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Au cours des deux derniers hivers, l’inquiétude était grande quant au nombre d’infections respiratoires, dont font partie les rhumes.
Mais est-ce que ce nombre était vraiment plus élevé ? Ce sentiment se laisse-t-il confirmer par des données scientifiques ? Et de quelles périodes parlons-nous ? Une comparaison avant/après la pandémie est-elle possible ?
Nous avons parlé avec Joël Mossong, Epidémiologiste à la Direction de la Santé du Luxembourg, sur les données disponibles au Luxembourg ainsi que sur des données internationales.
Joël Mossong, Épidémiologiste
Nous résumons dans le paragraphe suivant les grands points pour ceux qui ont peu de temps. Plus bas, vous trouverez plus de détails et d’explications sur les différentes infections respiratoires, les données disponibles et leurs interprétations possibles.
Résumé
Il n’est pas possible de répondre avec certitude si nous avons plus d’infections respiratoires après la pandémique qu’avant la pandémie, à cause de certaines limitations dans la collecte des données et des changements dans le dépistage. Néanmoins, on peut faire les constats suivants sur base des données disponibles, et selon Joël Mossong :
L’essentiel des connaissances scientifiques sur les infections respiratoires depuis la pandémie :
- Il semble bien y avoir eu une recrudescence de certaines infections respiratoires ces deux derniers hivers partout dans le monde - et aussi au Luxembourg - par rapport aux deux années de pandémie, dont la raison principale est la levée des restrictions sanitaires.
- Pour les infections respiratoires causées par des bactéries, il semblerait qu’il y ait une recrudescence des infections aux mycoplasmes et de la coqueluche durant l’hiver 2023/2024. Ces deux types de bactéries circulent de manière cyclique avec des pics tous les 3 à 7 ans.
- Bien que l’activité des virus influenza est retournée après la pandémie, les cas de grippe reportés en Europe restent en moyenne en-dessous des chiffres des années pré-pandémiques.
- Après une recrudescence en hiver 2022/2023, le nombre d’hospitalisations d’enfants avec une bronchiolite causée par le virus virus respiratoire syncytial (VRS) a chuté au Luxembourg en 2023/2024 (il faut noter que les bébés sont vaccinés après la naissance depuis 2023).
- Le COVID-19 est devenu une infection respiratoire supplémentaire, le virus SARS-CoV-2 étant capable de réinfecter les individus.
- L’impact du SARS-CoV-2 sur le système immunitaire n’est pas encore totalement élucidé.
- Les mesures sanitaires en 2020 et 2021 pourraient avoir créé une « dette immunitaire » (explications plus bas), ce qui nous rendrait plus susceptible aux infections, surtout chez les enfants qui sont nés peu avant ou pendant la pandémie.
- La santé psychique (affectée par la pandémie) et la perturbation du microbiome à la suite d’une infection au SARS-CoV-2 sont étudiées en tant que facteurs susceptibles d’influencer la recrudescence d’infections respiratoires.
- Les mesures utiles pour se protéger des rhumes restent valables : lavage de mains, bonne ventilation des pièces de vie et des espaces publics.
- La meilleure façon de protéger les personnes à risque d’une infection grave au SARS-CoV-2, au virus de la grippe ou au virus respiratoire syncytial (le VRS, responsable de la bronchiolite) est l’immunisation.
Depuis la rentrée 2024, les futurs parents ont le choix de la méthode de prévention pour l’immunisation contre le VRS: soit par la vaccination maternelle avant la naissance du bébé, ou par l’immunisation passive juste après la naissance de celui.
Les limitations qui ne permettent pas de répondre de façon certaine si oui ou non nous sommes plus malades qu’avant la pandémie :
- Tout d’abord, il convient de rappeler que pour connaître l’évolution épidémiologique (à l’échelle des populations et dans le temps) d’une maladie quelconque, il faut attendre d’avoir recueilli un nombre suffisant de données sur plusieurs années d’affilée.
- La liste des agents pathogènes pouvant provoquer une infection respiratoire aigüe (ou les rhumes) est longue et il n’est pas évident d’identifier le pathogène précis sur la base des symptômes d’un patient. Beaucoup de ces différents types de virus respiratoires provoquent des symptômes cliniques très proches.
