fait sourciller certains
Rentrons justement dans le vif du sujet : qu’en est-il des professions généralement exercées par des citoyens luxembourgeois ? Certains sont d’avis que des enseignants ou des policiers venus d’ailleurs, ce n’est quand même pas l’idéal. Elke Murdoch analyse les choses ainsi : « Quand on parle concrètement du vivre-ensemble, cette profession de foi en faveur de la diversité dans notre société perd un peu en vigueur. On se rend compte qu’en principe, beaucoup sont en faveur du multiculturalisme, donc du fait que leur société s’ouvre à d’autres horizons, mais qu’ils sont plus hésitants quand il s’agit de formes concrètes de coexistence des différentes cultures. »
Se concentrer plutôt sur nos points communs
Selon Elke Murdoch, la raison de cette ambivalence réside dans le fait que nous avons plutôt tendance à souligner nos différences : « Souvent, nous célébrons la diversité en tant que valeur, ce qui est positif en soi, d’ailleurs. Mais ce faisant, nous accordons plus d’importance à ce qui nous sépare qu’à ce qui nous rapproche, alors qu’aujourd’hui, il est plus sensé de faire l’inverse. » Cela permettrait aussi d’accepter plus facilement les étrangers en tant que concitoyens dotés des mêmes droits et devoirs dans notre société et de rendre leur intégration plus aisée. Ce qui est décisif, ici, c’est aussi le concept de réciprocité : pour réussir l’intégration, les efforts ne peuvent être à sens unique, et les attentes doivent être claires des deux côtés.
L’idée que nous nous faisons de la nationalité influence notre attitude face au multiculturalisme
La définition que chacun d’entre nous donne, parfois sans en être conscient, à la citoyenneté ainsi qu’à la manière dont celle-ci doit être acquise joue également un rôle dans l’appréciation du multiculturalisme dans la société, comme l’explique la chercheuse : « Celui qui est convaincu que la nationalité est déterminée uniquement par la naissance et n’est pas vouée à changer au cours de la vie fait généralement preuve de scepticisme quant à des concepts construits sur l’idée d’ouverture et de développement dynamique de l’être humain comme de la société. »
Un phénomène mondial : les sociétés s’ouvrent, le discours national gagne du terrain
Redonner à la société l’envie d’être multiculturelle et de comprendre la diversité comme ressource est, pour Elke Murdoch, l’un des plus grands défis de notre époque. Pas seulement au Luxembourg, d’ailleurs : « Dans le monde entier, les sociétés s’internationalisent. Nous vivons dans un monde connecté, complexe, et nous observons en parallèle le discours national se répandre comme une traînée de poudre parmi les habitants de nombreux pays, instrumentalisant volontiers les événements historiques. Cela crée des tensions pouvant mener à une véritable fracture sociale. » C’est justement contre ce phénomène que la chercheuse entend lutter à l’aide de cette étude financée par le FNR.
Auteur: Sven Hauser
Photo: Alain Rischard/Editpress
Infobox
La diversité est à tout point de vue le cheval de bataille d’Elke Murdoch. Loin d’avoir une approche purement théorique de la question, la chercheuse a travaillé pendant une vingtaine d’années dans le secteur de la finance après la fin de ses études de psychologie. Elle s’est notamment occupée de joint ventures, qui constituent une autre forme d’intégration. En 2010, elle décide de retourner au monde académique et passe une thèse de doctorat (« Attitude towards multiculturalism in the Luxembourg context ») soutenue par le FNR. Depuis, elle se consacre entièrement à la recherche dans ce domaine.