- La plupart de ces agents pathogènes ne sont ni testés, ni reportés par le système de soins car on guérit spontanément de la majorité de ces infections, le plus souvent sans intervention médicale (sauf des médicaments qui soulagent les symptômes comme p .ex. le paracétamol). Des données épidémiologiques précises sur le « rhume » en général sont donc difficiles à compiler.
- Durant la pandémie, le nombre de consultations de médecine générale a sensiblement baissé dans la plupart des pays européens ; après la levée de l’état d’urgence sanitaire, en revanche, les systèmes de surveillance des virus saisonniers mis en place durant la pandémie ont favorisé le testage à grande échelle de plusieurs pathogènes auparavant moins monitorés.
- Il y a donc un biais dans la collecte des données sur les infections respiratoires : comme l’on teste beaucoup plus maintenant qu’avant la pandémie, on obtient plus de résultats positifs. Une comparaison juste avant/après la pandémie n’est donc pas possible.
- Grâce à l’analyse des eaux usées, le Luxembourg obtient également des chiffres pour la présence de certains virus dans la population (virus de la grippe (Influenza), le VRS, le SARS-CoV-2) depuis le début de la pandémie. Malheureusement, ces analyses n’ont pas été effectuées de façon aussi systématique avant la pandémie ; encore une fois, une comparaison avant/après n’est pas faisable.
- Certaines infections ont des évolutions cycliques sur plusieurs années : c’est le cas pour les pneumonies causées par la bactérie Mycoplasma pneumoniae et pour la coqueluche. Cela ne veut pas dire qu’une recrudescence sur plusieurs hivers d’affilée soit un phénomène anormal.
- Et enfin, les chiffres peuvent varier grandement d’un pays à l’autre, ce qui est d’autant plus vérifiable à la suite des mesures sanitaires prises par les pays durant la pandémie, et dont l’impact sur les virus hivernaux est bien documenté et varie selon l’ampleur des mesures.
Une grande diversité de « rhumes » : le rhume, qu’est-ce que c’est ?
Il existe différents types d’infections respiratoires aigües et ils affectent aussi bien les voies aériennes supérieures (nez, gorge) que les inférieures (bronches, poumons). Ces infections, que l’on appelle communément « rhume » sont principalement causées par plus de 200 virus différents.
L’infection respiratoire la plus courante est le rhume classique, ou la rhinopharyngite, une infection bénigne des voies respiratoires supérieures (nez, sinus, gorge). La rhinopharyngite est causée notamment par des adéno- et rhinovirus ainsi que des coronavirus (dont le SARS-CoV-2).
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Le rhume commun, aussi appelé rhinopharyngite, est une infection du nez et de la gorge par un virus. Les symptômes les plus courants sont le mal de gorge, l’écoulement nasal, la toux, la fatigue et la fièvre. C’est une maladie spontanément résolutive, qui ne nécessite dans la grande majorité des cas aucun contact médical.
Le traitement reste le plus souvent symptomatique : repos, lavages de nez pour décongestionner les muqueuses et éviter la sinusite, antalgiques contre la douleur, antipyrétiques contre la fièvre… La durée, avec ou sans traitement, varie d’une à trois semaines en fonction de l’agent pathogène et des capacités immunitaires de la personne malade.
Comme les rhinopharyngites sont principalement causées par un virus, il ne faut pas le traiter avec un antibiotique, qui n’est pas un médicament anti-viral.
Les antibiotiques ont désormais une indication très restreinte pour éviter le mésusage et l’émergence de bactéries multirésistantes.
Bien qu’une rhinopharyngite soit principalement causée par un virus, il est possible qu’un rhume viral se complique et entraîne une surinfection bactérienne. Cela se produit lorsque les muqueuses fragilisées par le virus sont colonisées par des bactéries, ce qui peut prolonger les symptômes et les rendre plus sévères. Les signes d’une surinfection bactérienne peuvent inclure un écoulement nasal épaissi et la persistance des symptômes au-delà de la durée habituelle d’un rhume.
Toutefois, les antibiotiques ne sont recommandés que dans des cas bien précis : en cas d’infection bactérienne documentée (par exemple, un Streptotest positif, càd un prélèvement nasal qui identifie une infection par streptocoque A) ; une radiographie des poumons montrant une pneumopathie, càd une atteinte des poumons évocatrice d’infection bactérienne ; et enfin, l’état général du patient après un examen médical complet.
En prévention, des mesures simples telles que le lavage de mains, le port de masque surtout en cas d’infection et une ventilation adéquate des pièces de vie et des lieux publics sont efficaces pour freiner la propagation des maladies infectieuses.
Concernant d'autres infections respiratoires telles que la grippe, la bronchiolite et la COVID-19, ainsi que certaines infections respiratoires causées par des bactéries tel que la coqueluche, la vaccination reste le meilleur moyen de protéger les personnes vulnérables.
La rhinopharyngite est à différencier de la grippe, ou influenza, une maladie infectieuse hautement contagieuse causée par les virus Influenza.
La rhinopharyngite est également à différencier de :
- La bronchite aïgue (une infection ou inflammation des bronches), causée le plus souvent par des rhinovirus, des coronavirus et les virus de la grippe,
- La bronchiolite (qui atteint surtout les nourrissons), causée par le virus respiratoire syncytial (VRS),
- La pneumonie (une atteinte plus grave des voies respiratoires inférieures, dont font partie les poumons).
Certaines infections respiratoires aiguës comme des angines ou des pneumonies peuvent également être provoqués par des bactéries telles que les mycoplasmes, streptocoques ou pneumocoques.
Attrapons-nous dans le monde vraiment plus d’infections respiratoires depuis la pandémie par rapport à l’époque pré-pandémique ?
« Non pour les rhinopharyngites, oui pour certaines bactéries, oui pour les jeunes enfants (nés peu avant ou pendant la pandémie). En 2022 par exemple, l’augmentation de cas du Virus Respiratoire Syncitial (VRS), responsable de la bronchiolite, en a fait une année grave sur le plan de la santé chez les tout-petits dans de nombreux pays en Europe et ailleurs. »
Joël Mossong, Épidémiologiste
Il n’est toutefois pas possible de faire une comparaison directe entre les statistiques obtenues AVANT la pandémie et APRÈS la pandémie, pour différentes raisons, entre autres :
- Les programmes de surveillance ont évolué depuis la pandémie
- Plus de tests ont été effectués à la suite de la pandémie
« Des systèmes Sentinelle ont été mis en place partout en Europe. Leur rôle est la surveillance syndromique (NDLR : la collecte et l’analyse de données aux fins de détection des foyers de maladie). La surveillance syndromique est pratiquée depuis de nombreuses années au Luxembourg, mais les données ont été biaisées durant la pandémie car les patients allaient beaucoup moins consulter leur médecin traitant. »
Joël Mossong, Épidémiologiste
Selon Joël Mossong, les scientifiques nécessitent également plus de recul afin d’évaluer l’évolution future de la COVID-19. En revanche, les taux d’infection des pathogènes tels que les virus Influenza, le VRS et les virus responsables de la rhinopharyngite bénigne de l’adulte sont revenus à des niveaux pré-pandémiques dans l’hémisphère Nord, avec une évolution saisonnière classique.
Quelles données sur les infections respiratoires ont été recueillies mondialement depuis la pandémie ?
Voici quelques constats de l’OMS et de trois grands pays européens, tirés des rapports nationaux de surveillance des maladies respiratoires saisonnières.
Selon le rapport de l’OMS de décembre 2023 , les maladies respiratoires infectieuses ont connu une forte progression dans toute la région européenne durant la saison hivernale 2023-2024 par rapport à la saison estivale 2023. Les jeunes enfants sont particulièrement touchés, ainsi que les séniors et les personnes souffrant déjà d’autres maladies. Cependant, l’OMS précise que cette augmentation saisonnière est un phénomène connu, et que « les données recueillies jusqu’à présent ne révèlent rien de particulièrement alarmant ou de différent par rapport aux années prépandémiques en ce qui concerne ces agents pathogènes ou la gravité de la maladie qu’ils provoquent chez les enfants ».
En revanche, plusieurs pays européens ont signalé une augmentation des infections et des hospitalisations liées à Mycoplasma pneumoniae durant l’hiver 2023-2024 par rapport aux saisons hivernales précédentes ; en France et dans d’autres pays européens, les niveaux atteints étaient même supérieurs aux années pré-pandémiques. Mycoplasma pneumoniae est une bactérie commune à l’origine de la pneumonie de l’enfant contractée dans la population générale. Sa circulation se fait par vagues, avec des pics d'infections survenant tous les 3 à 7 ans.
Selon L’ECDC (Centre européen de prévention et de contrôle des maladies), l'activité du virus de la grippe (Influenza A/B ) durant la saison 2022/2023 est revenue à des niveaux presque prépandémiques dans les pays de l'UE/EEE : cela signifie qu’il y a bien eu une baisse pendant la pandémie, mais pas d’augmentation anormale ensuite. Le taux de positivité reporté est en moyenne plus bas qu’avant la pandémie, même avec plus de tests effectués depuis la pandémie.
Image 1 : Proportion hebdomadaire d’échantillons positifs pour Influenza par saison et par semaine dans l’UE/UEE, de 2014/15 à 2023/24. Source: ECDC
Selon le rapport du Robert Koch Institut pour la saison 2023/2024, l'incidence des infections respiratoires due au VRS en Allemagne a été pendant quelques semaines supérieure à celle des années prépandémiques à la même période. Mais à partir de la semaine 50, elle est redevenue comparable à la valeur de l'année précédente. Une comparaison aux années pré-pandémiques n’est là encore pas faisable, pour les raisons mentionnées plus haut.
Au Luxembourg, les rapports hebdomadaires REVILUX (REspiratory Viruses in LUXemburg, cf. Infobox) duLaboratoire National de Santé font également état d’une augmentation des infections respiratoires supérieures ces deux derniers hivers par rapport aux deux années précédentes, avec un retour à la normale durant les semaines estivales de 2024. Les autorités sanitaires ont également constaté un nombre plus élevé de consultations pour des infections des voies respiratoires supérieures (« influenza-like illness ») ces deux derniers hivers, souvent associées à une augmentation des infections virales saisonnières.
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La surveillance des maladies infectieuses respiratoires est réalisée par le département de microbiologie du Laboratoire national de santé (LNS), en collaboration avec la Direction de la Santé et un réseau de médecins-généralistes et de pédiatres sentinelles répartis dans tout le pays. Entre octobre et avril, chaque médecin/pédiatre communique une fois par semaine le nombre de patients ayant des symptômes d’infections respiratoires aiguës sur le nombre de patients total. Les médecins prescrivent également des prélèvements (nez/gorge) chez les patients ayant des symptômes similaires à la grippe afin de caractériser les agents pathogènes responsables.
Mis en place partout en Europe dès les années 80, les systèmes Sentinelle de surveillance des infections respiratoires ont pour but de suivre et comprendre l'évolution des maladies respiratoires, en particulier la grippe. Ils sont essentiels pour détecter précocement les épidémies et orienter les politiques de santé publique, en particulier pendant les périodes de circulation accrue des virus respiratoires. À l'échelle européenne, les systèmes sentinelle fonctionnent en coordination avec des réseaux de surveillance plus larges comme le European Centre for Disease Prevention and Control (ECDC). Au Luxembourg, le système est géré par le Centre Hospitalier de Luxembourg (CHL), en collaboration avec le Luxembourg Institute of Health (LIH) et d'autres acteurs de la santé publique. Depuis la pandémie de COVID-19, le réseau Sentinelle a dû s'adapter et évoluer pour répondre aux défis posés par la crise sanitaire mondiale.
Le graphique ci-dessous illustre la progression saisonnière et annuelle de telles infections respiratoires (Influenza-like Illness) au Luxembourg (ligne grise : 2020-2021 ; lignes noire, bleue et rouge : 2021 à 2024).
Image 2 : Pourcentage de patients avec « influenza-like illness » au cours des trois dernières saisons. Les couleurs de fond indiquen l'intensité de la circulation: niveau de base, faible, moyen, élevé, très élevé. Source: REVILUX.
Le graphique ci-dessous montre de façon plus précise l’évolution par pathogène des infections respiratoires au cours des années 2022-2024.
Image 3 : Distribution des virus respiratoires détectés au sein du réseau Sentinel par semaine. Source : REVILUX.
Au Luxembourg, on a également constaté une augmentation des cas d’infection avec la bactérie Mycoplasma pneumoniae et des cas de coqueluche durant l’hiver 2023/2024.
Image 4 : Nombre de patients avec un test PCR positif pour Mycoplasma pneumoniae (ligne noire) et taux de positivité (barres bleues) par mois. Source : REVILUX.
Et enfin, les estimations d’EuroMOMO sur la mortalité (toutes causes confondues) en Europe font état d’une longue période de surmortalité (2020 à 2023) qui s’est normalisée durant l’hiver 2023-2024. Selon Joël Mossong, « la surmortalité de la saison hivernale 2023-2024 est négligeable en Europe ».
Les données de 25 pays européens ont été incluses dans cette analyse. La mortalité est un indicateur fondamental de la santé, mais il n’est pas spécifique et ne renseigne pas sur les causes. Il est néanmoins essentiel dans le domaine de la santé publique car il fait fonction d’alerte.
Le graphique ci-dessous illustre les données de 25 pays européens qui ont été incluses dans l'analyse groupée de la surmortalité toutes causes confondues entre 2022 et 2024.
Image 5 : La courbe bleue montre les écarts de mortalité par rapport aux valeurs attendues (zone grise), mettant en évidence les périodes de surmortalité marquées, notamment en hiver, ainsi que les variations saisonnières. Source: EuroMOMO
Et ailleurs ? L’Europe n’est pas la seule à surveiller de près la recrudescence des infections respiratoires ces deux derniers hivers, par rapport aux années pandémiques et prépandémiques. En Chine, la situation est telle que L'OMS a adressé une demande officielle au gouvernement chinois fin 2023 pour obtenir des informations détaillées sur l'augmentation des maladies respiratoires et les cas de pneumonie, en particulier chez les enfants.
En revanche, « le taux d’infections liées à la grippe dans l’hémisphère Sud a été comparable à l’époque pré-pandémique durant toute la saison hivernale », selon Joël Mossong.
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Joël Mossong dit : « Concernant la COVID-19, il y a eu une vague d’infections inattendue cet été, qui a atteint un pic en Juillet, selon les données recueillies par les laboratoires, le réseau Sentinelle et les analyses d’eaux usées. Cependant, cette vague estivale était plus petite que les vagues hivernales, et n’a eu aucun impact sur les hospitalisations : cela est dû à la vaccination d’une part, à la perte de virulence de la souche actuelle d’autre part. »
Dr. Mossong insiste cependant sur le fait qu’il faut continuer à vacciner les personnes à risque ainsi que toute personne qui le souhaite contre le SARS-COV-2, d’autant plus que la vague hivernale a déjà commencé.
Joël Mossong ajoute : « La bonne nouvelle est qu’aucun variant actuel du SARS-COV-2 n’a été labellisé variant of concern (NDLR : variant présentant une virulence accrue ou un changement néfaste de la présentation clinique de la maladie, qui nécessite une surveillance étroite) pour le moment. »
Le vaccin a été modifié de façon à agir efficacement contre le dernier variant majoritairement présent, JN.1.
Comment expliquer cette recrudescence d’infections respiratoires saisonnières depuis la levée des restrictions sanitaires ?
Il y a plusieurs raisons possibles à une recrudescence des infections respiratoires saisonnières : d’une part, le manque d’exposition aux virus durant la pandémie, dû aux mesures sanitaires (confinements, port de masque, lavage de mains…). Or les virus mutent en permanence, une exposition régulière protège donc d’une surréaction en cas de contact et permet d’acquérir une immunité passagère.
Une autre raison est que le SARS-CoV-2 constitue un nouvel agent pathogène, qui vient se surajouter à ceux déjà en circulation. Selon les pays, le taux de COVID dans les infections respiratoires signalées atteint jusqu’à 25% des cas.
Concernant les enfants, il est possible que nombre d’entre eux n’aient pas encore été pleinement exposés à certains de ces agents pathogènes, car leur circulation a été réduite pendant la pandémie. Dans certains pays, le personnel des crèches, écoles et autres lieux de garde ont dû porter le masque ; le contact avec les autres enfants a également été fortement réduit pendant le confinement. Or les enfants les plus touchés actuellement (les moins de 5 ans, selon les données de l’OMS) sont précisément ceux qui sont nés au début de la pandémie. Ils rattrapent désormais ce retard d’exposition, ce qui se traduit par des rhumes à répétition. C’est la fameuse « dette immunitaire ».
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La communauté scientifique se penche actuellement sur l’hypothèse suivante : une circulation réduite d’agents pathogènes (conséquence directe des mesures sanitaires telles que les confinements ou le port de masque) et l'absence de stimulation immunitaire qui en résulte pourrait avoir un effet sur la santé, en particulier celle des enfants, dont le système immunitaire est en pleine phase d’apprentissage durant les premières années de vie.
Cette « dette immunitaire » entraînerait une proportion croissante de personnes « sensibles » aux agents pathogènes, et donc à une baisse de l'immunité collective au sein de la population.
Concernant l’infection par Mycoplasma pneumoniae : cette bactérie tend à circuler plus intensément certaines années, tous les 3 à 7 ans environ. La forte augmentation constatée au cours de l’hiver passé n’est pas forcément anormale ; il faudra attendre les chiffres des prochaines années pour le savoir.
Il en va de même pour la coqueluche bien qu’un certain déficit de vaccinations chez les enfants et adolescents durant la pandémie pourrait être une raison parmi d’autres de sa recrudescence.
Mais qu’en est-il des autres hypothèses, notamment celle de l’affaiblissement du système immunitaire, ou de la modification du microbiome suite à une infection au SARS-CoV-2 ?
Une infection au SARS-CoV-2 affaiblit-elle notre système immunitaire ?
Joel Mossong est catégorique : « Non, le virus ne rend pas plus sensible aux autres pathogènes. Ce n’est ni la rougeole, ni le VIH. »
Cependant, les scientifiques examinent certaines anomalies du système immunitaire en lien avec des infections graves avec SARS-CoV-2.
Quant au Covid Long, il ne se caractérise pas par une susceptibilité accrue à d’autres infections mais par une fatigue persistante, des maux de tête, le Brain Fog…
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Le COVID long présente en outre un faisceau de symptômes pouvant passer pour une succession de rhumes, alors qu’en réalité il s’agit d’une seule pathologie. Rappelons que le COVID long se définit comme un état persistant après une infection documentée au SARS-CoV-2. Fatigue, maux de tête, toux chronique sont parmi les symptômes les plus fréquents. En cas de suspicion de COVID long, il faut se référer à son médecin traitant, qui pourra ensuite initier le parcours de prise en charge du COVID long. Une consultation spécialisée est proposée au CHL.
Une autre hypothèse est que la COVID-19 induit une perturbation du microbiote, donc l’ensemble des bactéries qui colonisent notre corps. Un microbiote diversifié est étroitement lié à un bon fonctionnement du système immunitaire. Des perturbations dans la composition du microbiote pourraient être à l’origine de problèmes diverses, y inclus du système immunitaire.
« Rien ne démontre une telle perturbation pour l’instant », dit Joël Mossong sur ce sujet. Et même si elle existe, il faudrait savoir si elle persiste dans le temps, et quel est son impact sur le fonctionnement du système immunitaire.
Pour mieux comprendre les conséquences de la pandémie au SARS-CoV-2, peut-on s’aider des expériences d’épidémies ou pandémies passées ?
Difficilement.
Joel Mossong répond ainsi : « Ce n’est pas si simple ! D’une part, nos méthodes de mesure ont changé. On teste mieux, différemment maintenant. Avant on utilisait uniquement le taux de surmortalité, qui n’est pas spécifique. En tant qu’épidémiologiste, j’ai été interloqué par le fait que le virus nous ait autant surpris, le virus initial aussi bien que la succession très rapide de vagues dues à de nouveaux variants, les vagues estivales, l’apparition d’Omicron… En tant que chercheur, ça donne une certaine humilité : comment une pandémie arrive-t-elle à sa fin ? Il a fallu rester vigilant jusqu’au bout, attendre et ne pas se fier aux projections. L’évolution du virus n’était pas du tout prévisible. «
Et concernant les mesures sanitaires, qualifiées parfois « d’archaïques » ?
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Plusieurs études ont démontré l’impact de la pandémie sur notre santé psychique. Est-ce que la santé psychique exerce également une influence sur la santé physique ?
Santé physique et santé psychique sont intimement liés. Il y a plusieurs raisons à cela, dont certaines ne sont pas encore parfaitement comprises ; en outre, la causalité entre inflammation et trouble mental n’est pas encore suffisamment élucidée. La recherche s’intéresse de plus en plus au phénomène, avec l’émergence de l’immuno-psychiatrie, càd l’étude du lien entre l’organisme et les pathologies psychiatriques.
- La dépression serait associée à une inflammation chronique de faible niveau dans le corps. L'inflammation est une réponse immunitaire du corps à des stimuli tels que le stress ou les infections. Chez les personnes atteintes de dépression, cette réponse inflammatoire peut être dysrégulée et persistante, ce qui les rend moins aptes à se protéger efficacement d’une infection). C’est la « théorie inflammatoire de la dépression ».
- Le stress chronique ou prolongé, causé par l’isolement social (les confinements répétés), l’insécurité financière (conséquence directe ou indirecte de la pandémie) ou le contexte social (enfants confinés et travail à domicile) entraîne également, par la surproduction chronique de certaines hormones de stress telles que le cortisol, un dérèglement du système immunitaire.
Les mécanismes derrière cette altération du système immunitaire ne sont pas clairs.
Plusieurs études ont démontré une réduction de la production de cellules immunitaires en cas de stress chronique ou de dépression, une diminution de l'activité des cellules tueuses naturelles (NK) et des perturbations dans la production et le fonctionnement des cytokines (les molécules de signalisation impliquées dans la régulation de la réponse inflammatoire). En parallèle, certaines protéines impliquées dans les processus inflammatoires sont augmentées en cas de dépression avérée (dont les fameuses interleukines, responsables de la réaction immunitaire exagérée au SARS-CoV-2.
Attention : selon les données recueillies par l’OMS, la santé psychique des européens était déjà en berne avant la pandémie ; celle-ci n’a fait que renforcer le phénomène. Il convient donc de ne pas lui imputer tous nos problèmes de santé.
« Il est clair que les mesures sanitaires étaient nécessaires mais que nous devrions mieux nous préparer pour la prochaine. Malgré tous les progrès de détection des virus, nous avons dû employer des mesures vieilles de plusieurs centaines d’années, c.à.d. l’isolement et la quarantaine ! D’ailleurs, il faut se souvenir de l’origine du mot quarantaine : cela consistait à rester 40 jours sur le bateau avant de pouvoir mettre pied à terre… Malgré tous les progrès technologiques et scientifiques de nos sociétés, au début de la pandémie nous n’avons pas eu d’autres options pour endiguer la progression du virus. »
Joël Mossong, Épidémiologiste.
Son conseil : « Concernant la prochaine pandémie : il faudra de nouveau beaucoup d’humilité. »
En effet, d’une part, les virus diffèrent, leur mode de propagation, leur létalité et leurs symptômes également. Il y a deux exemples bien connus qui illustrent cette disparité : Ebola, un virus particulièrement contagieux dont le taux de létalité est extrêmement élevé (pas loin de 90% pour certaines souches) ; cela l’empêche de se propager efficacement, car ses hôtes décèdent vite et souvent n’ont pas le temps de disséminer le virus. A l’inverse, le VIH peut coloniser son hôte pendant des années, voire des décennies avant de devenir fatal. Cette épidémie-là a donc fait bien plus de morts et continue de sévir dans de nombreux endroits du monde.
D’autre part, la densité de population et les mesures d’hygiène varient d’une époque à une autre et d’une zone géographique à une autre, ce qui rend la comparaison malaisée.
En conclusion, les conséquences de la pandémie au SARS-CoV-2 nécessiteront d’autres études, et seul un recul suffisant apportera des réponses claires et fondées aux questions actuelles.
Auteur : Diane Bertel
Éditeur et co-auteur : Michèle Weber (FNR)
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